Les
législatives, inséparables des présidentielles
Le
point au 1er juin 2017. Note 73 à J-10 et J-18.
par
Jean-Pierre Dacheux
Nous
continuons d'analyser l'évolution de la situation politique. Aux
notes antérieures, datées, numérotées et modifiables,
s'ajouteront les suivantes jusqu'au 18 juin. La lecture complète du
résultat des présidentielles ne s'effectuera qu'après les
législatives. Fin juin 2017, nous regrouperons, en un seul et même
document, toutes ces notes, que nous voudrions utiles pour effectuer
cette activité politique chronologique.
Sommes-nous
en plein « dégagisme » ? Ce néologisme politique
n'a aucun intérêt en soi s'il devait n'être que l'évacuation des
uns et leur remplacement par d'autres faisant la même politique ou
pire ! Dégager sans changer est une usurpation.
1
– Le sens d'un mot.
On
trouve, sur internet, d'intéressants rappels et commentaires à
propos de ce vocable nouveau, ambigu, mais chargé de sens divers :
Dégagisme.
Le
mot est pourtant absent du Grand Robert. Il figure sur Wikipedia
où il est rappelé que ce néologisme
a été, pour la première fois, utilisé en Tunisie , puis en
Égypte, en 2011, au cours du Printemps arabe. Il fait
référence aux injonctions « Dégage ! » lancées
alors pendant les manifestations hostiles aux gouvernements
dictatoriaux et corrompus du Tunisien Zine
el-Abidine Ben Ali (parti en janvier 2011) et de l'Egyptien
Hosni Moubarak, (parti en février 2011).
Le
nouveau vocable politique a été théorisé en Belgique après que,
le 6 décembre 2011, le gouvernement Di Rupo a mis fin à 482 jours
de vacance du pouvoir (un record dans le monde).
À
la suite du retrait volontaire du Président Hollande, des retraits
contraints de plusieurs personnalités politiques écartées par
l'une des trois primaires : Juppé, Sarkozy, Duflot, puis Valls,
Jean-Luc Mélenchon a popularisé, à partir de janvier 2017, ce mot
qui contient une invitation à s'éloigner du pouvoir quand on y a
pratiqué une autre politique que celle pour laquelle on a été élu.
Le
terme est moins polémique à présent parce qu'il s'apparente plus à
un constat qu'à une critique. On ne peut reprocher aux électeurs de
« dégager » des candidats : c'est lié à la
liberté de leur vote. En outre, bien des sortants se sont eux-mêmes
dégagés ou désengagés et le renouvellement massif attendu ne
souffre plus discussion. Il aura lieu. Sauf … , sauf que la
banalisation du dégagisme est une récupération politique et, en
lui faisant perdre sa signification première, on rejette ce qui
faisait son intérêt : le droit de contrôle des citoyens sur
leurs élus (préconisation n°3 du programme « L'Avenir en
commun »).
2
– Le vocable dégagisme mériterait pourtant d'être remplacé ou
abandonné.
Je
me défie de tous les ismes. Ajouter ce suffixe à une valeur, c'est
en faire un système idéologique qui place au second plan les autres
valeurs. On le constate avec liberté (et libéralisme), égalité
(et égalitarisme), social (et socialisme), commun (et communisme),
etc ... D'autres mots subissent la même distorsion quand on les
affuble de ce suffixe : républicanisme, écologisme,
cosmopolitisme ... La liste est longue en langue française
(http://dict.xmatiere.com/suffixes/mots_finissant_en_isme.php
).
La
famille du mot engager est longue et utile. Les principaux ont des
significations éclairantes. « Dégager », c'est libérer
d'obligations. C'est neutre. « Se dégager », c'est se
soustraire aux contraintes, physiques ou spirituelles qui pesaient
sur soi. C'est une reprise en main de son propre sort.
« L'engagement » a deux sens : se donner à une
cause, à une personne ou perdre son autonomie par choix. C'est donc
entrer dans un collectif (familial, militaire, religieux, associatif
...). « Prendre un engagement », c'est promettre … Etc.
On
peut s'exclamer : « dégage ! » (va-t-en!),
« dégagez » (retirez vous, dégagez la voie). C'est un
appel exceptionnel à l'action, ce n'est pas une objurgation
permanente ! Je veux bien qu'on fasse dégager les importuns,
les inefficaces ou les nuisibles mais je ne veux pas qu'on en fasse
une méthode, oui … un système. Le risque d'atteinte à la liberté
personnelle deviendrait alors trop grand. On est trop proche du
« sortez les sortants » à caractère séditieux, ou de
l'injure.
Le
mot dégagisme ne convient donc pas toujours. Il dépend du sens
qu'on lui donne. « Dégagisation » (action de dégager)
est, en stricte langue française, plus inadéquat encore.
« Dégagement » a trop de sens différents (sportifs,
architecturaux) tous éloignés de ce qu'on veut dire : inviter
à prendre la sortie.
3-
Que conserver, alors, du « dégagisme » si l'on se
méfie du mot ?
« Les
mots sont des pistolets chargés » et il faut les manipuler
avec précaution. Comment garder le contenu en abandonnant le
contenant ? Un poète, un grand écrivain fournirait sans doute
une piste de travail. En outre, pourquoi s'interdire de créer des
mots pour mieux s'exprimer. Pourtant, le mot dégagisme peut porter
tort aussi à celui qui l'emploie s'il le fait passer pour un
sectaire ou un totalitaire. Jean-Luc Mélenchon, souvent victime d'un
véritable bashing (un lynchage médiatique), s'est vu
reprocher de s'en prendre à tout le monde en recourant à ce mot
radical.
Je
considère pourtant qu'il ne faut pas, pour le moment, « dégager le
dégagisme », car le vocable évolue sans cesse et il se trouve
au cœur du débat sur la moralisation (un bien vilain mot !) de la
vie publique et sur le projet de loi qui sera déposé bientôt, à
ce sujet. En outre, le bouleversement qui s'annonce dans l'hémicycle,
en terme de personnes, qu'il nous convienne ou non, appelle notre
vigilance et notre présence auprès de candidats puis des élus.
La
vertu, en politique, n'est pas une simple question de morale
individuelle, c'est une question relative à la confiance donnée aux
élus. Montesquieu y insista dans L'Esprit des lois. Il en va
donc de la démocratie. La crédibilité et l'honnêteté dépassent
la légalité. Pouvoir faire ce qui n'est pas interdit ne suffit pas
à justifier une action. Dégager les tricheurs, les fourbes et les
cyniques est une nécessité républicaine qui est de la
responsabilité des électeurs et, plus largement, de tous les
citoyens, pas seulement des juges. D'autant qu'il ne s'agit plus
d'envoyer les fautifs à la guillotine mais seulement de les renvoyer
… chez eux.
In
fine, refusons de faire
du dégagisme un principe ou une doctrine d'épuration, une fin en
soi. Constatons, cependant, qu'il est sain, et grand temps, de
redonner aux Français foi en leur société en affirmant que
celui qui corrompt ou se laisse corrompre doit cesser d'exercer des
fonctions publiques. Dernier éclairage lumineux sur le mot : la
« Révolution de Jasmin », populaire et non-violente, avait suscité
notre admiration ; sous toutes les latitudes s'expriment à
présent, les manifestations d’une insoumission grandissante
des peuples. La France est-elle, à son tour, concernée ?
Lassitude ou révolte des citoyens ? Toujours est-il qu'on est
loin d'en avoir terminé avec la contestation de toutes les
confiscations et tous les mésusages du pouvoir.
4
– Éviter la chasse aux sorcières n'est pas fermer les yeux sur
l'indignité politique.
Non,
les hommes et femmes politiques ne sont pas tous pourris mais ils
sont tous tentés parce qu'ils approchent le monde de l'argent.
L'influence grandissante des lobbies le démontre. Il semble que la
question des tentations et des sollicitations ne puisse plus être
masquée.
De
vieilles affaires remontent à la surface (telle que le versement de
rétro-commissions qui auraient été effectué pour financer la
campagne présidentielle d'Édouard Balladur, en 1995). De Jérôme
Cahuzac à Thomas Thévenoud, des ministres, au cours du précédent
quinquennat, ont été pris « la main dans le sac » et,
du reste, selon nous, ont été mollement sanctionnés, eu égard aux
fautes commises. Et ne voila-t-il pas que le nouveau gouvernement, à
peine mis en place, et n'ayant pas même eu encore la possibilité de
recueillir la confiance du Parlement, se trouve confronté, à son
tour, à d'éventuelles « défaillances » de la part de
deux ministres : Richard Ferrand et Marielle de Sarnez. Ressurgit une
énorme interrogation politique, qui n'a cessé de traverser les
campagnes présidentielle et législative. Elle ne nous quittera
plus.
L'intégrité
se réduit-elle au respect des lois ? Non. Les électeurs
peuvent ou non croire ce que leur rapportent les médias mais, in
fine,
ils s'en tiennent au vieux et dangereux dicton populaire : « il
n'y a pas de fumée sans feu ... ». Richard Ferrand peut avoir
« sa conscience pour lui », il n'en est pas moins
fragilisé par sa légèreté, son imprudence ou son inconscience. Ce
député sortant, quoi qu'ait pu dire l'actuel premier ministre pour
le soutenir, ne sera pas sauvé par son éventuelle réélection. Le
parquet de Brest ce matin, annonce l'ouverture d'une enquête
préliminaire dans l'affaire Ferrand, au vu d'éléments
« complémentaires ».
Le
fusible Ferrand à sauté et le courant ne passe déjà plus. Son
rôle a été trop grand auprès du nouveau président pour qu'il
puisse continuer, à présent, à tenir une place où il affaiblit
tout le gouvernement. Dure loi politique : il ne suffit pas
d'être innocent pour être cru. Un responsable politique a une image
à protéger. Ce n'est plus possible et, pour cela, le Président
Macron devra, probablement, sacrifier le soldat Ferrand.
Le
cas de Marielle de Sarnez n'est pas tout à fait le même parce
qu'elle fait l'objet d'une dénonciation émanant d'une collègue
parlementaire européenne, Sophie Montel, qui ferait mieux de
défendre sa chef de file, Marine Le Pen qui est sous le coup d'une
lourde sanction. Pourtant, le mal est fait : la suspicion
atteint une responsable politique proche de François Bayrou, le
Ministre d'État qui doit faire aboutir le projet de loi de
« moralisation » de la vie publique ! La campagne
électorale s'emballe. Les responsables de « LR, dont Xavier
Bertrand, lâchent leurs coups. C'est leur dernière chance. Le temps
des ralliements est passé. Une guerre anti-Macron commence à droite
de la droite.
Nous
voyons bien qu'en fait de renouvellement et des hommes et des
pratiques, on risque d'être déçu ! Si dégager consistait à
se priver de ceux qui n'ont pas bonne apparence, ce serait
désastreux, car on remplacerait l'action politique par des
règlements de compte ! On peut s'attendre, dans les jours à
venir, et avant le 11 juin, à de nouvelles turbulences qui feront du
buzz dans les gazettes. On retomberait alors dans ce qui s'est passé,
jusqu'ici, depuis des mois : masquer les questions
programmatiques de fond. C'est, très exactement, ce que nous
craignons le plus.
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