Après
les présidentielles et les
législatives,
tirer
des enseignements.
Le
point au 29 juin 2017
Note
IV
par
Jean-Pierre Dacheux
Il
n'y a de vote démocratique qu'à la condition qu'il vise à
permettre un suffrage de plus en plus universel. L'histoire de
l'adoption du suffrage universel, de plus en plus élargie au cours
des deux derniers siècles, est indissociable de la progression de la
démocratie elle-même. Il semble, cependant, qu'on se soit arrêté
en chemin.
1
– Rappel historique: le principe et l'ébauche du suffrage
universel.
Le
principe du suffrage universel figure dans l'article 6 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
Toutefois, en 1791, selon la constitution, inspirée par
Emmanuel-Joseph Sieyès, ne peuvent voter que les citoyens âgés de
plus de 25 ans, inscrits sur les listes de la garde nationale et
payant un impôt équivalent à dix jours de travail ! De fait ne
votaient que les riches et les instruits
Ce
vote « censitaire » a duré jusqu'en 1848. Il est alors
remplacé par le suffrage universel masculin, sauf pour les
militaires, les Français habitant à l'étranger et le clergé. Il
faudra attendre près de 100 ans avant que puissent voter les
citoyennes (par décision du 21 avril 1944 et, pour la première
fois, lors des municipales du 29 avril 1945). On fut donc longtemps
éloigné d'un suffrage universel !
2
– Élargir le corps électoral ne suffit pas à étendre
le suffrage universel .
L'âge
de la majorité fut abaissé de 21 à 18 ans, en 1974, au début du
septennat de Valéry Giscard d'Estaing. La conséquence en fut que,
depuis, l'âge du vote tend, en principe, à permettre l'expression
de tous les majeurs. Ce fut, certes, un nouvel élargissement du
corps électoral mais qui n'a pas été accompagné d'une
mobilisation suffisante des pouvoirs publics, notamment auprès des
jeunes électeurs, pour qu'ils connaissent leurs droits et leurs
possibilités d'agir en citoyens.
Depuis
1997, les Français et les Françaises doivent bénéficier d'une
inscription automatique, mais, en 2014, seulement 85 % des
jeunes de 18 à 24 ans de nationalité française étaient inscrits
sur les listes électorales. Près de neuf sur dix d’entre eux ont
bénéficié d’une inscription d’office. Être inscrit est plus
fréquent pour les plus diplômés. Les jeunes Français dont au
moins un des parents est né à l’étranger sont moins souvent
inscrits sur les listes électorales que les autres. En outre, la
mobilité des jeunes gens, leur départ du foyer parental, le
déplacement des familles entières, obligent à effectuer des
réinscriptions, ce dont les intéressés ne sont pas tous
conscients.
L'inscription
sur les listes électorales est obligatoire mais aucune sanction
n'est prévue pour les citoyens qui ne s'inscriraient pas sur ces
listes, ce qui rend, en fait, l'inscription facultative. Sans une
aide administrative et une facilitation des modalités de
l'inscription sur les listes électorales, les non-inscrits ne
peuvent tous, par leur seule initiative, satisfaire leur intention de
pouvoir voter.
3
– Qu'entend-on, en 2017, par « suffrage universel » ?
Faut-il
que, pour qu'il soit universel, le vote soit obligatoire ? C'est
le cas en Belgique, mais la règle y est peu contraignante, faute de
sanctions rigoureusement appliquées. En outre, quand l'abstention
prend une grande ampleur et manifeste une forte expression politique,
l'obligation du vote deviendrait « totalitaire » car on
ne peux contraindre un citoyen à formuler un choix qui ne lui
convient pas ! Seule la reconnaissance du vote blanc comme
suffrage exprimé pourrait réduire l'abstention mais le vote de la
loi de 2014 permettant le dénombrement des votes blancs, sans plus,
ne le permet pas encore.
Pour
que le suffrage soit universel, il faudrait que soit mis en œuvre le
principe simple suivant : qui réside en France, est majeur et y
paie ses impôts s'il en doit, est un électeur. Cela suppose que la
condition de nationalité française ne fasse pas obstacle au droit
de vote. Au reste, les ressortissants de l'Union européenne vivant
en France peuvent voter aux élections européennes, bien sûr, ainsi
qu' aux élections municipales. Que n'élargit-on pas ce droit à
tous les étrangers ? La
Grande-Bretagne,
hier encore dans l'Union,
ouvre tous ses scrutins - locaux et nationaux - aux citoyens du
Commonwealth (qui compte 54 États membres) et aux Irlandais.
Pouvoir, dans l'Union européenne tout entière, harmoniser les
modalités électorales, ne constituerait pas un bouleversement
dangereux pour les différents États membres et manifesterait, au
contraire, l'unité démocratique de l'Europe. Mais ce serait réduire
les prérogatives des l'États-nations.Il n'en est pas question.
On
se rend compte que les conditions à remplir pour que le suffrage
universel progresse encore en France comme chez ses voisins ne sont
pas satisfaites.
4-
Qui ne vote pas ?
La
liste de ceux qui échappent au suffrage universel est
impressionnante :
•
Les Français volontairement non-inscrits par désintérêt permanent
pour la vie publique.
•
Les Français non-inscrits oublieux de leurs droits, privés d'une
information motivante.
•
Les Français mal-inscrits qui déménagent et qui, non relancés, ne
se réinscrivent pas.
•
Les étrangers communautaires qui n'ont pas le droit de voter à
toutes les élections.
•
Les étrangers non communautaires, vivant en France mais exclus de
tous les votes.
•
Les Français abstentionnistes qui rejettent les candidatures ou le
mode de scrutin lui même.
•
Les Français inscrits mais abstentionnistes occasionnels ne faisant
pas du vote une priorité.
•
les Français absents pour cause de maladie.
•
Les Français privés temporairement ou définitivement de leurs
droits civiques.
• Les Français incarcérés sans autorisation de sortie pour voter ou voter en prison.
• Les Français incarcérés sans autorisation de sortie pour voter ou voter en prison.
•
Les Français « incapables
majeurs ».
Bien
entendu, il convient de distinguer les impossibilités de voter et
les retraits volontaires du processus électoral.
5
- Les questions politiques majeures qui restent sans solution, en
France, sont les suivantes :
- L'aide aux citoyens pour qu'ils soient informés et soutenus dans leurs décisions concernant leur droit de vote devrait constituer une priorité civique à mettre en œuvre commune par commune. Cela relève de l'éducation populaire pour adultes.
- L'accueil des nouveaux venus dans une ville ou un village doit être accompagné de cette information civique rappelée ci-dessus.
- Des questions politiques majeures posées par les élections ne peuvent plus être passées sous silence et laissées sans décision motivée :
- le droit de vote des étrangers non européens vivant durablement en France.
- Le droit de vote généralisé pour tous les Européens vivant en France.
- La reconnaissance du bulletin blanc comme suffrage exprimé.
- L'invalidation de toute élection où les suffrages exprimés sont minoritaires.
- Le recours à des modes de scrutin compatibles dans toute l'Europe.
6
- L'inscription sur les listes électorales.
Début
2017, avant les consultations des présidentielles et des
législatives, on comptait près de 47 millions d'inscrits (45,678
millions d'inscrits en France, soit 88,6% des Français majeurs
résidant sur le territoire, et 1,3 million de Français établis
hors de France, inscrits sur les listes électorales consulaires).
7,2 millions d'inscrits le sont dans une autre commune que celle où
ils résident. Quelques 2 millions d'inscrits le sont dans un mauvais
bureau de vote de leur ville !
L'information
est rappelée dans l'article publié
dans l'Express, le 22/04/2017 : Radiés
des listes, mal-inscrits... ces Français qui ne voteront pas malgré
eux...
« La
France est l'un des rares pays européens où l'inscription sur les
listes n'est pas automatique à la déclaration d'une nouvelle
adresse de résidence »,
déplorait déjà, voici 10 ans, Jean-Yves Dormagen, coauteur avec
Céline Braconnier de l'ouvrage à relire, cité ci-après.
(Cécile
Braconnier et Jean-Yves Dormagen, La
démocratie de l’abstention,
Paris, Folio Gallimard, 2007).
Mais
à lire aussi cette analyse du livre :
https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2007-1-page-79.htm
En
France, la présence sur les listes électorales n'est pas
systématique, passée l'inscription d'office à 18 ans. Après
chaque déménagement, il faut donc veiller à se réinscrire.
Toutefois,
trois millions de Français déménagent chaque année, mais
seulement un électeur sur cinq se réinscrit dans sa nouvelle
commune. Les autres deviennent des « mal-inscrits ».
La
Loi
n° 2016-1048 du 1er août 2016 a rénové les modalités
d'inscription sur les listes électorales et comprend trois
modifications importantes :
•
les Français naturalisés seront inscrits d'office, mesure
primordiale pour les quartiers populaires qui affichent les taux de
non-inscription les plus élevés.
•
Un répertoire électoral sera mis en place, géré par l'Insee afin
de faciliter la logistique interne et les justificatifs de domiciles
simplifiés.
•
On pourra désormais s'inscrire sur les listes jusqu'à trente jours
avant l'élection. Ce qui alignera la procédure avec la période
d'effervescence de la campagne électorale. La
loi entrera en vigueur fin 2019 et sera donc effective pour les
élections municipales de 2020. Autrement dit le législateur n'avait
rien modifié pour les élections de 2017.
Ce
qui est annoncé trop tôt et qui s'exécute trop tard perd de son
efficacité et décourage les citoyens.
Il
y aurait, du reste, plus et mieux à faire...
Conclusion
provisoire :
Nous
vivons un temps étrange où nous devons porter ensemble une valeur
(le suffrage universel) et une autre ( l'abstention politique) qui
semble la contredire !
À y regarder de près non seulement la contradiction n'est
qu'apparente. Plus encore, ne pas laisser dévaluer l'acte de voter
suppose que cet acte reste libre et que l'on puisse écarter les faux
choix. Pour que le suffrage soit universel, celui de tous, celui qui
ne s'enferme dans aucun nationalisme, il faut donc que les citoyens
élargissent leur expression et ne se laissent pas enfermer dans un
dualisme ravageur ! Qu'est-il de mieux Charybde ou Scilla ?
La peste ou le choléra ? L'ultra nationalisme ou le
néo-libéralisme ?
Nous
sommes ailleurs. Pas, par principe, contre le vote mais contre
l'obligation d'avoir à choisir entre celui qui étrangle et celui
qui poignarde. Pour le moment, c'est la macronisation de la politique
qui semble l'emporter. Oui, nous sommes ailleurs, au-delà du concept
d'opposition lui même. Nous ne pouvons penser avec les concepts du
passé, fut-il récent.
Nous
avons traversé, pendant les campagnes, le champ des surprises et des
incertitudes, mais seulement une partie de ce champ. Il en est qui
estiment que « la messe est dite » et que nous nous
retrouverons … dans cinq ans.
Notre
conviction est, au contraire, que des événements vont surgir encore
et que rien ne s'est terminé le 18 juin à 20 heures.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à poster un commentaire.