Les
législatives, inséparables des présidentielles
Le
point au 14 juin 2017. Note 77, à J-4 du second tour.
par
Jean-Pierre Dacheux
Nous
continuerons d'analyser l'évolution de la situation politique
jusqu'à la fin de la semaine. La lecture complète du résultat des
présidentielles ne s'effectuera qu'avec l'analyse des résultats des
deux tours des législatives. Fin juin 2017, nous regrouperons, en un
seul et même document, toutes les notes précédentes.
La
démocratie ne se limite pas à la liberté d'élire. Elle exige bien
davantage. Nous venons de faire l'expérience de l'exploitation des
failles démocratiques en France. Cette révélation peut s'avérer
utile. Elle nous fait effectuer des constats qui nous interpellent et
posent questions :
•
L'abstention
massive (pesant plus de la moitié des électeurs inscrits) ne peut
être passée sous silence car elle mesure l'ampleur du divorce entre
les citoyens et la représentation politique.
Une
élection où l'emporte le non-vote reste-t-elle valide ?
•
Le
mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, qui n'existe
nulle part ailleurs en Europe, déforme l'expression de la volonté
populaire.
Sans
proportionnelle, tous les citoyens peuvent-ils être représentés ?
•
Le
régime politique français est, de fait, présidentiel, même s'il
est, dans notre droit, autant parlementaire que présidentiel.
Pourrons-nous
échapper, à la monocratie autoritaire « en marche » ?
•
La
quasi disparition des forces politiques traditionnelles de droite et
de gauche et la montée souterraine de l'extrême droite fragilisent
le pays, bride le débat public, et supprime les oppositions d'hier
ou d'aujourd'hui.
Le
regroupement de tous les néo-libéraux écrase-t-il toute vie
démocratique ?
À
ces constats et à ces interpellations, il peut être donné des
réponses.
1
– Sur l'abstention massive.
Au-dessus
d'un certain taux d'abstentions, (en l'occurence, plus de 50%
des inscrits lors des les législatives 2017), on ne peut
fermer les yeux sur pareil désaveu. Il ne peut, comme par le passé,
être jeté aux oubliettes ! La réponse est à rechercher
après la mise au rebut de toutes les analyses rapides et
inconsistantes de ce phénomène historique. Nous ne sommes pas aux
USA où l'abstention est banalisée ! Quatre pistes, au moins, sont à
explorer : l'annulation par la loi de tout scrutin où
l'abstention est majoritaire (avec réorganisation d'un nouveau
vote), le vote obligatoire, le changement de mode de scrutin, la
prise en compte du vote blanc comme suffrage exprimé (avec
réorganisation d'un nouveau vote, cette fois encore, si le choix
proposé est récusé).
2
– Sur le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
La
France et le Royaume-uni recourent au mode de scrutin uninominal
majoritaire, à un tour pour les Britanniques, à deux tours pour les
Français. La différence est considérable. Au sein de notre pays,
il faut avoir une majorité absolue (par rapport aux suffrages
exprimés) pour être élu dans le royaume ilien de nos voisins être
majoritaire tout court (avec plus ou moins de 50% des suffrages
exprimés) suffit. Accepter le relatif est un choix politique et il
n'est pas sûr que la France soit, à cet égard, moins monarchiste
que les « sujets » de « Sa gracieuse
Majesté » !
Nous
ferions une erreur d'analyse en affirmant que le succès de la
République en Marche est dû au mode de scrutin qui n'en aura
été que l'efficace amplificateur. Le « dégagisme plus »
a échappé aux mains de ceux qui le prônaient et il est démontré,
une fois de plus, qu'avoir raison ne donne pas la victoire. En clair,
Jean-Luc Mélenchon et ses proches avaient bien vu que le système
politique prenait l'eau et que vouloir sauver du naufrage ceux qui
déjà se noyaient ne servirait à rien, mais ce qui a surgi fut
autre chose que ce qu'ils avaient été les seuls à prédire :
la mise sur la touche des acteurs et soutiens des deux précédents
septennats. La « mise à l'essai » du « ni gauche
ni droite » (ni PS ni Républicains, – finie l'alternance –),
au profit d'un expérimental « et à gauche et à droite »
nous réserve de nouvelles surprises, mauvaises et bonnes dans les
mois à venir !
La
seule opposition véritable se fera dans les médias et dans la rue.
Au Parlement, elle sera limitée à celle de la poignée d'élus de
la France insoumise ou du PCF
qui continueront à exiger la proportionnelle (mais celle qui sera
installée par la majorité présidentielle, qui en a reconnu, avec
François Bayrou, la nécessité, ne sera pas - si jamais elle vient
- celle qu'ils réclament). Encore une déception à venir...
3
– Sur le régime politique français.
Allons-nous
retourner à l'Ancien Régime monarchique, l'actuel n'étant pas, aux
yeux des nouveaux dirigeants du pays, assez « vertical »,
ou « jupiterrien ». Il y a de l'anachronisme dans le
macronisme. Diriger un pays comme une entreprise avec un chef dont on
ne discute pas les décisions est une jeune vieillerie repeinte en
neuf mais vermoulue. Il n'est plus qu'un seul parti aux affaires :
le parti libéral (c'est ainsi qu'il faut le nommer) aux multiples
composantes mais toutes convaincues que l'économie capitaliste est,
désormais incontournable et surtout pas remplaçable.
Serons-nous
bientôt gouvernés par un « État profond » comme
on dit aux USA, un système quasi institutionnalisé dans des
agences, services secrets et lobbies souterrains, soumis à
l’influence excessive d’entreprises privées qui échappent au
contrôle démocratique ?
L'adaptation
du régime présidentialiste actuel, ex-gaulliste, mitterrandisé
durant 14 ans, n'aura pas besoin d'une nouvelle modification de la
constitution. Les anciens présidents, de Pompidou à Hollande,
avaient fait fonctionner, plus ou moins bien, la machine politique,
mais sans rien créer de politiquement neuf. Le régime
« macronisé », ultra centralisé, et davantage
présidentiel encore, va vouloir se rendre acceptable et durable.
C'est en douceur que, presque subrepticement, si les Français y
consentent, le glissement risque de s'opérer, au nom de
l'efficacité, de l'emploi et de la croissance. Vieille rengaine.
Pari risqué.
4
– Sur la quasi disparition des forces politiques traditionnelles
Plusieurs
partis sont partis ! Il y a toujours, dans les manifestations
d'un changement radical, des éléments positifs et négatifs
mélangés. Ainsi, l'effacement définitif ou provisoire du Parti
socialiste est sain : un parti socialiste non socialiste ne
pouvait que se ruiner. Les brutales évacuations de personnalités
« républicaines » et « socialistes » sont
très politiques mais auront surpris les vainqueurs, eux-mêmes.
Elles sont, répétons-le, mécaniques et la conséquence des deux
quinquennats calamiteux dont les Français ont imputé l'échec aux
partis qui mettaient en œuvre les politiques des présidents en
échec. On a « sorti les sortants » mais sans risque
d'ouvrir la porte à l'extrême droite lourdement défaite, elle
aussi. On a « donné sa chance », il faut y insister, à
un nouveau président présentable, en soutenant, les yeux fermés,
sauf exceptions, tous les candidats pouvant lui garantir une majorité
dont on cherche encore la réalité du programme.
N'omettons
pas de souligner que la légitimité de La République en marche
se trouve, elle aussi, fort réduite. Quoi qu'on nous ait rabâché,
le score obtenu par le Président lui-même aux présidentielles fut
deux fois minoritaire par rapport au nombre des inscrits (le seul qui
compte et vaille) : 18,19% au premier tour et 43,61% au second.
De même, pour les législatives, le parti du président n'a obtenu
que 13,43% des inscrits au premier tour, ce qui n'interdit pas
d'annoncer que, le 18 juin, selon les estimations, peut-être 75% des
sièges pourraient être raflés par les inféodés à Emmanuel
Macron. Ce qui ne scandalise guère les journalistes et autres
commentateurs... Il est vrai que tordre le cou à toute idée de
proportionnalité est à la mode en France.
Source :
Yoann Ferret
À
la vérité, le peuple est plus manipulé qu'aux manettes et le
Contrat social, cher à Jean-Jacques Rousseau est bel et bien
meurtri, foulé aux pieds. Ainsi nous parle encore Rousseau et
ce qu'il dit est fort actuel :
«
Sitôt
que le service public cesse d’être la principale affaire des
Citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur
personne, l’État est déjà près de sa ruine.
Faut-il marcher au combat ? Ils payent des troupes et restent chez
eux ; faut-il aller au Conseil ? Ils nomment des Députés et restent
chez eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des
soldats pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre.
C’est
le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du
gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent
les services personnels en argent. On cède une partie de son profit
pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt
vous aurez des fers. Ce
mot de finance est un mot d’esclave, il est inconnu dans la Cité.
Dans un État vraiment libre les Citoyens font tout avec leurs bras,
et rien avec de l’argent : Loin de payer pour s’exempter de leurs
devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien
loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à
la liberté que les taxes.
Mieux
l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent
sur les privées, dans l’esprit des Citoyens.
Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme
du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui
de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins
particuliers. Dans une cité bien conduite, chacun vole aux
assemblées ; sous un mauvais Gouvernement, nul n’aime à faire un
pas pour s’y rendre, parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y
fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas,
et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois
en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires.
Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’État, que m’importe
? on doit compter que l’État est perdu. »
«
Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire
des Citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de
leur personne, l’État est déjà près de sa ruine. Faut-il
marcher au combat ? Ils payent des troupes et restent chez eux ;
faut-il aller au Conseil ? Ils nomment des Députés et restent chez
eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats
pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre.
C’est
le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du
gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent
les services personnels en argent. On cède une partie de son profit
pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt
vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave, il est
inconnu dans la Cité. Dans un État vraiment libre les Citoyens font
tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent : Loin de payer pour
s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir
eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes ; je crois les
corvées moins contraires à la liberté que les taxes.
Mieux
l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent
sur les privées, dans l’esprit des Citoyens. Il y a même beaucoup
moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur commun
fournissant une portion plus considérable à celui de chaque
individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins
particuliers. Dans une cité bien conduite, chacun vole aux
assemblées ; sous un mauvais Gouvernement, nul n’aime à faire un
pas pour s’y rendre, parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y
fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas,
et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois
en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires.
Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’État, que m’importe
? on doit compter que l’État est perdu. »
«
Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire
des Citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de
leur personne, l’État est déjà près de sa ruine. Faut-il
marcher au combat ? Ils payent des troupes et restent chez eux ;
faut-il aller au Conseil ? Ils nomment des Députés et restent chez
eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats
pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre.
C’est
le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du
gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent
les services personnels en argent.
On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise.
Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de
finance est un mot d’esclave, il est inconnu dans la Cité. Dans un
État vraiment libre les Citoyens font tout avec leurs bras, et rien
avec de l’argent : Loin de payer pour s’exempter de leurs
devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien
loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à
la liberté que les taxes.
Mieux
l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent
sur les privées, dans l’esprit des Citoyens.
Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme
du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui
de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins
particuliers. Dans une cité bien conduite, chacun vole aux
assemblées ; sous un mauvais Gouvernement, nul n’aime à faire un
pas pour s’y rendre, parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y
fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas,
et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois
en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires.
Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’État, que m’importe ? on doit compter que l’État est perdu. »
Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’État, que m’importe ? on doit compter que l’État est perdu. »
Jean-Jacques
Rousseau,
Du contrat social, 1762, III, 15, GF Flammarion, 2001, p. 133
Ce
qui disparaît, avec les partis en déroute, c'est une ambiguïté
mais remplacée par une autre : tous les libéraux se retrouvent ou
se retrouveront derrière Emmanuel Macron. C'est plus clair. Ceux qui
« vont à la soupe » ou qui iront bientôt, ne font que
rejoindre, pour parler clair le camp pro-capitaliste.
Les
électeurs ayant toujours voté à gauche se sentent orphelins. Les
socio-écologistes sont appelés, dès aujourd'hui ou bientôt, à se
rapprocher pour constituer la seule opposition crédible et ayant un
avenir. Les insoumis et leurs alliés ont aussi à sortir de leurs
ambiguïtés : dire mieux pourquoi écologie et libéralisme sont
incompatibles ; dire mieux également quelle Europe politique
ils récusent et quelle Europe politique ils veulent voir émerger ;
dire mieux enfin comment lutter efficacement contre toutes les
inégalités au Parlement et ailleurs.
Nous
sommes à la recherche de la démocratie. L'énergie qu'elle place en
nous vient d'être détournée. Les citoyens ont bougé mais la
moitié de ceux qui peuvent voter ( mais ceux qui vivent en France ne
le peuvent pas tous !) ont estimé que mieux valait se retirer d'un
scrutin-mascarade où n'étaient pas posées les questions
pertinentes ni offerts les choix de candidats acceptables. Les autres
citoyens, les votants, ont pris un bulletin les yeux quasi fermés.
Ils n'ont guère regardé les noms qui y étaient imprimés et s'en
sont tenus, le plus souvent, à se mettre « en marche »
derrière le parti (car c'en est un !) du président élu.
La
démocratie n'en sort pas grandie mais elle n'a pas été totalement
inefficace. Des blocages ont sautés mais tout reste à faire si l'on
veut que les citoyens interviennent dans les décisions dont leur vie
dépend. La démocratie devra déborder du cadre électoral, sinon
nous redeviendrons des « soumis », des « obéissants »,
des « impuissants politiques », tout en laissant les « sans »
tout court sous la domination des néo-libéraux désormais aux
affaires...
Tout
re-commence ! C'est exaltant, mais bien fatiguant... Courage
donc.
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