Le
troisième et dernier temps d'une campagne à surprises
Le
point au 31 mars 2017. Note 32 à J-23
par
Jean-Pierre Dacheux
Nous
voulons continuer d'analyser l'évolution de la situation politique
pendant la campagne électorale ouverte, en réalité, depuis la fin
2016. Chaque texte, daté, numéroté et modifiable, s'ajoute aux
précédents présentés et, depuis le 20 mars, sous le titre : «
Le troisième et dernier temps d'une campagne à surprises »
Chacun de ces textes peut être contredit, sans doute, parfois, par
les événements. Fin mai 2017, nous regrouperons, en un seul et
même document, toutes ces notes, que nous voudrions utiles pour
effectuer cette activité politique chronologique.
1
- On y voit donc un peu plus clair, mais cela ne va pas sans douleurs.
Rien
de neuf sur une partie de l'échiquier : la droite reste la
droite (c'est-à-dire les « forces de l'argent »1
à la manœuvre). L'extrême droite, que représente le FN, reste
totalitaire (et Marine Le Pen ne vise pas la présidence de la
République seulement, mais bien plus : la domination des
esprits). La droite parlementaire reste démunie ; représentée
par un leader solitaire, autoritaire et très contestable, elle court
à l'échec. La droite « macronnienne » reste aussi à
droite mais c'est une droite de transition, attrape-tout et
illusionniste, prête à suppléer la droite traditionnelle
défaillante. La droite qu'incarne Dupont-Aignan est une droite
minoritaire, mais influente et nationaliste et dont aurait tort de
sous estimer l'influence. Les candidats individualistes d'une droite
très peu crédible, Asselineau et Cheminade, ont
en commun de vouloir sortir la France de l’Union européenne...
Jean Lassalle, quant à lui, cherche un chemin, en bon randonneur
qu'il est, et bien qu'estimable ne convainc pas.
Les
bouleversements sont plus profonds sur l'autre parti de l'échiquier
politique : le parti communiste, absorbé par la France
insoumise est sans candidat ; EELV, rangé derrière le candidat
Hamon, a perdu son pari de faire lien entre le PS et la France
insoumise et, du coup, l'écologie politique se retrouve
également sans candidat ; LO et le NPA se sont trouvé, comme
d'habitude, une tribune, ce que voulaient ces officines, mais ne
peuvent faire mieux que de figurer. Reste « le gros des
troupes » plusieurs fois divisées : nombre d'élus et de
dirigeants du PS récusent leur propre candidat ; le candidat
hors parti, Mélenchon ne peut ni ne veut s'associer à un candidat,
Hamon, qui n'a pu couper les liens avec le parti qui ne le soutient
plus guère. Alors où va-t-on ?
En
exprimant son soutien a Emmanuel Macron, Manuel Valls a renversé
l'échiquier et rendu service à ceux qui n'en pouvaient plus de voir
les socialistes se contredire et se trahir eux-mêmes. En plaçant
ses convictions avant ses engagements publics, l'ex premier ministre
de François Hollande se démasque et apparaît pour ce qu'il est :
un social-libéral qui passe d'une gauche molle à une droite
supposée soft. Il pourrait, avoue-t-il, aller jusqu'à gérer la
France avec les « Républicains ». Une page se tourne. Ce
faux disciple de Michel Rocard (qui ne fut pas, d'abord le défenseur
d'une gauche convertie au capitalisme mais d'une gauche libérée de
l'étatisme) a pris le risque de passer pour un traître et Macron,
qui le sait, ne l'accueille pas les bras ouverts ! Les électeurs
de cette gauche dans l'impasse sont troublés. On le serait à moins.
2
- Ce que va devenir le PS n'intéresse pas que ceux qui le
soutiennent !
Manuel
Valls avait raison de parler de « deux gauches
irréconciliables », sauf qu'il se trompait de gauches. La
gauche de tous ceux qui ont approuvé la politique de François
Hollande, n'est pas du tout la gauche. Ni Blair, ni Schroder, ni
Hollande, ni Valls ne sont restés à gauche. L'histoire dira que
leur conversion à l'économie libérale les a déplacés vers ceux
dont ils ne combattaient que les excès.
Les
deux gauches résiduelles actuelles ne sont irréconciliables que
pour le moment. Qu'est-ce qui les sépare ? La primaire de la
gauche l'avait bien révélé : parmi les candidats socialistes
à la candidature - Valls mis à part qui n'avait rien de gauche
-, deux orientations étaient apparues : celle de Montebourg et
Peillon d'une part, celle de Hamon d'autre part. L'une, bien que
généreuse est restée traditionnelle, centralisatriste, étatiste,
parfois nationaliste, productiviste, travailliste, croissantiste,
bref jacobine, l'autre se veut partageuse, décentralisatriste,
consciente de l'obligation de décrocher les revenus de l'emploi, et
sincèrement écologiste. Que les électeurs aient choisi largement
Hamon, mais aussi que Montebourg et Peillon l'aient rallié est
révélateur de l'évolution qui s'effectue au sein du PS. Les cadres
de ce parti ne l'ont pas encore saisi. Et pourtant
l'internationalisme ancien se mue en un néo-cosmopolitisme :
l'avenir de la France ne peut être autarcique et doit tenir compte
de solidarités planétaires.
Est-il
possible de faire progresser cette transformation copernicienne dans
le cadre d'un parti ? Sans doute pas. Le besoin d'une
organisation politique n'entraine pas nécessairement la constitution
d'un parti comme le rappelle Aude Lancelin, dans l'hebdomadaire le
« 1 »2,
en citant Simone Weil3
(1909-1943). Prendre parti n'est pas adhérer à un parti. C'est
faire un choix. C'est s'engager en veillant à n'être pas partial,
partisan. Quiconque ne voit qu'une partie d'une question politique et
n'en veut pas voir d'autre, sombre vite dans un totalitarisme. Un
parti regroupe des adhérents qui « collent » à la même
vérité, non pas celle qu'ils ont cherchée mais celle qu'on leur a
donné à croire. C'est en cela qu'un parti risque de devenir « une
petite église profane armée de la menace d'excommunication »,
comme l'écrivit encore Simone Weil.
Cette
réflexion sur le parti et l'engagement politique est d'une actualité
brûlante. Si le PS vient à disparaître, il ne faudra pas le
pleurer, par contre il serait catastrophique pour la démocratie que
tout ce qui s'y est cherché, expérimenté, essayé, avec réussites
et échecs, ne fasse pas partie de notre mémoire collective et de
notre commune bibliothèque vivante. Les traces et les informations
de nos centres de ressources nous sont utiles en permanence.
3
– Rompre avec la politique politicienne ne peut se faire qu'à
l'échelle la plus vaste possible.
La
fracture dont nous aurons été les témoins, qui s'effectue sous nos
yeux, produira des effets qui ne seront pas tous visibles une fois
connus les résultats de l'élection présidentielle. C'est trop
ample et trop complexe pour que nous nous en saisissions si vite.
Cependant, si un pli est pris, nous agirons dans la forme qui va se
déplier, se déployer peu à peu.
La
nouvelle donne politique est globale, totale et planétaire. Elle ne
peut se lire et s'utiliser qu'au niveau des proximités locales,
communales, proches. La démocratie est une pratique. Toute décision
qui est prise par trop de citoyens dans un espace trop vaste est
entachée d'erreur. Rousseau y avait insisté : la commune est
un lieu où l'on peut se connaître, sinon l'on délègue et l'on
renonce alors à son propre pouvoir. La juxtaposition de lieux où
l'on pense en commun finit par produire une vie collective. Dans les
partis, on pense pour, trop rarement avec. Autrement
dit peu de « décideurs » y peuvent vouloir agir sur la
vie de tous. C'est l'inverse que permet la démocratie véritable :
réussir un « en commun », où tous les concernés
s'impliquent, donne à penser à d'autres citoyens, en d'autres
lieux, pour d'autres initiatives et élargit de plus en plus
l'assiette des décisions. Nous sommes, espérons-le, entrés dans
ces temps où toute les compétences, tous les savoir-faire peuvent
se conjuguer sans tout attendre des sommets.
Une
fracture historique s'est effectuée et les partis qui avaient une
très forte emprise sur le corps électoral sont en grande
difficulté. Avons-nous rompu, pour autant, en France, avec les
pratiques politiciennes antérieures ? Des signes encourageants le
donnent à penser, mais ce n'est pas fait ! Dès que la volonté
populaire s'exprime par des manifestations, pour appuyer ses cahiers
de revendication, comme on le voit, actuellement en Guyane, alors la
démocratie reprend forme et force. Quand rien n'est subi et quand
tout est co-décidé, alors la politique véritable commence et ce
qui ne semblait qu'une utopie se réalise. En cette période sensible
qui ne concerne pas que notre pays, sommes nous, au cours de cette
campagne électorale, sur le point de nous engager vers une telle
transformation de nos pensées et de nos pratiques ? Si l'on en
voit bien l'urgence et la nécessité, si l'on peut l'espérer et y
contribuer, le chemin à parcourir reste, toutefois, semé
d'embuches. Les risques de recul et d'échec sont encore devant nous,
mais si nous ne les affrontions pas, nous serions, de nouveau,
condamnés à la stagnation !
1
- En novembre 1980, le candidat socialiste, François Mitterrand,
lançait sa campagne à Carmaux, la ville de Jean-Jaurès, en
s'exclamant. "Je suis libre au regard des forces
de l’argent, que je défie le regard clair".
On connait la suite. Finalement François Hollande n'a fait
qu'imiter son maître en se dressant, au Bourget, le 22 janvier
2012 contre "le monde de la finance".
"Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le
contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies."
avait-il lancé !
2 Aude
Lancelin, Démocratie année zéro,
dans le numéro 148 du « 1 »,
le 29 mars 2017, p.6.
3 « L'usage
même des mots de démocratie et de république oblige à examiner
avec une attention extrême les questions suivantes : Comment donner
aux hommes la possibilité d'exprimer parfois un jugement sur les
grands problèmes de la vie publique ? Comment empêcher, au moment
où le peuple est interrogé, qu'il circule à travers lui aucune
espèce de passion collective ? Il est impossible de parler de
légitimité républicaine si on ne pense pas à ces deux points.
Les solutions ne sont pas faciles à concevoir, mais il est évident,
après examen attentif, que toute solution impliquerait avant tout
la suppression des partis politiques ».
Dans :
Note sur la suppression générale des partis politiques,
republié une fois de plus, avec cette fois, un avant propos de
Jacques Julliard, le 1er mars 2017, aux éditions Climats, chez
Flammarion.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à poster un commentaire.