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jeudi 20 avril 2017

Lettre aux indécis


«  Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur,
Extrait d'un poème d'Aragon, chanté par Brassens

Chers compatriotes,

À toi qui ne sait que voter, qui choisir, je veux dire que tu me rassures. Tu doutes donc tu penses. Ceux que je crains le plus ce sont les « suiveurs », les irréfléchis, les croyants qui s'en remettent à autrui et qui ne s'interrogent plus.

La politique est le contraire de ce suivisme qui fait passer l'attachement à des personnes avant la conviction, lentement et parfois difficilement construite.

Les quelques jours qui nous restent devraient nous permettre, dans l'idéal, de nous motiver nous-mêmes et de nous déterminer sans sondages, sans journaux, sans télé et sans radio ? Ce ne sera pas le cas. Et, pour beaucoup, le silence ne se fera que … dans l'isoloir.

Sache que, pour moi qui ai déjà choisi, ton silence ne m'angoisse pas et je ne le déplore pas. Si tu laisses l'enveloppe vide ou si tu ne pousses pas la porte du bureau de vote, je ne te condamnerai pas. Tu auras décidé autre chose que moi et ce sera un acte de liberté que je n'ai pas à juger.

Je n'irai pas jusqu'à t'approuver. C'est ton libre choix que je respecte. Voter blanc, ne pas voter, choisir finalement un candidat, même tardivement, c'est ton affaire et ce n'est pas évident.

Il importe d'autant plus de s'y reprendre à deux fois avant de se jeter sur le premier slogan qui passe que, cette fois, oui, toute décision est grave et, le 24 avril, nous aurons tourné une page de l'histoire de France, tous ensemble, nous, les citoyens, votants et non votants.

Nous allons indirectement faire plus que désigner, ou pas, un Président de la République. Nous allons, ou non, contribuer à maintenir, transformer, ou changer la République elle-même, dans sa forme et dans son fond.

Ou bien nous continuerons comme avant, dans le même cadre constitutionnel, celui de la Vème République, avec les mêmes modes de scrutin, le mêmes partis qui nous sont familiers, les mêmes références à l'Europe, au travail, à notre vécu installé par De Gaulle, depuis bientôt 60 ans, ou bien nous allons commencer à tourner cette page, avec crainte mais avec détermination.

C'est cela que vont indiquer les résultats du 23 avril. Pas ceux du 7 mai, quand nous aurons repris le chemin de la bipolarisation, avec deux candidats qui, ou pour l'un, ou pour l'autre, ou pour les deux, n'incarneront plus la droite et la gauche traditionnelles mais toujours ce monde politique à deux faces qui n'appartient qu'à nous. Ne voter qu'au deuxième tour n'y changerait rien.

Car, en juin, nous retrouverons les mêmes règles de désignation de nos députés avec un mode d'élection à la proportionnelle toujours banni, contrairement à ce qui se pratique dans la plupart des pays de cette Europe, elle aussi à modifier dans son fonctionnement, et dont nous ne pourrons sortir (quoi qu'en aient dit le plus grand nombre des candidats). Nous n'en avons pas fini d'être indécis...

Sachons, pourtant, qu'il nous faudra échapper à cette indécision, une fois éliminées les causes qui l'expliquent ou même la justifient. Nous ne pourrons, en effet, rester, indéfiniment, sur le seuil de la porte de sortie ou d'entrée d'une République vers une autre.

Notre nation vit de nouveaux jours et, qu'elle se referme totalement sur elle-même, qu'elle se fige dans ses habitudes même devenues obsolètes, qu'elle se fasse un modeste lifting politique pour perdurer telle quelle, ou enfin, qu'elle ose s'ouvrir à d'autres organisations de notre démocratie, rien ne sera plus tout à fait comme avant.

Nous voici donc au pied d'un mur un peu haut, qu'il est périlleux de franchir, mais que nous aurons à sauter tôt ou tard. Les raisons politiques de l'indécision se sont alourdies et multipliées. On peut mieux les comprendre mais elles ne fournissent pas la réponse à la question majeure qui nous est posée : comment redonner sens, confiance et dynamisme à la politique non politicienne dont dépend notre vie quotidienne ?

Pour moi, et je douterai comme beaucoup jusqu'au bout, seul Jean-Luc Mélenchon, en dépit de toutes ses insuffisances, a ouvert la porte d'une sortie honorable d'un passé qui nous paralyse et nous éloigne des responsabilités qui sont les nôtres et pas uniquement celles de nos élus où qu'ils siègent, au palais de l'Élysée ou au palais Bourbon.

En toute solidarité.


Jean-Pierre Dacheux


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