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mardi 4 avril 2017

Il est désespérant d'avoir raison trop tôt !


Ce texte a été écrit en novembre 2014, en ouverture d'une journée de réflexion de la fédération du Val d'Oise de la Ligue des Droits de l'Homme.
Nous sommes, aujourd'hui, face à une échéance critique pour notre pays et au delà pour la démocratie, aussi, il me semble utile de le publier sans aucune retouche car près de trois ans plus tard rien n'a changer, ou plutôt si, tout s'est compliqué et aggravé.

JC Vitran - 4.04.2017

" Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laisse faire. "

C'est Albert Einstein qui a émis cet aphorisme qui matérialise une des raisons pour lesquelles j'ai désiré vous réunir pour réfléchir ensemble.

Au moment où j'écris ces lignes 25 % des jeunes européens sont au chômage. 119 millions de personnes, soit 1 quart de la population de l'Union Européenne est en situation de pauvreté et d'exclusion sociale. Dans notre pays, on dénombre, en tenant compte des victimes du temps partiel subi et des emplois fantômes, plus de 9 millions de personnes connaissant des problèmes d'emploi.

Nous subissons des phénomènes climatiques extrêmes démontrant, s'il le fallait, l'existence d'un dérèglement climatique dont on a acquis la certitude qu'il est d'origine humaine.

Certains aspects de l'écologie - surpêche, atteinte à la biodiversité, pollution marine et aérienne, par exemple - engendrent des dommages qui sont en passe de devenir irréversibles obérant définitivement l'avenir.

Avant la seconde guerre mondiale, Antoine de Saint Saint-Exupéry affirmait :

" On n'hérite pas de la terre de nos ancêtres, on l'emprunte à nos enfants ".

Pourtant, force est de constater, qu'aujourd'hui, nous déshéritons nos descendants en leur laissant une terre en état d'épuisement et une société égoïste prête à tout moment à basculer dans la violence.

Les raisons de ces problèmes sont bien connues, elles se résument en un seul mot :

CAPITALISME

Dès le milieu des années 70, des économistes montraient que :
  • l'évolution des technologies,
  • la loi néolibérale et la prééminence du marché,
  • la dérégulation de tous les systèmes,
  • la négation des problèmes environnementaux,
ont donné naissance, d'abord en occident, puis à l'échelle planétaire, à trois groupes sociaux :
  • Une oligarchie dirigeante, composée de quelques dizaines de millions de personnes qui dispose de tous les moyens physique et financier pour dominer et manipuler l'information en temps réel.
  • Un groupe important de travailleurs précaires, le plus souvent miséreux, peu qualifié, qui subissent le bon vouloir de la technologie et de la finance.
  • Tout le reste qui constitue une classe moyenne décadente à laquelle on fait miroiter l'espoir de rejoindre l’oligarchie dirigeante, mais qui est obsédé par le risque de tomber dans la précarité.

C'est le paysage social d'aujourd'hui, partout sur la surface de la planète, où règnent :
  • la recherche du profit à court terme,
  • la banalisation de la malhonnêteté,
  • la corruption,
  • la précarité,
  • la pauvreté, conséquence banale du fonctionnement du système,
  • un profond et dangereux sentiment d'injustice qui provoque la jalousie, l'aigreur et l’amertume et déclenche l'envie de vengeance.
  • et une violation continuelle des droits fondamentaux,

Toutes ces tyrannies et ces atteintes aux droits et à la dignité des personnes créent des déséquilibres profonds qui menacent la cohésion sociale, la paix mondiale et conduisent à la barbarie.

Si on en croit l'historien britannique Arnold Joseph Toynbee, les sociétés, lorsqu'elle échouent à relever les défis de leur temps, meurent de " suicide mais pas d'assassinat ". Il soutenait que la cause fondamentale de l'effondrement d'une société est lié au déclin d'une minorité qui se bat pour maintenir sa position de privilèges.

Cette année, une étude de la NASA affirmait que notre ère civilisationnelle est condamnée à s'effondrer. La conclusion de cette étude montre que les raisons de l'effondrement des civilisations depuis 5000 ans sont l'exploitation excessive des ressources de la planète et le creusement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres.

Il en fut, ainsi, des empires romain, mésopotamien et maya.

Si les droits fondamentaux ne sont pas respectés, la République est bafouée et la Démocratie est en danger.

C'est exactement ce qui se passe dans notre pays, et au delà, en Europe et dans le monde.

Le citoyen est déconsidéré et floué.

Voici des preuves :

Une majorité de Français a voté contre le traité européen en 2005.
Pourtant le pouvoir, plutôt les pouvoirs, d'hier comme d'aujourd'hui, n'ont pas tenu compte de ce vote et acceptent le dictât de l'Union Européenne.
En langage politique, cette manoeuvre qui ne respecte pas la volonté du peuple souverain s'appelle un COUP D'ETAT.

En 2012, une majorité de Français a élu un nouveau président sur la foi de ses engagements de campagne ; arrivé à la magistrature suprême grâce à leurs voix, il fait une politique que l'on peut qualifier de libérale, contraire à ses engagements.

Par ailleurs, il ne vous a, certainement, pas échappé qu'il existe une certaine défiance, pour ne pas dire plus, entre les tenants des politiques libérales et la démocratie.
Les thuriféraires du dogme considèrent que la main invisible du marché est le meilleur moyen de mobiliser les plus bas instincts de l'homme : l’avidité, l'avarice, la soif du pouvoir et la richesse.

Tout le contraire de l'esprit de solidarité, d'égalité et de fraternité qui caractérise le pacte républicain et les convictions des membres de la Ligue des Droits de l'Homme.

Cette société capitaliste, adversaire de la démocratie, nous conduit droit à l'oppression, à l'autoritarisme, au totalitarisme voire au fascisme.

Pour l'oligarchie de pouvoir, le caractère sacré des contrats, la propriété, et le droit individuel d'entreprendre et d'agir doit être protégé. L'Etat doit utiliser son monopole de violence pour défendre à tout prix les libertés « libérales », s'engager dans la voie de la privatisation et de la marchandisation de tous les biens communs jusque là public et considérer « tout » comme une marchandise.

Ce qui est profondément lamentable, c'est que pour cette philosophie, l'échec d'une personne est attribué à sa défaillance personnelle et la victime est responsable de son malheur.
Si le pauvre est pauvre, le chômeur sans travail, c'est de leur responsabilité, de leur faute et il n'est pas question de rechercher la cause de leur situation dans les échecs de la société.

Ces derniers jours ont vu la découverte ... est-ce une découverte ? d'un accord secret entre le Luxembourg et 340 multinationales et quelques grandes familles. Le CCFD a fait paraître un rapport accablant sur l'évasion fiscale et le système bancaire. Si les banques, que les citoyens contribuables ont renflouées, et les sociétés payaient normalement l'impôt, on nous bassinerait pas avec la dette, nous pourrions éradiquer la pauvreté, etc ...

Pourtant c'est dans nos poches vides que l'on essaye encore, et toujours, de puiser pour résoudre cette soi-disant crise.

Le Secours Catholique a remis son dernier rapport sur la pauvreté. On y apprend que la paupérisation s'accélère partout dans la population et particulièrement chez les seniors. Le document alerte les autorités sur la précarité énergétique grandissante avec la montée des prix dans ce domaine. On évalue à près de 9 millions le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté dans notre pays.

Dans le domaine de l'emploi, les attaques contre le salariat sont menées sur deux fronts.
Diminuer, voire anéantir le pouvoir des syndicats et établir la flexibilité du travail en détricotant les acquis. L'image du « travailleur jetable » se généralise. On nous fait croire que la croissance résoudra le problème du chômage, alors que l'on sait parfaitement qu'il est endémique et qu'il ne fera que croître.

La philosophie « j’achète, donc je suis » et l'individualisme possessif sont exacerbés. Le monde libéral est fait de pseudo – satisfactions de surface, mais de vides et de frustrations à l'intérieur laissant seulement l’impression d'une certaine jouissance mais dans la servitude volontaire.

Comme l'affirma Cornélius Castoriadis : « ce qu'on appelle le progrès technologique a été obtenu par la transformation des humains en machines à produire et à consommer ».

Comme la démocratie, l'écologie ne fait pas bon ménage avec le capitalisme car elle est antinomique avec le capitalisme.

A ce sujet, le pacte bidon qui vient d'être signé entre les deux plus grands pollueurs de la planète ne doit pas faire illusion. La Chine et les Etats-unis ne veulent pas d'accords contraignants, alors ils font semblant, pour le bien de l'humanité, de s'entendre pour mieux torpiller le rendez-vous de 2015 prévu à Paris.

En 2002, au sommet de la terre qui se tenait déjà à Paris, le Président Français, pris d'un subit mais passager accès de lucidité, a affirmé « la maison brûle et nous regardons ailleurs », aujourd'hui 12 ans plus tard, nous regardons toujours ailleurs.

Dans un autre domaine, l'Etat privatise la solidarité par voie d'ONG, le Téléthon, par exemple, lui permet de se désengager d'une partie des questions sociales et il utilise les associations comme « les chevaux de Troie » du libéralisme mondial.

On pourrait ajouter les négociations « confidentielles » et anti démocratiques, pour ne pas dire secrètes, sur le Grand Traité Transatlantique - TAFTA.

A ce propos, les propos de Karl Polanyi sont clairs : « permettre aux mécanismes du marché de devenir seuls maîtres du destin des êtres humains et de leur environnement naturel … conduira à la destruction de la société. »

Un chiffre seulement pour illustrer la folie du système : le volume annuel des transactions sur les marchés financiers est passé de 1000 milliards d'€ en 1983 à 1 600 000 milliards € en 2008.

Ce constat, incomplet, est mortifère pour l'humanité. Il faut absolument réagir et aider notre société à sortir la tête de l'eau avant qu'il ne soit trop tard.

Lors du congrès de Tours de la Ligue des Droits de l'homme de 1937, Léon Blum a tenu les propos suivants : « La ligue fondée pour défendre les droits de la personne devait se porter à la défense des libertés collectives qui en sont la condition. C'est en hésitant à se jeter dans la lice qu'elle aurait manqué à sa mission, qu'elle aurait trahi la pensée de ses fondateurs et de ses chefs … Les circonstances l'appelaient à une tâche plus ample, plus difficile, mais identique dans son essence : défendre les principes même, l'existence même de la démocratie menacée par une régression soudaine et presque incompréhensible de la pensée humaine. »

Toujours d'actualité, ces propos de Léon Blum s'appliquent à la situation d'aujourd'hui.

Depuis sa fondation, en 1898, notre association a toujours combattu les inégalités, les injustices, les atteintes à la dignité des personnes.

Pourquoi, aujourd'hui, est-elle aphone, sans réaction, face aux attaques contre les acquis sociaux ?

Pourquoi accepte-t'elle tous ces démantèlements, toutes ces dérives, toutes ces atteintes patentes aux droits fondamentaux dans notre pays et ailleurs ?

Pourquoi ne dénonce-t'elle pas cette société injuste qui creuse les inégalités où 10 % de la population mondiale possède 86 % des richesses.

Pense-t'elle qu'il n'y a pas d'alternative ? le fameux syndrome TINA cher aux libéraux.

On le voit dans ces récents et nouveaux choix de communication par les réseaux sociaux, Facebook, Twetter, qu'elle dénonçait, avec véhémence, il y a encore quelques mois.

Si elle pense qu'il n'y a pas d'alternatives, elle se trompe et elle nous trompe.

Il y a toujours des alternatives, c'est, seulement, le courage et la volonté qui manquent pour les faire triompher.

Face à l'adversité, n'avait-elle pas, en 1934, été le moteur de la naissance du « Front Populaire ».

Aujourd'hui, on ne l'entend plus s'exprimer sur les sujets extrêmement brûlants dont j'ai établi un catalogue malheureusement non exhaustif.

Vous pourriez me rétorquerez que la Ligue des Droits de l'Homme ne fait pas de politique.

Je vous renvoie aux propos de Léon Blum et à ceux de Ferdinand Buisson qui fut Président de la Ligue mais surtout Prix Nobel de la Paix en 1927, qui a écrit en 1919 :

« La ligue doit garder son caractère d'organisation de gauche et même d'extrême gauche démocratique, et il ne doit pas y avoir, à cet égard, même l'apparence d'une hésitation. Sans doute, la Ligue reste ouverte à tous les républicains désireux de soutenir les droits de l'homme, si modérées que puissent être leurs opinions politiques et sociales ; mais elle n'a pas de barrière à gauche, elle tient à conserver le contact avec la masse populaire, sans laquelle il n'y a pas de démocratie vivante. »

Si la Ligue des Droits de l'Homme ne fait plus de politique, elle n'est plus la Ligue des Droits de l'Homme et elle figurera, simplement, dans les livres d'histoire mais ne sera plus, comme dans le passé, actrice de cette histoire.

Combattre les injustices, les inégalités, la misère, les discriminations, dénoncer le pétainisme montant, garantir la laïcité, ce n'est pas faire de la politique, c'est la tâche de la Ligue car c'est défendre les droits humains fondamentaux acquis aux périls de leur vie par nos illustres prédécesseurs.

Je pense à Jean Jaurès en prononçant ces mots, mais aussi à beaucoup d'autres.

Quelques contradicteurs, par ailleurs hommes politiques soit-disant de gauche, pactisent avec l'oligarchie dominante en affirmant que ces idées sont archaïques, quelles sont dogmatiques et surannées, mais dans le même temps, des penseurs patentés écrivent que nous devons sortir de la spirale capitalisme / socialisme ou mourir.

Je ne connais pas l'issue du grand chambardement qui nous attend, mais je sais que nous devons nous y préparer.

Les classes dominantes n'ont que rarement, sinon jamais, cédé de plein gré la moindre parcelle de leur pouvoir, et je ne vois pas la raison de croire qu'elle pourrait, demain, agir différemment.

Aussi, nous devons inlassablement leur marteler que les droits humains fondamentaux sont universels, permanents, immuables et intangibles.

Alors qu'il me semble qu'aujourd'hui une majorité d'hommes et de femmes politiques a oublié ce postulat et a démissionné de son rôle à défendre la Démocratie et l'esprit républicain, notre association constitue le dernier rempart pour préserver les droits fondamentaux, la liberté, l'égalité et la fraternité, et promouvoir la solidarité et le vivre ensemble.

« La terre brûle et la LDH regarde ailleurs. »

Je ne veux pas croire, comme l'écrit Cédric Méletta qui a étudié la ligue des droits de l'homme et l'éducation militante des années 1930, qu'elle soit : « à l'instar du Parti radical-socialiste, dont elle est manifestement l'antichambre, un cénacle clientéliste de vieilles barbes républicaines. »

Avant de vous laisser la parole, je voudrais partager quelques rapides réflexions personnelles :

J'ai le sentiment que la Ligue des Droits de l'Homme s'est interdit toute réflexion indépendante et critique de l'exercice du pouvoir.

J'ai le sentiment qu'elle ne prend pas en compte les changements rapides et implacables de la société. La disparition des logiques verticales, où le haut décide pour le bas, la diffusion massive du numérique qui amène au renversement et au remplacement de cette verticalité par des systèmes collaboratifs horizontaux.

J'ai le sentiment qu'elle sous-traite à d'autres les grands problèmes de notre temps - écologie, travail, fiscalité, pauvreté, etc ... alors qu'il s'agit de problèmes qui ont ou auront des conséquences directes et irréversibles sur l'égalité et la fraternité et sur les droits humains fondamentaux.

J'ai le sentiment qu'en faisant ainsi, cela lui évite de se remettre en cause.

« N'ayant pas la force d'agir, ils dissertent. » disait Jaurès.

Malheureusement, en dissertant sans cesse et sans projet, notre association disparaîtra.


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