Ce
texte a été écrit en novembre 2014, en ouverture d'une journée de
réflexion de la fédération du Val d'Oise de la Ligue des Droits de
l'Homme.
Nous
sommes, aujourd'hui, face à une échéance critique pour notre pays
et au delà pour la démocratie, aussi, il me semble utile de le
publier sans aucune retouche car près de trois ans plus
tard rien n'a changer, ou plutôt si, tout s'est compliqué et
aggravé.
JC
Vitran - 4.04.2017
"
Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui
font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laisse faire. "
C'est
Albert Einstein qui a émis cet aphorisme qui matérialise une des
raisons pour lesquelles j'ai désiré vous réunir pour réfléchir
ensemble.
Au
moment où j'écris ces lignes 25 % des jeunes européens sont au
chômage. 119 millions de personnes, soit 1 quart de la population de
l'Union Européenne est en situation de pauvreté et d'exclusion
sociale. Dans notre pays, on dénombre, en tenant compte des victimes
du temps partiel subi et des emplois fantômes, plus de 9 millions de
personnes connaissant des problèmes d'emploi.
Nous
subissons des phénomènes climatiques extrêmes démontrant, s'il le
fallait, l'existence d'un dérèglement climatique dont on a acquis
la certitude qu'il est d'origine humaine.
Certains
aspects de l'écologie - surpêche, atteinte à la biodiversité,
pollution marine et aérienne, par exemple - engendrent des dommages
qui sont en passe de devenir irréversibles obérant définitivement
l'avenir.
Avant
la seconde guerre mondiale, Antoine de Saint Saint-Exupéry affirmait
:
"
On n'hérite pas de la terre de nos ancêtres, on l'emprunte à nos
enfants ".
Pourtant,
force est de constater, qu'aujourd'hui, nous déshéritons nos
descendants en leur laissant une terre en état d'épuisement et une
société égoïste prête à tout moment à basculer dans la
violence.
Les
raisons de ces problèmes sont bien connues, elles se résument en un
seul mot :
CAPITALISME
Dès
le milieu des années 70, des économistes montraient que :
- l'évolution des technologies,
- la loi néolibérale et la prééminence du marché,
- la dérégulation de tous les systèmes,
- la négation des problèmes environnementaux,
ont
donné naissance, d'abord en occident, puis à l'échelle planétaire,
à trois groupes sociaux :
- Une oligarchie dirigeante, composée de quelques dizaines de millions de personnes qui dispose de tous les moyens physique et financier pour dominer et manipuler l'information en temps réel.
- Un groupe important de travailleurs précaires, le plus souvent miséreux, peu qualifié, qui subissent le bon vouloir de la technologie et de la finance.
- Tout le reste qui constitue une classe moyenne décadente à laquelle on fait miroiter l'espoir de rejoindre l’oligarchie dirigeante, mais qui est obsédé par le risque de tomber dans la précarité.
C'est
le paysage social d'aujourd'hui, partout sur la surface de la
planète, où règnent :
- la recherche du profit à court terme,
- la banalisation de la malhonnêteté,
- la corruption,
- la précarité,
- la pauvreté, conséquence banale du fonctionnement du système,
- un profond et dangereux sentiment d'injustice qui provoque la jalousie, l'aigreur et l’amertume et déclenche l'envie de vengeance.
- et une violation continuelle des droits fondamentaux,
Toutes
ces tyrannies et ces atteintes aux droits et à la dignité des
personnes créent des déséquilibres profonds qui menacent la
cohésion sociale, la paix mondiale et conduisent à la barbarie.
Si
on en croit l'historien britannique Arnold Joseph Toynbee, les
sociétés, lorsqu'elle échouent à relever les défis de leur
temps, meurent de " suicide mais pas d'assassinat ".
Il soutenait que la cause fondamentale de l'effondrement d'une
société est lié au déclin d'une minorité qui se bat pour
maintenir sa position de privilèges.
Cette
année, une étude de la NASA affirmait que notre ère
civilisationnelle est condamnée à s'effondrer. La conclusion de
cette étude montre que les raisons de l'effondrement des
civilisations depuis 5000 ans sont l'exploitation excessive des
ressources de la planète et le creusement des inégalités entre les
plus riches et les plus pauvres.
Il
en fut, ainsi, des empires romain, mésopotamien et maya.
Si
les droits fondamentaux ne sont pas respectés, la République est
bafouée et la Démocratie est en danger.
C'est
exactement ce qui se passe dans notre pays, et au delà, en Europe et
dans le monde.
Le
citoyen est déconsidéré et floué.
Voici
des preuves :
Une
majorité de Français a voté contre le traité européen en 2005.
Pourtant
le pouvoir, plutôt les pouvoirs, d'hier comme d'aujourd'hui, n'ont
pas tenu compte de ce vote et acceptent le dictât de l'Union
Européenne.
En
langage politique, cette manoeuvre qui ne respecte pas la volonté du
peuple souverain s'appelle un COUP
D'ETAT.
En
2012, une majorité de Français a élu un nouveau président sur la
foi de ses engagements de campagne ; arrivé à la magistrature
suprême grâce à leurs voix, il fait une politique que l'on peut
qualifier de libérale, contraire à ses engagements.
Par
ailleurs, il ne vous a, certainement, pas échappé qu'il existe une
certaine défiance, pour ne pas dire plus, entre les tenants des
politiques libérales et la démocratie.
Les
thuriféraires du dogme considèrent que la main invisible du marché
est le meilleur moyen de mobiliser les plus bas instincts de l'homme
: l’avidité, l'avarice, la soif du pouvoir et la richesse.
Tout
le contraire de l'esprit de solidarité, d'égalité et de fraternité
qui caractérise le pacte républicain et les convictions des membres
de la Ligue des Droits de l'Homme.
Cette
société capitaliste, adversaire de la démocratie, nous conduit
droit à l'oppression, à l'autoritarisme, au totalitarisme voire au
fascisme.
Pour
l'oligarchie de pouvoir, le caractère sacré des contrats, la
propriété, et le droit individuel d'entreprendre et d'agir doit
être protégé. L'Etat doit utiliser son monopole de violence pour
défendre à tout prix les libertés « libérales », s'engager dans
la voie de la privatisation et de la marchandisation de tous les
biens communs jusque là public et considérer « tout » comme une
marchandise.
Ce
qui est profondément lamentable, c'est que pour cette philosophie,
l'échec d'une personne est attribué à sa défaillance personnelle
et la victime est responsable de son malheur.
Si
le pauvre est pauvre, le chômeur sans travail, c'est de leur
responsabilité, de leur faute et il n'est pas question de rechercher
la cause de leur situation dans les échecs de la société.
Ces
derniers jours ont vu la découverte ... est-ce une découverte ?
d'un accord secret entre le Luxembourg et 340 multinationales et
quelques grandes familles. Le CCFD a fait paraître un rapport
accablant sur l'évasion fiscale et le système bancaire. Si les
banques, que les citoyens contribuables ont renflouées, et les
sociétés payaient normalement l'impôt, on nous bassinerait pas
avec la dette, nous pourrions éradiquer la pauvreté,
etc ...
Pourtant
c'est dans nos poches vides que l'on essaye encore, et toujours, de
puiser pour résoudre cette soi-disant crise.
Le
Secours Catholique a remis son dernier rapport sur la pauvreté. On y
apprend que la paupérisation s'accélère partout dans la population
et particulièrement chez les seniors. Le document alerte les
autorités sur la précarité énergétique grandissante avec la
montée des prix dans ce domaine. On évalue à près de 9 millions
le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté dans
notre pays.
Dans
le domaine de l'emploi, les attaques contre le salariat sont menées
sur deux fronts.
Diminuer,
voire anéantir le pouvoir des syndicats et établir la flexibilité
du travail en détricotant les acquis. L'image du « travailleur
jetable » se généralise. On nous fait croire que la croissance
résoudra le problème du chômage, alors que l'on sait parfaitement
qu'il est endémique et qu'il ne fera que croître.
La
philosophie « j’achète, donc je suis » et l'individualisme
possessif sont exacerbés. Le monde libéral est fait de pseudo –
satisfactions de surface, mais de vides et de frustrations à
l'intérieur laissant seulement l’impression
d'une certaine jouissance mais dans la servitude volontaire.
Comme
l'affirma Cornélius Castoriadis : « ce qu'on appelle le progrès
technologique a été obtenu par la transformation des humains en
machines à produire et à consommer ».
Comme
la démocratie, l'écologie ne fait pas bon ménage avec le
capitalisme car elle est antinomique avec le capitalisme.
A
ce sujet, le pacte bidon qui vient d'être signé entre les deux plus
grands pollueurs de la planète ne doit pas faire illusion. La Chine
et les Etats-unis ne veulent pas d'accords contraignants, alors ils
font semblant, pour le bien de l'humanité, de s'entendre pour mieux
torpiller le rendez-vous de 2015 prévu à Paris.
En
2002, au sommet de la terre qui se tenait déjà à Paris, le
Président Français, pris d'un subit mais passager accès de
lucidité, a affirmé « la maison brûle et nous regardons
ailleurs », aujourd'hui 12 ans plus tard, nous regardons
toujours ailleurs.
Dans
un autre domaine, l'Etat privatise la solidarité par voie d'ONG, le
Téléthon, par exemple, lui permet de se désengager d'une partie
des questions sociales et il utilise les associations comme « les
chevaux de Troie » du libéralisme mondial.
On
pourrait ajouter les négociations « confidentielles » et anti
démocratiques, pour ne pas dire secrètes, sur le Grand Traité
Transatlantique - TAFTA.
A
ce propos, les propos de Karl Polanyi sont clairs : « permettre
aux mécanismes du marché de devenir seuls maîtres du destin des
êtres humains et de leur environnement naturel … conduira à la
destruction de la société. »
Un
chiffre seulement pour illustrer la folie du système : le volume
annuel des transactions sur les marchés financiers est passé de
1000 milliards d'€ en 1983 à 1 600 000 milliards € en 2008.
Ce
constat, incomplet, est mortifère pour l'humanité. Il faut
absolument réagir et aider notre société à sortir la tête de
l'eau avant qu'il ne soit trop tard.
Lors
du congrès de Tours de la Ligue des Droits de l'homme de 1937, Léon
Blum a tenu les propos suivants : « La ligue fondée pour
défendre les droits de la personne devait se porter à la défense
des libertés collectives qui en sont la condition. C'est en hésitant
à se jeter dans la lice qu'elle aurait manqué à sa mission,
qu'elle aurait trahi la pensée de ses fondateurs et de ses chefs …
Les circonstances l'appelaient à une tâche plus ample, plus
difficile, mais identique dans son essence : défendre les principes
même, l'existence même de la démocratie menacée par une
régression soudaine et presque incompréhensible de la pensée
humaine. »
Toujours
d'actualité, ces propos de Léon Blum s'appliquent à la situation
d'aujourd'hui.
Depuis
sa fondation, en 1898, notre association a toujours combattu les
inégalités, les injustices, les atteintes à la dignité des
personnes.
Pourquoi,
aujourd'hui, est-elle aphone, sans réaction, face aux attaques
contre les acquis sociaux ?
Pourquoi
accepte-t'elle tous ces démantèlements, toutes ces dérives, toutes
ces atteintes patentes aux droits fondamentaux dans notre pays et
ailleurs ?
Pourquoi
ne dénonce-t'elle pas cette société injuste qui creuse les
inégalités où 10 % de la population mondiale possède 86 % des
richesses.
Pense-t'elle qu'il n'y a pas d'alternative ? le fameux syndrome TINA cher aux libéraux.
On
le voit dans ces récents et nouveaux choix de communication par les
réseaux sociaux, Facebook, Twetter, qu'elle dénonçait, avec
véhémence, il y a encore quelques mois.
Si
elle pense qu'il n'y a pas d'alternatives, elle se trompe et elle
nous trompe.
Il
y a toujours des alternatives,
c'est, seulement, le courage et la volonté qui manquent pour
les faire triompher.
Face
à l'adversité, n'avait-elle pas, en 1934, été le moteur de la
naissance du « Front Populaire ».
Aujourd'hui,
on ne l'entend plus s'exprimer sur les sujets extrêmement brûlants dont j'ai établi un catalogue malheureusement non exhaustif.
Vous
pourriez me rétorquerez que la Ligue des Droits de l'Homme ne fait
pas de politique.
Je
vous renvoie aux propos de Léon Blum et à ceux de Ferdinand Buisson
qui fut Président de la Ligue mais surtout Prix Nobel de la Paix en
1927, qui a écrit en 1919 :
«
La ligue doit garder son caractère d'organisation de gauche et même
d'extrême gauche démocratique, et il ne doit pas y avoir, à cet
égard, même l'apparence d'une hésitation. Sans doute, la Ligue
reste ouverte à tous les républicains désireux de soutenir les
droits de l'homme, si modérées que puissent être leurs opinions
politiques et sociales ; mais elle n'a pas de barrière à gauche,
elle tient à conserver le contact avec la masse populaire, sans
laquelle il n'y a pas de démocratie vivante. »
Si
la Ligue des Droits de l'Homme ne fait plus de politique, elle n'est
plus la Ligue des Droits de l'Homme et elle figurera, simplement,
dans les livres d'histoire mais ne sera plus, comme dans le passé,
actrice de cette histoire.
Combattre
les injustices, les inégalités, la misère, les discriminations,
dénoncer le pétainisme montant, garantir la laïcité, ce n'est pas
faire de la politique, c'est la tâche de la Ligue car c'est défendre
les droits humains fondamentaux acquis aux périls de leur vie par
nos illustres prédécesseurs.
Je
pense à Jean Jaurès en prononçant ces mots, mais aussi à beaucoup
d'autres.
Quelques
contradicteurs, par ailleurs hommes politiques soit-disant de gauche,
pactisent avec l'oligarchie dominante en affirmant que ces idées
sont archaïques, quelles sont dogmatiques et surannées, mais dans
le même temps, des penseurs patentés écrivent que nous devons
sortir de la spirale capitalisme / socialisme ou mourir.
Je
ne connais pas l'issue du grand chambardement qui nous attend, mais
je sais que nous devons nous y préparer.
Les
classes dominantes n'ont que rarement, sinon jamais, cédé de plein
gré la moindre parcelle de leur pouvoir, et je ne vois pas la raison
de croire qu'elle pourrait, demain, agir différemment.
Aussi,
nous devons inlassablement leur marteler que les droits humains
fondamentaux sont universels, permanents, immuables et intangibles.
Alors
qu'il me semble qu'aujourd'hui une majorité d'hommes et de femmes
politiques a oublié ce postulat et a démissionné de son rôle à
défendre la Démocratie et l'esprit républicain, notre association
constitue le dernier rempart pour préserver les droits
fondamentaux, la liberté, l'égalité et la fraternité, et
promouvoir la solidarité et le vivre ensemble.
«
La terre brûle et la LDH regarde ailleurs. »
Je
ne veux pas croire, comme l'écrit Cédric Méletta qui a étudié la
ligue des droits de l'homme et l'éducation militante des années
1930, qu'elle soit : « à
l'instar du Parti radical-socialiste, dont elle est manifestement
l'antichambre, un cénacle clientéliste de vieilles barbes
républicaines. »
Avant
de vous laisser la parole, je voudrais partager quelques rapides
réflexions personnelles :
J'ai
le sentiment que la Ligue des Droits de l'Homme s'est interdit
toute réflexion indépendante et critique de l'exercice du pouvoir.
J'ai
le sentiment qu'elle ne prend pas en compte les changements
rapides et implacables de la société. La disparition des logiques
verticales, où le haut décide pour le bas, la diffusion massive du
numérique qui amène au renversement et au remplacement de cette
verticalité par des systèmes collaboratifs horizontaux.
J'ai
le sentiment qu'elle sous-traite à d'autres les grands
problèmes de notre temps - écologie, travail, fiscalité, pauvreté,
etc ... alors qu'il s'agit de problèmes qui ont ou auront des
conséquences directes et irréversibles sur l'égalité et la
fraternité et sur les droits humains fondamentaux.
J'ai
le sentiment qu'en faisant ainsi, cela lui évite de se remettre en
cause.
«
N'ayant pas la force d'agir, ils dissertent. » disait
Jaurès.
Malheureusement,
en dissertant sans cesse et sans projet, notre association
disparaîtra.
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