De
Jean Coste est un court roman de Charles Péguy des plus oubliés.
Le poète y exprimait, en 55 pages, en 1902, sa haine de la misère
et son amour de la pauvreté. D'aucuns diraient, aujourd'hui,
autrement, que seule la pauvreté peut venir à bout de la misère ou
qu'il n'est que la sobriété qui rende heureux. Si ces affirmations
continuent de surprendre, voire de choquer, peut-être, à y regarder
de plus près, n'y a-t-il, pour sept milliards d'humains, bientôt
dix, aucune autre voie qui conduise à la paix sur notre planète.
À
confondre misère et pauvreté, on condamne des peuples entiers à la
misère.
Il
est temps de "régénérer une bien vieille distinction entre la
pauvreté et la misère : une distinction attribuée à saint Thomas,
pour qui la pauvreté représentait le manque du superflu, alors que
la misère signifiait le manque du nécessaire. C'est dans ce sens
que, bien plus tard, Proudhon parlera de la pauvreté comme " la
condition normale de l'homme en civilisation", que Péguy
comparera la pauvreté comme un réduit, un asile sacré, permettant
à celui qui s'y bornait de ne courir aucun risque de tomber dans la
misère".
"On confond presque toujours la misère avec la pauvreté ; cette confusion vient de ce que la misère et la pauvreté sont voisines ; elles sont voisines sans doute, mais situées de part et d'autre d'une limite ; et cette limite est justement celle qui départage l'économie au regard de la morale ; cette limite économique est celle en deçà de qui la vie économique n'est pas assurée, au delà de qui la vie économique est assurée ; cette limite est celle où commence l'assurance de la vie économique".
"Le
devoir d'arracher les misérables à la misère et le devoir de
répartir également les biens ne sont pas du même ordre : le
premier est un devoir d'urgence ; le deuxième est un devoir de
convenance ; non seulement les trois termes de la devise
républicaine, liberté, égalité, fraternité, ne sont pas sur le
même plan, mais les deux derniers eux-mêmes, qui sont plus
rapprochés entre eux qu'ils ne sont tous deux proches du premier,
présentent plusieurs différences notables ; par la fraternité
nous sommes tenus d'arracher à la misère nos frères les hommes ;
c'est un devoir préalable ; au contraire le devoir d'égalité
est un devoir beaucoup moins pressant ; autant il est
passionnant, inquiétant de savoir qu'il y a encore des hommes dans
la misère, autant il m'est égal de savoir si, hors de la misère,
les hommes ont des morceaux plus ou moins grands de fortune ; je
ne puis parvenir à ma passionner pour la question célèbre de
savoir à qui reviendra, dans la cité future, les bouteilles de
champagne, les chevaux rares, les châteaux de la vallée de la
Loire ; j'espère qu'on s'arrangera toujours ; pourvu qu'il
y ait vraiment une cité, c'est-à-dire pourvu qu'il n'y ait aucun
homme qui soit banni de la cité, tenu en exil dans la misère
économique, tenu dans l'exil économique, peu m'importe que tel ou
tel ait telle ou telle situation ; de bien autres problèmes
solliciteront sans doute l'attention des citoyens ; au contraire
il suffit qu'un seul homme soit tenu sciemment, ou, ce qui revient au
même, sciemment laissé dans la misère pour que le pacte civique
tout entier soit nu ; aussi longtemps qu'il y a un homme dehors, la
porte qui lui est fermée au nez ferme une cité d'injustice et de
haine.
JP
Dacheux - 03.08.16
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