Nous
avons choisi de relayer la lettre ouverte ci-dessous adressée par le
Maire de Grande-Synthe au nouveau Président de la République car
nous sommes en accord avec tous ses propos.
Jean-Claude
VITRAN et Jean-Pierre DACHEUX
Maire
de Grande-Synthe, j'ai ouvert le premier de camp de réfugiés en
France en mars 2016 pour faire face à une urgence humanitaire et au
refus de l'Etat, à l'époque, de prendre en compte la situation
extrême à laquelle j'étais confronté. Ce camp a complètement été
détruit par un incendie le 10 avril dernier. Aujourd'hui, plus de
350 réfugiés sont à nouveau là. Depuis son élection, j'ai
interpellé le nouveau gouvernement en vain.
Monsieur
le Président de la République,
Si
je m’adresse à vous aujourd’hui par le biais de cette lettre
ouverte, c’est parce qu’en tant qu’élu de la République -
au même titre que vous - je vous ai demandé un rendez-vous, à
vous-même, à votre 1er ministre et à votre ministre de l’intérieur
voilà déjà plusieurs semaines. Or, malgré l’urgence humanitaire
à laquelle je dois à nouveau faire face dans ma commune, vous
refusez de prendre en considération l’urgence extrême de ma
sollicitation.
Je
décide donc, aujourd’hui, de prendre la France à témoin de mon
interpellation.
Pour
mémoire : le 10 avril 2017, le lieu d’accueil humanitaire de
Grande-Synthe brûlait.
C’était
hier. C’était il y a trois mois. C’était il y a une éternité.
Ce
lieu d’accueil a permis, pendant plus d’un an d’existence, de
mettre à l’abri des milliers de personnes, hommes, femmes,
enfants, essentiellement kurdes, puis afghans, venus d’horizons
divers, souvent de zones de guerres ou en prise au terrorisme.
Si
j’ai décidé, seul, de construire ce lieu d’accueil humanitaire
en décembre 2015 avec l’aide de MSF, c’est parce que tout comme
aujourd’hui, je n’obtenais aucune réponse du gouvernement de
l’époque à mes interpellations face à un véritable drame
humanitaire qui se jouait sur ma commune. Des centaines, puis de
milliers de personnes venaient trouver refuge sur le sol de ma petite
ville de 23 000 habitants. Quel choix s’offrait à moi, en tant que
garant des valeurs de la république française ?
Dans
mon monde, Monsieur le Président, celui que je m’échine à
construire, les mots Liberté, Egalité, Fraternité
ne sont pas des anagrammes hasardeux piochés à l’aveugle dans une
pochette usagée d’un vulgaire jeu de société.
Est-ce
que les mêmes causes devront produire les mêmes effets cet été
2017 ?
Notre
lieu d’accueil, communément appelé La Linière, a permis pendant
des mois d’être un lieu de premier secours humanitaire, offrant ce
temps de répit et de récupération à toutes celles et ceux qui
avaient tant risqué et déjà tant perdu pour arriver jusqu’à
Grande-Synthe - à défaut de pouvoir passer en Angleterre par
Calais - .
La
Linière n’était pas « un point de fixation » Monsieur
le Président, mais bien un point d’étape. Un lieu de transit sur
la route de la migration qui pousse ces milliers de personnes
vers l’Angleterre.
Il
n’a créé aucun « appel d’air » contrairement
à ce qu’affirme votre ministre de l’intérieur, puisqu’ils
étaient déjà 2 500 sur ma ville avant que je décide de la
construction du site !
Il
y avait, jusqu’en octobre 2016, près de 6 000 réfugiés à Calais
alors que rien n’avait été conçu pour les accueillir.
Ils
étaient plus de 3 000 à Paris avant qu’Anne Hidalgo ne
décide courageusement de créer un lieu d’accueil à La Chapelle
et à Ivry.
Ils
sont aujourd’hui, comme hier, plus de 100 à Steenvoorde, dans le
nord, alors que rien n’existe pour eux.
Évoquer
l’appel d’air n’est que prétexte à l’immobilisme !
Un
immobilisme ravageur sur le plan humain.
Un
immobilisme mortifère.
Un
immobilisme indigne de la France, patrie dite des « Droits de
l’Homme et du Citoyen ».
Un
immobilisme contraire à vos récentes déclarations à Bruxelles et
à Versailles.
De
mars à août 2016, nous avons avec l’aide de l’état, du
travail extraordinaire d’associations dévouées, des non moins
remarquables ONG - Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde,
la Croix Rouge Française, Gynécologie Sans Frontières, Dentistes
Sans Frontières - et des services de la ville, ramené le camp à
une jauge « raisonnable» puisque la population sur le site est
passée de 1 350 personnes à 700.
C’est
le démantèlement de la Jungle de Calais qui est venu bousculer
notre lieu d’accueil humanitaire et conduit à la fin que nous
connaissons.
Je
reçois aujourd’hui de nombreux témoignages, y compris de
personnes antérieurement hostiles au camp, qui m’interpellent sur
son rôle et son utilité pour tous ; les réfugiés évidemment,
mais aussi les associations et à mots couverts les divers services
de l’état qui voyaient dans ce camp un outil pour canaliser la
pression et éviter ce que nous connaissons depuis sa disparition :
l’étalement et l’éparpillement des migrants sur tout le
littoral dans des conditions de vie indignes.
Expliquez-moi,
Monsieur le Président, comment aujourd’hui peut-on prétendre
contrôler quoi que ce soit, prévoir quoi que ce soit alors que ne
prévaut qu’une politique de fermeté et d’intransigeance contre
les réfugiés, secondée d’un mépris total envers les
associations ?
Comment
aujourd’hui pourrait-on se contenter de «disperser et ventiler»
les réfugiés pour les condamner à errer sans but comme s’ils
étaient par nature invisibles ?
Ces
migrants, ces réfugiés ont tous une identité et une vie, Monsieur
le Président.
Ils
cherchent à Paris, Grande-Synthe, Calais, Steenvoorde ou ailleurs,
un refuge.
Ne
le voyez vous pas ? Ou peut-être ne le comprenez-vous pas ?
En
les traquant comme des animaux, nous les transformons inévitablement
en bêtes humaines.
On
les traque de la sorte en espérant - peut-être ? -
qu’ils craquent et commettent des méfaits qui justifieraient
l’emploi de la force et les évacuations musclées. Vous pourrez
alors, en bout de course, l’affirmer avec pédagogie –
démagogie ?- « On vous l’avait bien
dit ! »
Nous
serions ainsi condamnés à l’impuissance et au cynisme en évitant
de construire des lieux d’accueil humanitaires parce qu’ils
provoqueraient « un appel d’air inévitable » ?
Nous devrions choisir l’aveuglement, changer le prisme de notre
conscience objective pour ne simplement plus voir ceux qui
reconstituent des campements aujourd’hui, et demain, c’est
certain, des jungles ?
Préfère-t-on
les « jungles » à des lieux d’accueil humanitaires
dans notre République française du 21ème siècle ?
Préfère-t-on
nier les problèmes et s’en remettre à des recettes qui ont déjà
toutes échouées ?
Préfère-t-on
réellement bloquer ces migrants en Lybie, où la plupart d’entre
eux se font violer ou torturer, loin de nos frontières et de nos
yeux bien clos ?
Monsieur
le Président, vous avez déclaré récemment à Bruxelles : « la
France doit se montrer digne d’être la patrie des Droits de
l’Homme en devenant un modèle d’hospitalité ».
Au
même moment, votre ministre de l’intérieur fustigeait les
associations à Calais en leur demandant « d’aller faire
voir leur savoir-faire ailleurs ! ».
Ces
discours étrangement contradictoires ne peuvent perdurer.
Mettez
vos déclarations en actes !
Le
gouvernement a choisi délibérément de tracer une frontière
invisible, une ligne de démarcation organisant d’un côté la
prise en charge des réfugiés via les Centres d’Accueil et
d’Orientation (CAO) et laissant à l’abandon de l’autre côté,
sur le littoral des Hauts de France, à la fois les migrants et les
collectivités.
C’est,
je vous l’écris Monsieur le Président, honteux et inacceptable !
J’ai
croisé sur le lieu humanitaire de la Linière, bien des destins ;
des destins meurtris, blessés mais toujours dignes.
D’aucuns
diront peut-être que ma vision est « angélique ».
Je
sais mieux que quiconque que La Linière était loin d’être
parfaite. Mais notre lieu d’accueil était à l’époque la seule
et indispensable réponse à l’urgence.
J’ai
toujours soutenu depuis leur création la constitution de centres
d’accueil et d’orientation et j’ai défendu les mérites de ces
dispositifs dans tous mes déplacements ainsi qu’auprès de mes
collègues maires.
Nombre
d’entres eux témoignent d’ailleurs de la richesse qui en
découle. Lorsqu’ils en ouvrent sur leur commune, tout se passe
merveilleusement bien, avec les réfugiés, comme avec la population
locale. En dépit quelquefois de manifestations préalables à
l’annonce de l’ouverture des CAO.
Il
faut les multiplier, les renforcer, asseoir davantage les fonctions
d’accueil et d’orientation avec l’aide des associations, des
citoyens locaux, plutôt que de s’en servir comme de lieux
permettant d’y repousser les réfugiés.
Je
souhaite que nous construisions une répartition territoriale du
dispositif national d’accueil dans lequel le littoral Côte d’Opale
devra aussi prendre sa part. Nous pourrons y créer des lieux
d’accueil et de transit dans lesquels, celles et ceux qui arrivent
sur le littoral, comme c’est le cas à Paris, se poseront quelques
jours et réfléchiront à la suite de leur parcours. Car tant que
l’Angleterre sera là, à portée de vue des falaises, des réfugiés
voudront s’y rendre. - Et à cela, vous ne pourrez rien changer
-.
Grande-Synthe
est prête à accueillir dignement, à la hauteur d’un lieu
dimensionné et respectueux des lois et des personnes y séjournant.
Nous avons ici ou à Paris démontré que cela était possible, à la
condition que l’Etat nous accompagne.
Il
faudra que vous persuadiez d’autres maires d’accepter d’ouvrir
des lieux, en les accompagnant financièrement au titre d’une
«péréquation humanitaire ». Quelle magnifique mesure ce
serait là ! Une mesure chargée de symbole !
Il
faudra aussi, Monsieur le Président, réformer le droit d’asile,
rendre plus rapide l’examen des demandes et élargir la notion de
protections, alors que les procédures sont aujourd’hui
décourageantes et malsaines.
Enfin
parce que cela est une exigence absolue, nous devons tout faire pour
lutter contre les réseaux de passeurs, comme je l’ai fait à
Grande-Synthe. Je réaffirme au passage, que ce ne sont pas les
lieux d’accueil qui favorisent les réseaux de passeurs, mais bel
et bien les frontières, les murs, les barbelés et les
garde-frontières que l’on multiplie qui donnent naissance à ces
réseaux mafieux. Depuis toujours.
Il
faudra donc, au-delà des réponses répressives de la police et de
la justice, assécher ce trafic intarissable en créant des
corridors humanitaires entre l’Europe et les pays de départ, aux
frontières de ces pays, et accorder beaucoup plus de visas
humanitaires. Visas qu’il faudra rendre européens.
Monsieur
le Président, il fut un temps où la France a tristement organisé
54 000 traversées de l’Atlantique pour transporter 13 millions
d’esclaves.
Il
est venu l’heure de laver cet affront historique aux yeux du monde,
en organisant un accueil avec le minimum d’hospitalité et de
dignité qu’exige la vie de tout être humain. A fortiori dans ce
beau pays qui nous/vous a été confié, où constitutionnellement
«Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droits ».
Vous
allez sortir un nouveau texte fixant de «nouvelles»
directives, élaborer un «nouveau» plan. Un de plus. La
liste est pourtant tristement longue.
Le
problème, Monsieur le Président, c’est qu’aujourd’hui, la
France est sur-administrée par des textes, et bien trop
sous-administrée en moyens.
Il
faut poser des actes.
Des
actes audacieux.
Des
actes courageux.
Dans
l’espoir sincère que vous aurez le courage d’entendre ce que je
tâche de vous écrire dans cette longue lettre et dans l’attente
impatiente de vous lire,
Je
vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mon
profond respect.
Damien
CAREME
Maire
de Grande-Synthe
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à poster un commentaire.