La laïcité,
telle qu'elle a été pensée, depuis plus d'un siècle, est
anticléricale1,
pas antireligieuse2
mais bel et bien anticléricale. Elle fut et reste une lutte contre
la domination des clercs dans la vie publique. Il faut relever que
cette domination se fondait sur le fait de la prééminence du
catholicisme, en France, dans la société monarchiste puis
restauratrice après la Révolution. À la fin du XIXème siècle, le
protestantisme et le judaïsme, minoritaires, ont vu, dans la
laïcité, une protection contre ce pouvoir de l'Église sur les
institutions scolaire, sanitaire, judiciaire... et la disparition du
crucifix dans les établissements publics a marqué ce passage à une
société nouvelle où les citoyens n'avaient plus à se soumettre
aux contraintes sociologiques qui, depuis des siècles, étaient
imposées par la religion majoritaire.
Ce qui a
changé au cours du XXème siècle, progressivement, en France, c'est
la découverte de la pluralité des sociétés à l'occasion des
voyages facilités par l'amélioration des moyens de transport. La
religion catholique a cessé d'être majoritaire et a dû admettre
que la laïcité, qu'elle avait tant combattue, lui était devenue
une protection. Un des effets de la colonisation a été la migration
de populations africaines vers le pays colonisateur, avec leurs modes
de vie alimentaire, vestimentaire, linguistique et religieux. Ainsi
l'Islam est-il devenu la seconde religion pratiquée non seulement
par des immigrés mais aussi par des Français. La France est
plurielle, plus que jamais, au grand dam des citoyens nostalgiques
d'une unité identitaire et nationale devenue impossible.
La laïcité,
dans ce contexte, a subi aussi une transformation de son contenu
idéologique. D'aucuns ont cru que cette spécificité française
avait fait son temps alors, qu'au contraire, elle devenait le lien
citoyen entre des populations aux cultures non monolithiques. La
laïcité est, à présent, un moyen de vivre dans la fraternité que
la devise républicaine, inscrite dans notre Constitution, a installé
comme une valeur politique commune. La laïcité non seulement n'est
pas antireligieuse mais elle n'a même plus besoin d'être
anticléricale3.
Elle a cessé d'être contre les églises et, de façon positive,
elle est devenue la mise en œuvre du respect d'autrui, pas de tout
ce qu'autrui pense, mais de ce qu'est autrui lui-même.
La reconnaissance de l'altérité du peuple français et de la
richesse qui en résulte fait désormais partie de la démocratie « à
la française » qui peut, à présent, sortir de nos
frontières, en Europe et au-delà, sans porter les idéaux
républicains « à la pointe des baïonnettes » et sans
risque de sectarisme, d'intolérance ou de dogmatisme politiques.
S'accepter
différents, renoncer à tout prosélytisme et à toute ambition
missionnaire est partagé, de nos jours, par nombre de nos
concitoyens. La laïcité 2017 fonde une culture ouverte qui
abandonne la prétention de posséder la vérité, ce qui n'interdit
pas, au contraire, de la rechercher. Les fléaux du totalitarisme
absolu et de l'européocentrisme conquérant, dont le XXème siècle
a révélé les épouvantables dangers, ne sont pas derrière nous
mais nous savons mieux comment y faire face. Cela va plus loin que la
seule tolérance car cela suppose une humilité intellectuelle qui ne
peut que croître au fur et à mesure que s'élargit, rapidement,
l'étendue de nos savoirs sur la démesure du ciel et la complexité
du vivant sur Terre, « l'infiniment grand et l'infiniment
petit » eut dit Pascal4.
La laïcité
2017 n'est ni scientiste ni croyante, elle est la quête sans fin de
l'art de vivre ensemble. Elle garantit la liberté de conscience et
donc la liberté de penser et de s'exprimer. Elle prolonge les acquis
antérieurs qui déjà protégeaient les citoyens contre les risques
d'avoir à se soumettre à une doctrine ou à une
religion d'État. Elle n'entre en conflit avec aucune vérité
révélée car elle ne lui en oppose aucune. Elle veille seulement à
ce que, ni violemment ni subrepticement, ne s'introduise un savoir
officiel en la Cité. Les débats qui se sont faits jour, ces
dernières années, visaient à faire reculer le droit à la pensée
libre. Défendre le droit d'autrui à ne pas penser comme soi reste
au cœur de la laïcité mais à la condition que celui qui conteste
ce que d'autres pensent ou disent n'use pas de la force pour parvenir
à les convaincre ou les faire taire. Il se placerait alors hors de
la communauté civile.
1 Selon le Grand Robert, est anticlérical celui qui est opposé à l'influence et à l'intervention du clergé dans la vie publique.
Victor
Hugo, qui avait des convictions religieuses, a été clairement
anticlérical.
2 Est
antireligieux celui qui est opposé à la religion elle-même,
voire à toute religion.
Voltaire
bien qu'antireligieux et anticlérical était déiste.
Jacques
Prévert était antireligieux autant qu'anticlérical.
3 Anticléricalisme
et antireligion se sont trouvés trop souvent confondus pour qu'il
n'en subsiste aucune trace, aujourd'hui encore.
4 Blaise
Pascal dans ses Pensées,sans
pouvoir savoir, en dépit de son génie, ce que la science moderne
nous enseigne, osait déjà écrire : « Car
enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à
l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre
rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la
fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés
dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant
d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti ».
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