Archives du blog

mercredi 4 janvier 2017

Laïcité 2017


La laïcité, telle qu'elle a été pensée, depuis plus d'un siècle, est anticléricale1, pas antireligieuse2 mais bel et bien anticléricale. Elle fut et reste une lutte contre la domination des clercs dans la vie publique. Il faut relever que cette domination se fondait sur le fait de la prééminence du catholicisme, en France, dans la société monarchiste puis restauratrice après la Révolution. À la fin du XIXème siècle, le protestantisme et le judaïsme, minoritaires, ont vu, dans la laïcité, une protection contre ce pouvoir de l'Église sur les institutions scolaire, sanitaire, judiciaire... et la disparition du crucifix dans les établissements publics a marqué ce passage à une société nouvelle où les citoyens n'avaient plus à se soumettre aux contraintes sociologiques qui, depuis des siècles, étaient imposées par la religion majoritaire.

Ce qui a changé au cours du XXème siècle, progressivement, en France, c'est la découverte de la pluralité des sociétés à l'occasion des voyages facilités par l'amélioration des moyens de transport. La religion catholique a cessé d'être majoritaire et a dû admettre que la laïcité, qu'elle avait tant combattue, lui était devenue une protection. Un des effets de la colonisation a été la migration de populations africaines vers le pays colonisateur, avec leurs modes de vie alimentaire, vestimentaire, linguistique et religieux. Ainsi l'Islam est-il devenu la seconde religion pratiquée non seulement par des immigrés mais aussi par des Français. La France est plurielle, plus que jamais, au grand dam des citoyens nostalgiques d'une unité identitaire et nationale devenue impossible.

La laïcité, dans ce contexte, a subi aussi une transformation de son contenu idéologique. D'aucuns ont cru que cette spécificité française avait fait son temps alors, qu'au contraire, elle devenait le lien citoyen entre des populations aux cultures non monolithiques. La laïcité est, à présent, un moyen de vivre dans la fraternité que la devise républicaine, inscrite dans notre Constitution, a installé comme une valeur politique commune. La laïcité non seulement n'est pas antireligieuse mais elle n'a même plus besoin d'être anticléricale3. Elle a cessé d'être contre les églises et, de façon positive, elle est devenue la mise en œuvre du respect d'autrui, pas de tout ce qu'autrui pense, mais de ce qu'est autrui lui-même. La reconnaissance de l'altérité du peuple français et de la richesse qui en résulte fait désormais partie de la démocratie « à la française » qui peut, à présent, sortir de nos frontières, en Europe et au-delà, sans porter les idéaux républicains « à la pointe des baïonnettes » et sans risque de sectarisme, d'intolérance ou de dogmatisme politiques.

S'accepter différents, renoncer à tout prosélytisme et à toute ambition missionnaire est partagé, de nos jours, par nombre de nos concitoyens. La laïcité 2017 fonde une culture ouverte qui abandonne la prétention de posséder la vérité, ce qui n'interdit pas, au contraire, de la rechercher. Les fléaux du totalitarisme absolu et de l'européocentrisme conquérant, dont le XXème siècle a révélé les épouvantables dangers, ne sont pas derrière nous mais nous savons mieux comment y faire face. Cela va plus loin que la seule tolérance car cela suppose une humilité intellectuelle qui ne peut que croître au fur et à mesure que s'élargit, rapidement, l'étendue de nos savoirs sur la démesure du ciel et la complexité du vivant sur Terre, « l'infiniment grand et l'infiniment petit » eut dit Pascal4.

La laïcité 2017 n'est ni scientiste ni croyante, elle est la quête sans fin de l'art de vivre ensemble. Elle garantit la liberté de conscience et donc la liberté de penser et de s'exprimer. Elle prolonge les acquis antérieurs qui déjà protégeaient les citoyens contre les risques d'avoir à se soumettre à une doctrine ou à une religion d'État. Elle n'entre en conflit avec aucune vérité révélée car elle ne lui en oppose aucune. Elle veille seulement à ce que, ni violemment ni subrepticement, ne s'introduise un savoir officiel en la Cité. Les débats qui se sont faits jour, ces dernières années, visaient à faire reculer le droit à la pensée libre. Défendre le droit d'autrui à ne pas penser comme soi reste au cœur de la laïcité mais à la condition que celui qui conteste ce que d'autres pensent ou disent n'use pas de la force pour parvenir à les convaincre ou les faire taire. Il se placerait alors hors de la communauté civile.

1 Selon le Grand Robert, est anticlérical celui qui est opposé à l'influence et à l'intervention du clergé dans la vie publique.
Victor Hugo, qui avait des convictions religieuses, a été clairement anticlérical.
2 Est antireligieux celui qui est opposé à la religion elle-même, voire à toute religion.
Voltaire bien qu'antireligieux et anticlérical était déiste.
Jacques Prévert était antireligieux autant qu'anticlérical.
3 Anticléricalisme et antireligion se sont trouvés trop souvent confondus pour qu'il n'en subsiste aucune trace, aujourd'hui encore.
4 Blaise Pascal dans ses Pensées,sans pouvoir savoir, en dépit de son génie, ce que la science moderne nous enseigne, osait déjà écrire : « Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à poster un commentaire.