Un autre monde est
possible chantaient les altermondialistes, mais le monde qui vient
n'est peut-être pas celui auquel ils aspiraient !
Le mot fin s'entend
soit
pour évoquer ce qui s'achève, soit pour indiquer ce que l'on vise
comme objectif. Nous avons
beaucoup de mal à comprendre et à admettre que ce que nous
avions considéré comme promis à un développement infini prenne fin sous nos yeux.
Ainsi, à notre grand
dam, la fin du travail salarié est-elle annoncée. Pas la
fin
du travail puisqu'il n'est pas de société humaine sans activités !
C'est le travail salarié qui décroît inéluctablement puisque nous
savons produire de plus en plus avec de moins en moins de main
d'œuvre. En outre, à vouloir réduire toujours plus le « coût
du travail » tout en augmentant la productivité, les entreprises diminuent le nombre d'emplois et
génèrent le chômage perpétuel.
La fin de cette
croissance indéfinie qui ne produit plus d'emplois est un phénomène inéluctable, qu'on observe
aisément en occident et, de plus en plus, dans les pays dits
émergents. Aucun mystère à cela : la mode publicitaire et
l'obsolescence programmée ne suffisent plus à retarder la
saturation de la consommation. Plus encore la croissance est
indispensable seulement là où il y a insuffisance et, surtout, ne
pas fixer de limites dans un monde limité est plus qu'insensé,
c'est une catastrophe planétaire organisée.
La fin du climat
tempéré est, affirme le GIEC, inéluctable. Nous
voyons bien les désordres climatiques parfois très meurtriers qui
se succèdent (inondations et sécheresses, tempêtes, typhons et
tornades, fonte spectaculaire des glaciers polaires ou alpins, montée des
eaux salées, canicules et dérèglement des saisons...). À ceux qui
objectent que les bouleversements climatiques n'ont jamais cessé
au
cours des millénaires précédents, il est aisé de répondre qu'au
contraire, à ce rythme, en quelques décennies, jamais de telles
élévations des températures moyennes ne se sont produites et la
flore comme la faune (mammifères, avifaune, ressources
halieutiques)
s'en trouvent profondément affectées. La cause de cette
transformation de nos paysages et de tout notre environnement est
connue : c'est l'activité humaine. Les « climatosceptiques »
ne peuvent plus le contester sauf par entêtement idéologique.
La fin des
ressources
énergétiques et métalliques non renouvelables se profile et, avec elle, grandit le risque de conflits internationaux. On
ne parle plus du « pic de pétrole » parce que les temps
de production d'un pétrole abondant, facilement accessible et bon
marché sont derrière nous. Les métaux, surexploités, (y compris
l'uranium !) seront au cours du XXIe siècle beaucoup moins
disponibles et, pour certains, épuisés. Les
conséquences
industrielles de ces manques sont incommensurables et ce n'est ni
le
gaz de schiste, ni la réouverture des mines de charbon (lequel
reste
pourtant, lui, abondant) qui suppléeront cet inéluctable recul des
ressources que nous avons, en deux siècles, pillé. Quant à
l'espoir de voir l'industrie nucléaire compenser la régression
énergétique, il est trois fois ruiné : par la démesure des
risques accidentels et du volume des déchets dangereux produits à
stocker, par la faible part occupée par le nucléaire dans la
production mondiale d'électricité, par les conséquences
sécuritaires et militaires qu'entraine l'emploi sous surveillance
absolue de cette source d'énergie qui finit ou finira par échapper
aux contrôles. Bref, vivre dans « le renouvelable » est
plus qu'une prudence, c'est une nécessité encore mal appréciée.
La fin des
sociétés,
enfin, comme le suggère le titre du dernier livre d'Alain
Touraine,
n'est pas que politique. Elle est produite par la « décomposition
du capitalisme industriel », la crise de toutes les
institutions, la fragilisation des pouvoirs, le doute qui s'est
emparé des citoyens -dont témoigne leur abstention massive- à propos du fonctionnement des démocraties. Il
ne s'agit pas, bien sûr, de la fin de toutes les sociétés !
Il s'agit de la fin des sociétés centralisées qui ruine les
efforts d'autonomie des habitants de la planète dans les sociétés
occidentales autant que dans les dictatures directes ou indirectes
nées de la mondialisation que les « grandes puissances »
ont voulu et veulent encore instaurer. La fin des sociétés, c'est
donc la fin des États-nations comme nous les avons connus, la fin
de
« l'american way of life », la fin du modèle occidental,
la fin de l'ethnocentrisme du Nord. Une mutation de civilisation
sans
précédent, lente et inéluctable, s'opère. À la rupture qui s'effectue sous nos yeux ne peut que correspondre notre propre rupture idéologique et citoyenne nous libérant de tous les a priori antérieurs devenus obsolètes.
Face à l'inéluctable
qui n'est pas tombé du ciel mais qui s'est échappé de nos mains,
il nous faut oser repenser la condition humaine, que nous y soyons
prêts ou non. Il y va de l'avenir de ceux que nous avons mis au
monde.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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