Non,
ce n'est pas Marine Le Pen qui nous fait peur ! C'est notre
grande perméabilité à des idées qui ne sont pas avancées par le
seul Front National !
Que
le Ministre de l'Intérieur actuel soit la personnalité politique la
mieux appréciée des Français (selon des sondages dont les
initiateurs et les modalités sont loin d'être toutes
transparentes), voilà qui inquiète davantage. Non que Manuel Valls
soit le grand méchant loup dont tout est à craindre, mais parce
qu'il mène une politique, au nom du gouvernement tout entier, qui
conduit à confondre les causes et les conséquences, l'appât du
gain généralisé et encouragé d'une part, et les malfrats, petits
et gros, qui en profitent, d'autre part. Autrement dit, des logiques
de répression se mettent en place, avec l'assentiment des citoyens
excédés, au lieu de dresser des obstacles à la gloutonnerie des
profiteurs qui disposent de la complicité de médias aux ordres de
qui les paient.
L'extrèmedroitisation
est d'abord culturelle. En 2007, Nicolas Sarkozy avait remporté
l'élection présidentielle sans rien cacher de l'idéologie qu'il
soutenait et dont la formule, « Travailler plus pour gagner
plus », n'était que la plus visible apparence. Depuis, de
l'eau a coulé sous le pont et elle charrie des objets de plus en
plus nombreux et dangereux. Ainsi continue-t-on à vouloir réduire
le chômage en satisfaisant les exigences du patronat (à ne pas
confondre avec l'ensemble des entreprises !). Ainsi leurre-t-on
l'opinion en lui enfonçant dans la tête, jour après jour, que
seule la vache sacrée de la croissance peut nourrir les revenus des
Français. Ainsi culpabilise-t-on tous ceux qui sont privés d'emploi
en leur reprochant de préférer l'assistance au travail ! Ainsi
voudrait-on sanctionner ceux qui, pour trouver à s'employer,
refusent de quitter leur région, leur maison, leur famille,
prétendent ne s'engager que dans ce qu'ils savent faire, et hésitent
à se reconvertir l'âge venant...
La
mobilité, la souplesse, l'adaptabilité, la compétitivité, la
modération dans l'activité salariée sont devenues des valeurs
détournées qui signifient, en vérité : va où je le veux, -
accepte mes conditions de travail quelles qu'elles soient, - apprend
à faire tout ce que j'exige sinon, si tu n'as pas la compétence
requise, je me passerai de tes services, - produit plus vite et moins
cher sinon je ferme l'entreprise et je la transfère ailleurs, en
France ou pas, - enfin ne me demande surtout pas de te payer plus, la
main d'œuvre ne manque pas... L'affaiblissement des salariés et de
leurs syndicats, incapables d'établir un rapport de force en leur
faveur, fragilise des secteurs entiers de la société où
s'introduisent d'autres moyens, illicites, d'avoir des ressources
pour vivre. Cette situation est intenable et ne peut que déboucher
sur une violence à laquelle déjà se préparent ceux qui ne veulent
rien changer à un système qui broie l'Europe tout entière, mise en
concurrence avec des populations immenses mais, pour le moment moins
exigeantes et plus soumises.
Accepter
cette logique économiste est mortifère. Ne pas sortir des fausses
évidences distillées par les professionnels de la communication
conduit à une impasse où les faibles et les pauvres seront égorgés.
La dépréciation volontaire de la solidarité, du partage de
l'égalité et de la fraternité (laquelle est une valeur politique
et non une forme de la compassion !) mène à des conflits dont nul
ne peut encore apprécier l'ampleur et le coût humain. Les
« réalistes » ne sont pas réalistes sinon ils verraient
pourquoi l'Europe, et l'Occident plus généralement, fut-ce très
lentement mais inexorablement, sont entrés dans la voie du
sous-développement pour avoir voulu conserver le développement pour
eux seuls.
Du
Tee-Party américain au FPO autrichien, au Vlaams
Belang belge, au Jobbik hongrois (mais la vague n'a cessé d'enfler
partout, en Norvège, Danemark, Suède, Italie, Japon, Israël...)
les mêmes revendications s'installent : vivons chez nous, entre
nous, chassons les étrangers, fermons les frontières, renforçons
notre police et notre armée, appuyons nous sur nos élites, méfions
nous du métissage, combattons l'islamisation, plaçons l'ordre avant
la liberté... S'il ne s'agissait que des excès idéologiques d'une
partie de nos sociétés il n'y aurait pas à craindre ce poison qui
a déjà diffusé, dans le passé, et dont nous avions trouvé
l'antidote. Le poison réinjecté dans notre corps social atteint,
cette fois, la droite classique et la partie « républicaine »
de la gauche qui se sont laissé pénétrer par le nationalisme et le
retour d'une conception fermée de l'identité française. Autrement
dit, les organisations économiques et sociales étant mises à mal
par ce qu'on appelle la crise (et qui est une forme nouvelle d'une
mondialisation qui a cessé d'être occidentale), le repli de tous
ceux qui craignent l'avenir, et singulièrement pour leur propre
avenir, prend un tour agressif sur lequel surfent d'habiles
démagogues.
L'extrèmedroitisation
apparaît donc comme un effet de glissement du curseur politique, non
vers les extrêmes comme on nous dit mensongèrement (pour nous faire
accepter une fausse égalité entre le Front de gauche et le Front
national par exemple), mais vers la droite dure,
super-individualiste, hostile aux choix écologiques les plus
incontournables, centralisatrice, souvent sexiste, néo-nationaliste,
répressive avant d'être préventive, interventionniste dans les
pays hier sous domination coloniale, etc... Il s'agit là d'une
orientation où se rejoignent des formations politiques (en tout ou
partie) de plus en plus décomplexées, c'est-à-dire de plus en plus
à droite, de plus en plus extrémistes dans leur défense de la
« démocratie capitaliste » (les deux mots étant devenus
indissociables, progressivement après la chute du mur de Berlin, et
nettement depuis le début du XXIe siècle !).
Nous sommes entrés dans
un conflit idéologique total. Ce n'est plus un affrontement parti
contre parti. C'est la mise en cause brutale de la citoyenneté. Qui
choisit le camp des pauvres, des modestes, des négligés, des
oubliés, des « sans », des abandonnés, bref des
« misérables » eut dit Victor Hugo, est confronté,
immédiatement, à tous ceux qui, ou bien veulent que ça dure, par
intérêt personnel (lequel est multiforme et ne concerne pas que les
grandes fortunes) ou bien préfèrent la stagnation plutôt que le
risque d'un changement jugé impossible (et nul mieux que François
Hollande n'aura si vite, et si éloquemment, bradé ce beau mot de
changement) ! Il nous faut considérer les échecs multipliés
d'une Europe non européenne qui n'a pas encore d'existence
politique, des partis socialistes européens, sevrés de marxisme, et
devenus si peu sociaux qu'on les confond voire qu'on les associe aux
conservateurs -comme en Allemagne, actuellement-, des partis
écologistes qui se sont trahis eux-mêmes en cessant d'être ce qui
a été leur raison d'apparaître. Le malheur accouche parfois d'une
espérance : tous ces échecs ne peuvent qu'entrainer vers un
neuf qui ne viendra pas au monde tout seul.
Il est temps de méditer,
de nouveau, le propos d'Antonio Gramsci : "L'ancien se
meurt mais résiste ; le neuf ne tarde pas à voir le jour, mais
dans le clair-obscur surgissent des monstres." Chassons
les monstres et travaillons à ce que le neuf, qui s'annonce,
n'avorte pas.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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