Dans
un récent blog1, nous nous
interrogions sur les propos tenus par le ministre de l'intérieur,
Manuel Valls, à l'encontre des 20 000 Roms présents dans notre
pays. Lui étaient-ils personnels, dans une optique de droitisation
compte tenu de ses ambitions politiques ou exprimés en accord avec
la pensée du président de la République ?
Nous
sommes fixés maintenant. François Hollande aurait - rapporte un
journaliste d’Europe1 - soutenu son ministre, en
déclarant que "la majorité des Roms a vocation à être
raccompagnée dans son pays d'origine … Seule une minorité
[d'entre eux] cherche à s'intégrer". En tenant ces
propos, le chef de l'Etat rompt brutalement avec les idéaux
humanistes défendus par les socialistes au cours de l'histoire
récente. Pour de nombreux militants ou sympathisants du Parti
socialiste, il s'agit alors d'une trahison qui remet en question leur
soutien au parti et à la politique gouvernementale. D'autant plus
que cette trahison surgit après de nombreux renoncements sur
beaucoup d'autres promesses de campagne du candidat– président.
Cette
position du chef de l'État n'aurait pas du nous étonner. En effet,
il n'avait pas réagi au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy en
juillet 2010, et les positions qu'il a adoptées ensuite l’ont été
sous l’effet des vents changeants :
- En septembre 2010 et juillet 2011, il prend position contre la circulaire d'août 2010.
- Mais, en février 2012, au cours d'une prise de parole, il tient des propos surprenants dans le contexte européen de libre circulation des personnes : "L'origine du mal, c'est-à-dire de cette circulation d'une population qui n'est acceptée nulle part et qui vit dans des conditions indignes, c'est de ne pas avoir fixé une règle européenne pour [la] garder là où elle doit vivre, en Roumanie."
- Puis, candidat à l'élection présidentielle, il adoucit sa position, en avril 2012 : "Le droit commun doit s'appliquer à tous : il ne doit pas y avoir de politique spécifique pour quelque catégorie de population que ce soit, a fortiori sur des bases ethno-raciales réelles ou supposées, contrairement à celle menée par le candidat sortant".
- En septembre 2012, il prend déjà la défense du ministre de l'intérieur : "Donc le ministre de l'intérieur a fait son devoir. Et quel est son devoir ? C'est à la fois d'appliquer les décisions de justice, et en même temps, de reloger autant qu'il est possible ou de reconduire dans leur pays d'origine … Dès mercredi [12 septembre], et le ministre de l'intérieur, et le ministre des affaires européennes, vont aller en Roumanie pour que ce problème soit traité dès la source, parce qu'on ne peut pas accepter que ces populations soient chassées de leur pays, déplacées et venant ici pour se réfugier dans des conditions où ils ne peuvent même pas avoir une activité économique."
Il
est éclairant de commenter ce dernier propos :
"C'est
à la fois d'appliquer les décisions de justice"
: mais aujourd'hui,
comme avant, on expulse sans attendre les décisions de justice,
"De
reloger autant qu'il est possible" :
mais aucune politique du logement, ambitieuse, n’a été mise en
place par le gouvernement socialiste et 3 600 000 millions de
personnes2
mal logées n'ont pas accès à un logement décent,
"Ils
ne peuvent même pas avoir une activité économique."
: c'est vrai qu'en
2007, l'UE a imposé à la Roumanie et la Bulgarie un délai de sept
ans avant d'accorder la liberté de circulation des travailleurs ; à
partir du 1 janvier 2014, les ressortissants de ces deux pays
pourront travailler en Europe comme tous les autres ressortissants.
Néanmoins, si M. Hollande avait eu un courage politique en accord
avec ces propos, il aurait pu ouvrir le marché du travail aux Roms.
Enfin,
affirmer que ces populations, citoyennes européennes, qui ne
voudraient pas s'intégrer auraient "vocation" à vivre en
Roumanie a des effluves nauséabondes ; pourquoi ne pas les envoyer à
Madagascar ?
Second
point, il nous semble que le ministre de l'intérieur se défausse
d'une de ses obligations de faire appliquer la loi comme responsable
de la police. Il reproche à la population rom des dérives mafieuses
importantes. Dans ce cas, expulser vers la Roumanie ou la Bulgarie
n'est-ce pas reconnaître son impuissance à mettre fin au trafic, au
non respect des lois et à faire respecter l'État de droit ?
Un
troisième point nous interpelle, celui du résultat d'un sondage
BVA3 commandé par I Télé
et le Parisien suite aux propos du ministre de
l'intérieur. Une première question a été posée : "À
propos des Roms, diriez-vous qu’ils s’intègrent très bien,
plutôt bien, plutôt mal ou très mal dans la société française
?" et, procédé un peu curieux, une affirmation a été
transformée en une autre question : Diriez-vous : "L'intégration
ne peut concerner que quelques familles et il n'y a pas d'autre
solution que le démantèlement des campements et les reconduites à
la frontière". De ce sondage, il ressort que 93% des
personnes interrogées estiment que les Roms s'intègrent mal dans la
société française et 77 % pensent que le ministre de l'Intérieur
a eu raison de le dire.
Nous,
qui cotoyons depuis des années ses populations – 20 000 environ en
France4, soit 0,003% de la
population - nous sommes particulièrement surpris par les résultats
de ce sondage, car nous connaissons l'ignorance profonde de nos
contemporains en ce qui concerne l'histoire et la vie quotidienne des
populations roms. Alors de là à savoir s'ils s'intègrent ou non,
Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. On entend plus souvent
l'expression du "banal"5
racisme quotidien : "attention, moi, je ne suis pas raciste,
mais les Roms, je ne peux pas les voir ..."
N'est-on
pas, plutôt, en train de manipuler l'opinion, comme lors du discours
de Grenoble de Nicolas Sarkozy, et de recommencer à utiliser les
arguments démagogiques qui conduiront le Français moyen, mal
informé, à confondre encore "Gens du Voyage" et "Roms".
Car les "Gens du Voyage", citoyens français pour la quasi
totalité d'entre eux, sont eux aussi l'objet de discriminations. Un
renoncement politique de plus pourrait entraîner le maintien de la
loi discriminatoire de 1969 qui les oblige à posséder un titre de
circulation (sorte de passeport intérieur) à faire viser
régulièrement par l'administration et qui leur impose des quotas de
présence (3% par commune). Ce sont effectivement des populations
extrêmement dangereuses !…Il ne fait pas bon être différent dans
notre doux pays, soi-disant des droits de l'homme.
On
ne cesse d’utiliser le verbe "s'intégrer", mais est-il
bien adapté ? S'intégrer veut dire entrer dans un groupe jusqu'à
se fondre dans la masse, quasiment ne plus exister sauf à être
confondu avec les autres. Est-ce que c'est ce que nous recherchons ?
Ne vaut-il pas mieux laisser une famille "s'insérer" en
conservant son identité et ses différences qui enrichissent
l'ensemble de la communauté nationale ? Les Roms ne pensent pas
l'existence, la propriété du sol, la vie en société comme nous,
tant mieux, nous en ressortirons tous plus riches. Si nous nous
laissons manipuler, demain ce rejet touchera d'autres populations au
mode de vie différent : les arabes, les noirs, tous les déviants6
qui n'ont pas pour "vocation" de s'intégrer.
Il
nous semble que Benoit Hamon résume bien la situation :
"L'insécurité est d'abord économique … L'exploitation de
la peur ne peut pas être le moteur d'une politique de gauche …
Evidemment, les trafics et les mafias doivent être combattus, et
sans faiblesse, mais pas en mettant tout le monde dans le même sac :
l'oppresseur avec l'opprimé, le mafieux avec la femme et son enfant
contraints de mendier".
Relevons,
pourtant, une note d'humour : "Les sondages, je m'en fous
complètement ! J'ai connu vingt ans de sondages sur la peine de
mort, ça ne nous a pas empêché de l'abolir en 1981" fait
remarquer vertement Henri Emmanuelli, quand on lui dit que 77% des
Français approuvent les propos de M. Valls.
Et
maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
Jean-Claude Vitran
1 http://resistancesetchangements.blogspot.fr/2013/09/roms-y-t-il-vraiment-deux-discours.html
2 http://www.inegalites.fr/spip.php?article508 - 3,6 millions de personnes sont concernées par le mal-logement en France. 685 000 personnes n’ont pas de domicile personnel, 85 000 vivent dans une habitation de fortune, cabane, camping ou mobil home toute l’année.
3 http://www.bva.fr/fr/sondages/questions_d_actu_bva-cqfd/manuel_valls_et_la_polemique_sur_les_roms.html
4 A titre indicatif sur 20.000 Roms présents en 2012, on en a expulsé 11.925 entre le 1 juillet 2012 et le 31 mars 2013 et il en reste toujours 20.000 dans notre pays. Cherchez l'erreur ?
5 En écho avec la banalité du mal de Hannah Arendt
6 Lire Jacques Ellul - Déviances et déviants dans notre société intolérante - Editions érès
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