Du coup d'État qui
renversa Allende, le 11 septembre 1973, on sait à peu près tout.
L'accès à des archives sonores, devenues accessibles, permettent de
comprendre la trahison de Pinochet (qui avait la confiance d'Allende,
comme lui un franc-maçon, devenu chef de l'armée de terre, réputée
loyaliste !).
Il était inadmissible
pour le camp de la liberté (comprendre les anticommunistes
fanatiques) que le gouvernement du Chili ait pu être confié à un
marxiste, par la voie des urnes, de façon démocratique.
Allende devait mourir. À
65 ans, qu'il se soit suicidé ou non, peu importe, il devait être
politiquement éliminé. Ce qui fut fait à la grande satisfaction du
gouvernement des USA. Les ravages causés par la vague maccarthyste,
dans les années 1950, ont laissé des traces qui, du reste,
apparaissent encore au XXIe siècle.
On a simplement changé
de diable : après le 11 septembre 20011,
ce ne fut plus le communisme qui demeura le premier ennemi du « monde
libre », mais l'islamisme politique qui s'en était pris au
symbole même de l'économie américaine mondialisée : les
tours jumelles du World
Trade Center.
Moins de 30 ans séparent
les deux 11 septembre. Le premier fut d'inspiration américaine ;
le second une conspiration antiaméricaine. En 1973, le Chili fut
victime d'un attentat anti démocratique ; en 2001, les USA
furent douloureusement frappés au cœur, à New York même. Dans les
deux cas, il s'agit d'événements chargés d'une extrême violence
politique.
Avec le recul, tout nous
donne à penser que nous ne sommes pas encore sortis de ce qui fut
cause de ces attentats contre la démocratie, mais avec des nuances
(et quelles nuances !) qui aboutissent à remettre en questions les
idées toutes faites sur la démocratie ! Au Chili, les tenants
de la démocratie étatsunienne se sont satisfaits de la fin d'un
régime politique très démocratiquement élu. Aux USA, des ennemis
de la démocratie étatsunienne, issus de la nébuleuse Al Qaïda,
ont réussi à meurtrir le régime politico-libéral le plus puissant
qui soit, accusé d'écraser les pauvres de la Terre. Dans un cas la
démocratie est violée ; dans l'autre cas, c'est la démocratie
elle-même qui est mise en accusation. Mais s'agit-il de la même ?
Soyons clairs : il
faut condamner et les sbires de Pinochet et les assassins d'Al Qaïda.
Mais il ne faut pas tout confondre : Allende n'est pas coupable
de ce qu'il a subi tandis que les USA ont beaucoup fait pour attirer
sur eux la foudre. Les USA ont voulu la fin du socialisme
démocratique, en 1973, et ils ont été les victimes de ce qu'on a
appelé, depuis, une entreprise terroriste, en 2001. Laissons de côté, écartons les thèses conspirationnistes selon lesquelles les attentats auraient été fomentés par les services secrets américains eux-mêmes !
Seize ans après la mort
d'Allende s'écroulait l'empire soviétique. Douze ans après
l'écroulement des tours jumelles, nous vivons des temps où l'on
voit se succéder des guerres successives qui ne viennent pas à bout
« du jihâd par l'épée »,
( l'islam compte quatre
types de jihâd, pacifiques
ou violents : par le cœur, par la langue, par la main et
par l'épée). Il est des jusqu'auboutistes, des fous, des cyniques
et des fanatiques dans toutes les religions. Le « jihâd
par l'épée » cause grand tort à l'Islam et ne le représente
pas. C'est un extrémisme politique.
Les
criminels qui, au Chili, dix-sept années durant, ont semé la mort
et infligé des tortures, étaient comparables aux jihadistes
fanatisés, des « croisés de l'occident chrétien »
prêts à tuer y compris des chrétiens si on les découvrait proches
des théologiens de la libération2.
De même, la mort de Pablo Neruda, le 23 septembre 1973 à Santiago
du Chili, si proche du 11 septembre (due à un cancer ? au
chagrin ? à un assassinat ?), peut-elle être associée à la
fin d'Allende. Neruda, prix Nobel de littérature en 1971, écrivain
politique et poète influent, constituait, bien que malade, un grand
danger pour la nouvelle junte.
Il ne
suffit pas de se souvenir d'Allende mort debout, dans l'exercice de
sa fonction, en 1973. Il ne suffit pas de déplorer le drame qui a
secoué le monde entier, à New York, en 2001. Il faut saisir que ce
qu'on a appelé le « socialisme démocratique » (au
Chili, mais aussi en Hongrie avec Imre Nagy, en Tchécoslovaquie avec
Dubcek) ne convenait ni à Moscou, ni à Washington. Il faut saisir
que la fin de la coupure du monde en deux « blocs », a
mis, curieusement, l'occident capitaliste, à première vue, sans
adversaire, en état de fragilité. L'exaspération affreuse qui est
apparue avec la résistance violente à la mondialisation visée par
les USA, sous leur égide, est à l'origine du 11 septembre 2001. À
vouloir briser dans l'œuf toute velléité socialiste démocratique,
finalement plus inquiétante que le modèle soviétique, l'occident
capitaliste a engendré son bourreau, un bourreau contre lequel il a
engagé une vaine guerre perpétuelle.
Au
contraire, dans La paix perpétuelle, un
livre écrit en 1795, Kant offrait l'hospitalité universelle, celle
qui veut que l'on reconnaisse l'humanité en tout homme que l'on
rencontre sur la surface du globe. Cette proposition reste actuelle.
Elle suppose le partage, le partage des avoirs, des savoirs et des
pouvoirs. Le partage, c'est une autre dénomination du socialisme
authentique. Le 11 septembre 1973, on a interrompu une tentative de
« gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple »
qui réapparaitra ailleurs, sans doute d'abord en Amérique latine.
Le 11 septembre 2001 s'est trouvé brisé, dans les pires conditions,
un rêve d'hégémonie économique et politique qui continue
d'engendrer des violences multiples sur toute la terre.
Il
serait temps de tirer tous les enseignements possibles de ces
tragédies inoubliables auxquelles on commet l'erreur de ne plus
vouloir penser. Cela n'a pas été fait.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
2
- L’expression « théologie de la libération » fut
utilisée une première fois par Gustavo
Gutierrez lors du congrès de Medellin
du Conseil épiscopal latino-américain, en 1968. Il développa et
articula sa pensée dans un livre Théologie de la libération,
paru en 1972, qui est largement considéré comme le point de départ
de ce courant théologique.
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