On
rend partout hommage à Albert Jacquard. Est-ce seulement l'homme
qu'on admire, l'ampleur de son intelligence, la force de ses
engagements, l'immensité de ses savoirs, reconnues et saluées y
compris par François Hollande, au nom de tous les Français ?
Ne
perdons-nous pas, avec Albert Jacquard, plus que cela : la voix
de celui qui savait exprimer et fonder les grands choix de ceux qui
veulent rompre avec un modèle de société qui, tout à la fois, est
devenue infidèle à ses propres valeurs et s'attache à des
contre-valeurs ? Cesser d'être des prédateurs, des
dominateurs, des avides est possible n'a-t-il cessé d'exposer et de
tenter de prouver.
Avec
le silence d'Albert Jacquard nous allons, pour quelque temps, perdre
du poids et de l'énergie car nous ne saurons pas, comme lui,
peser sur les événements et les idées qui font bouger le monde. Il
nous fait, cependant, obligation sinon de le remplacer du moins de
prendre sa suite.
Pour
ne retenir que quelques idées-force qui n'ont pas encore atteint la
conscience d'une majorité de nos contemporains, et sur lesquelles
insistait « le Professeur », citons celles-ci :
•
Nous sommes tout prêts d'avoir atteint nos limites1.
Une croissance infinie est
incompatible avec une planète finie. « La mutation
dans laquelle nous nous trouvons implique l'urgence pour nous tous
d'élargir notre concept de l'humanité. /.../ Deux solutions :
ou nous disparaissons, ou nous sommes les primitifs des humains qui
nous regarderont dans deux mille ans ».
Heureux les primitifs, ceux qui seront les premiers à promouvoir une
humanité nouvelle, moins violente à l'égard d'elle-même et de
notre planète sans qui nous ne sommes rien!
•
Le culte de la compétition,
tout comme le culte de
la croissance, fonde un système économique et culturel ravageur.
« Réussir est devenu l'obsession générale de notre
société, et cette réussite est mesurée par notre capacité à
l'emporter dans des compétitions permanentes. Il est pourtant clair
que la principale performance de chacun est sa capacité à
participer à l'intelligence collective, à mettre en sourdine son
« je » et à s'insérer dans le « nous »,
celui-ci étant plus riche que la somme des « je » dans
laquelle l'attitude compétitive enferme chacun. Le drame de l'école
est d'être contaminée par une attitude de lutte permanente, qui est
à l'opposé de sa finalité ».2
Éduquer n'est pas juger mais être le complice et le soutien de
celui qui s'élève et sort de l'enfance.
•
S'approprier une connaissance c'est la faire entrer en soi mais si
s'approprier
devient garder pour soi, alors c'est nuire.
L'appropriation
des richesses, des sols, du savoir est un accaparement, une privation
d'autrui, une privatisation d'un bien commun exclu du partage. La
propriété d'objets utiles est ce dont on a l'usage en propre pour
vivre dignement et sans excès ; on ne possède pas la Terre.
« Au mépris des cultures dites primitives ignorant
l'appropriation et la compétition, nous avons mis en place un
système culturel, économique, financier conduisant à la négation
d'une grande part des potentialités humaines » affirme
Albert Jacquard dans le dernier de ses livres.3
Après
les philosophes, sociologues, ethnologues, connus et reconnus mais
oubliés ou méprisés par les puissants et les riches, Albert
Jacquard, dans la lignée des penseurs français du XXe siècle, tels
notamment Marcel Mauss, Jean Malaurie, André Gorz, nous laisse un
message : ou bien le don, le partage, l'égalité des hommes, la
connaissance et le respect de la nature cesseront d'être des bonnes
paroles doublées de bonnes intentions jamais réalisées, ou bien
c'en est fait de notre espèce devenue capable de s'autodétruire. Il
n'est d'autre inspiration des politiques qui vaille car il y a,
désormais, incompatibilité entre, d'une part, la vision du monde
qui, actuellement, domine et motive les actes de gouvernement et de
gestion des rapports humains et, d'autre part, la vision du monde qui
porte loin les regards et prépare, tout de suite, une vie collective
et planétaire débarrassée de son moteur principal : le profit
individuel lequel fait de chacun de nous un petit ou un grand
prédateur.
1 Albert
Jacquard, L'équation du Nénuphar, Calmann-Lévy, 1998.
2 Albert
Jacquard, Mon utopie, Stock,
2006.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
Crédit photographique : La Liberté/Lausanne et La Croix/AFP
Crédit photographique : La Liberté/Lausanne et La Croix/AFP
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