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mercredi 27 mai 2009

La Grève des électeurs.


Les prochaines élections européennes sont mal accueillies par les citoyens européens qui ne voient pas en quoi elles les concernent en tant qu’acteurs de la démocratie. Allons-nous vers un abstentionnisme politique historique ?

En France où, en 1979, la première élection au suffrage universel du Parlement européen avait connu une participation de 60% et où, depuis, tous les cinq ans, la participation électorale n’a cessé de décroître jusqu’à tomber, en 2004, à 42%, on annonce la possibilité d’un taux de participation inférieur à 40% !

À ce niveau, il s’agirait d’un événement politique majeur. Il n’y a pas si longtemps, en 2007, les Français ont élu le Président de la République en se déplaçant deux fois plus nombreux : la participation fut supérieure à 80% ! Il ne s’agit donc p as d’une mauvaise habitude nationale de désertion des bureaux de vote, ni d’une négligence, ni d’un incivisme, mais bien d’un refus dont les causes sont multiples.

La première est qu’il n’y a décidément pas de citoyenneté européenne : on ne vote pas le même jour, de la même manière, pour des candidats connus et approchables, et l’entité Europe n’a d’autre existence politique que celle que les États-nations lui délèguent. Je ne suis européen que parce que français et nullement européen parce que… européen ! Du reste, à notre frontière, la Suisse nous fournit l’exemple même de la non évidence de cette citoyenneté : au cœur de l’Europe, elle ne fait pas partie de cette Europe politique qui, en dépit de ses élargissements successifs, n’est encore qu’une Union européenne et pas l’Europe.

La seconde cause de refus est que ce manque d’Europe s’accompagne d’un flagrant manque de démocratie. On se donne une règle puis on la bafoue : il fallait l’unanimité des États pour valider de nouvelles institutions européennes. Trois rejets par référendum, en France, aux Pays-Bas et en Irlande n’y auront pas suffi : on a inventé un quasi clone du projet ces institutions écartées, sous la forme d’un traité dit de Lisbonne, et on l8 0a soumis à des parlements plus dociles que les peuples… Quant à l’Irlande dont la constitution interdit le non recours au référendum, eh bien, on la fera revoter en lui promettant monts et merveilles… Proposer aux Européens, par l’intermédiaire d’une constituante, un texte qui pourrait être voté à une majorité définie (les deux tiers des voix, par exemple), il n’en est pas question car… cela ferait exister l’Europe politique !


Le suffrage est-il bien universel?

La troisième cause de refus est de l’ordre de la déception. L’Europe de Bruxelles est le très vaste manteau sous lequel les gouvernements des 27 États intéressés s’entendent, ou derrière lequel ils s’abritent, pour faire passer les mauvais coups de la libéralisation capitaliste. L’Europe cache derrière les droits de l’homme (côté face de la pièce libérale) une volonté implacable de privatisation au nom de la concurrence (et c’est le côté pile, celui de l’économie de marché). Ce marché du charbon, de l’acier puis du reste, dont on espérait, après la seconde guerre mondiale, la garantie d’une paix durable, a vidé les Parlements nationaux de leurs droits à régir l’activité économique et, contradictoirement, a interdit la naissance d’une communauté européenne supranationale ! Une instance supra étatique sans contenu supranation al : voilà l’Europe. Les électeurs naviguent entre ces deux pôles ( trop d’Europe et pas assez d’Europe) sans savoir où accoster. L’euroscepticisme (celui des nationalistes acharnés comme celui des déçus de l’Europe fédérale) trouve là sa source.

Cette crise politique, en pleine période de bouleversements économiques, est, à court terme, sans solution. D’instinct, l’électeur ne veut pas entrer dans ce jeu de dupes. La montée fulgurante du chômage en parallèle à la progression non encore freinée des périls écologiques le font douter d’une réponse électorale à une situation que les grandes et petites formations politiques ne maîtrisent plus. L’Europe est née de l’économie et, pour qu’elle n’en meure pas, il faudrait que la démocratie pèse sur des choix économiques. Mais la société marchande se refuse à ce marchandage : l’économie est chose trop délicate pour la confier aux peuples irresponsables, incultes et sans moyens financiers ! Quant à l’écologie, si elle ne devient un nouveau marché, celui de la croissance verte, du capitalisme vert, elle est un facteur de déstabilisation dangereux, une source de subversion qui n’a pas sa place en Europe. Il faudra, pensent les eurocrates, en convaincre les écologistes ou les éliminer des compétitions électorales.

Telles sont, parmi d’autres encore, les causes principales de cet abstentionniste annoncé. Qui va le reconnaître ? Qui va en tirer des enseignements ? On va déplorer la maigreur des participations, dans la plupart des États d’Europe, puis on se résignera à faire avec les résultats sortis des urnes ! Un parti « vainqueur » à 25% des suffrages exprimés pèsera, en réalité, 10% de l’électorat, mais cela n’invalidera nullement son succès relatif ! Les 732 députés siègeront puis on oubliera… Sauf que, cette fois, on va établir une assemblée parlementaire sur un volcan dont on ne connaît ni la date de l’éruption ni la violence de l’explosion, ni la direction que prendra le flot de lave ! L’angoisse, la misère, la déception dans une période d’incertitudes et de régression sociale nourrissent des révoltes qui, lentes à se manifester, peuvent surgir de façon soudaine et incontrôlée ! Voilà ce que dissimule cette abstention qui vient : la volonté de sanctionner, de montrer son mépris et d’exiger une autre approche de l’action publique, sinon… Sinon l’Europe en son entier va bouillonner et connaître des conflits sans fin.

Le 7 juin, regardons bien ce que représenteront les suffrages exprimés, c’est-à-dire les votes émis qui seront pris en compte. Il faudra soustraire du total des électeurs potentiels constituant le corps électoral ( d’ailleurs incomplet du fait des non inscrits ou des résidents étrangers sans droit de vote), les abstentionnistes, les bulletins nuls ou volontairement annulés, les bulletins blancs, mais aussi les bulletins valides portés sur les listes n’ayant pas obtenu, selon notre mode de scrutin, les 5% nécessaires à une représentation. L’observation risque de surprendre car, le faible pourcentage pronostiqué par les médias pourrait bien se voir aggravé…

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Octave Mirbeau (1848-1917)

Le 28 novembre 1888, Octave Mirbeau, dans un article du journal /Le Figaro /en appelait à la grève du suffrage universel ! On imagine mal, aujourd’hui, la parution d’un tel article, politiquement incorrect, dans quelque quotidien que ce soit, et surtout pas dans /Le Figaro/ ! Curieusement, les éditions Allia font reparaître, en mai 2009, pour trois euros, ce pamphlet antiboulangiste dont la pertinence heurte notre confort intellectuel, plus de cent ans après sa parution! /La grève des électeurs/ fit scandale et dérange encore. Pourtant, « ce n’est pas l’idée de démocratie qu’Octave Mirbeau remet en cause mais sa pratique qui a toujours confisqué au peuple le pouvoir au profit d’une poignée d’exploiteurs qui parle en son nom », écrit Cécile Rivière en postface, à ce tout petit mais beau livre.

Et si, en effet, plus d’un siècle après l’incitation d’Octave Mirbeau, était attendue la première grève des électeurs ?

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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