mercredi 3 juillet 2024

Lettre ouverte à des amis tentés par le vote blanc ou l’abstention au second tour

 

A toi électeur de gauche, qui a le sentiment qu’une nouvelle fois on te demande de « faire barrage », à toi électeur démocrate, parfois tenté par le macronisme ou qui te revendique de la gauche démocratique, l’enjeu, ici et maintenant, est dans tous les cas de figure de voter pour l'adversaire du second tour du Rassemblement national, quel qu’il soit, Ensemble ou Front populaire.


A toi tout d’abord, électeur de gauche, qui a le sentiment qu’une nouvelle fois on te demande de « faire barrage », alors même que les promesses du précédent « barrage » n’ont pas été tenues (« je vous suis redevable » disait Emmanuel Macron aux électeurs de gauche venus voter pour lui face à Marine Le Pen). Qui constate que la décision de la dissolution, précipitée et irresponsable, a grandement aggravé le péril qui nous menace. Qui fait le compte des reniements, dénis de justice et manifestations de mépris dont a fait preuve le camp présidentiel au cours de ce seul second quinquennat depuis la réforme des retraites, en passant par la calamiteuse loi immigration, qui abandonne certains principes républicains pour se rallier aux propositions du Rassemblement national, la réforme de l’assurance chômage, le comportement là encore irresponsable et provocateur dans la gestion de la crise en Nouvelle Calédonie, pour ne rien dire des renoncements aux transformations nécessaires pour une transition écologique juste. Comme si cela ne suffisait pas, la campagne électorale du premier tour indigne et mensongère n’a cessé de renvoyer dos à dos le Rassemblement national et le Front populaire, quand elle n’a pas concentré ses coups sur le seul Front populaire, ce qui semble viser à rendre impossibles les désistements et les reports de voix nécessaires pour permettre au second tour un front républicain digne de ce nom. Pour toutes ces raisons je partage ta colère, mais au vu de la gravité de l’enjeu, je t’adjure de voter pour le candidat ou la candidate qui sera face au Rassemblement national.


A toi ensuite électeur démocrate, qui a parfois pu être tenté par le macronisme, quand il était encore équilibré, ou qui te revendique de la gauche démocratique, sociale-démocrate si l’on veut. Ta défiance envers le Front populaire se nourrit de la part qui a été faite dans la répartition des investitures à la France insoumise. Note toutefois que le Front populaire n’est pas la NUPES, que LFI y est certes majoritaire mais pas dominant. En outre, LFI, même si son fonctionnement est passablement autoritaire, n’est toutefois pas unanime, et plusieurs personnalités sont venues contester le leadership de Jean-Luc Mélenchon.  Il est vrai que les prises de position de celui-ci, sur de nombreux sujets, font de la surenchère dans la radicalité, et privilégient la rupture sur la recherche du compromis, au point d’avoir souvent conduit la représentation parlementaire de la gauche dans l’impasse, en particulier lors des débats préalables à l’adoption de la loi retraites comme de la loi immigration. Il y a aussi les atermoiements dans le soutien de la France insoumise à l’Ukraine, mélange d’anti-américanisme pavlovien, de pacifisme inconditionnel et de fascination, chez Mélenchon et ses fidèles, pour les pouvoirs autoritaires : je constate que rien de cela n’est venu faire obstruction aux positions claires prises par le Front populaire sur cette question. Reste l’accusation lourde d’antisémitisme. Celle-ci est venue des hésitations et circonvolutions de la France insoumise à condamner avec fermeté les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre. En effet, de nombreux dirigeants de LFI rechignent à admettre qu’il s’agit là d’une organisation totalitaire, qui a d’ailleurs commencé par diriger ses coups contre les Palestiniens qui s’opposaient à elle avant de s’en prendre à des citoyens israéliens, et préfèrent y voir une manifestation de la Résistance palestinienne. Ils ont tort. Faut-il pour autant adopter la rhétorique de Netanyahou et assimiler toute critique de son gouvernement et de son action à une remise en cause de l’existence même d’Israël, et partant à de l’antisémitisme ? Il serait très dangereux d’assimiler tout soutien à la population palestinienne de Gaza aux seuls soutiens du Hamas. Accuser Mélenchon et la France insoumise d’antisémitisme, et par extension laisser planer le doute sur les orientations de l’ensemble du Front populaire, est une infâmie. Un dernier mot : la victoire du Front populaire est hautement improbable. Celle du Rassemblement national l’est beaucoup plus et deviendra certaine si parmi nous, il y en a qui, pour de bonnes raisons subjectives, choisissent l’abstention, qui sera un désastre objectif.


L’enjeu, ici et maintenant, est dans tous les cas de figure de faire barrage au Rassemblement national, synonyme de régression profonde de l’Etat de droit et de l’Etat social, de déferlement des haines xénophobes, d’inégalités des droits des citoyens et résidents, d’abaissement de l’Europe et de soumission à la Russie : cela implique de voter pour son adversaire du second tour, quel qu’il soit, Ensemble ou Front populaire, si les états-majors politiques ont eu le courage et la lucidité de se désister mutuellement, et sinon de voter pour celui ou celle issu du camp démocratique le mieux placé.


Joël Roman

philosophe, essayiste et éditeur français.


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