« Va à la niche », « Bonobo », « on est chez nous » ne sont donc pas, absolument pas, des insultes racistes, quand bien même elles visent une femme à la peau noire.
Voilà la posture de combat tranquillement développée par Marine Le Pen dans l’entretien qu’elle a accordé au quotidien La Voix du Nord le 24 juin dernier.
Celles et ceux qui ont pu suivre la séquence d’« Envoyé Spécial » dans laquelle on voit un couple de sympathisants du Rassemblement national (RN) en pleine action peuvent donc se rassurer. Ce « racisme ordinaire » n’en est pas un, juste la manifestation banale d’une querelle de voisinage. Avec, de surcroît une voisine difficile, à l’identité suspecte… Si le parquet s’est souvenu, une fois n’est pas coutume, que le racisme est un délit, si le garde des Sceaux a cru bon de demander un rapport en vue de la suspension de l’auteure de ces insultes, fonctionnaire du tribunal de Montargis, c’est qu’on veut impliquer le RN afin de lui nuire. Tout bref qu’il soit, cet entretien en dit long sur la vision de la cheffe du RN sur l’identité, sur le racisme et sur les responsabilités propres de son mouvement. Loin de s’en tenir à un événement passé, il parle de l’avenir. Car forte d’une dédiabolisation désormais acquise, Marine Le Pen se livre à une véritable leçon inaugurale du racisme et de la bonne façon de le pratiquer.
D’abord, aménager un espace à une vérité alternative. Marine Le Pen s’offusque, non pas de ce qu’elle a pu voir et entendre, mais du rôle de celles et ceux qui ont rapporté les faits, le sont mis en lumière. Elle ne revient pas sur les mots, ne crie pas à la manipulation du montage, n’invoque aucun mensonge, ne condamne rien ni ne formule aucun regret. Elle dénonce ! L’« émission ultra-politisée à l’extrême gauche » ment, ne cherche qu’à nuire au RN. Cette condamnation des médias n’est pas très originale. Elle implique néanmoins qu’il ne saurait y avoir de racisme là où sa dénonciation est politique. Ensuite, passer à l’offensive. Marine Le Pen retourne la charge de racisme contre ses accusateurs : « C’est vous qui tirez la conclusion que c’est raciste du fait de la couleur de peau de la victime. Ça, c’est scandaleux ». Déjà délégitimé du seul fait que sa dénonciation serait « politique », le raciste se voit désormais absous par l’existence même d’un facteur « racial ». Car ce ne sont pas les insultes qui sont racistes, mais ceux qui les dénoncent au prétexte de l’origine de leur victime. Ce retournement qui nie à la victime son identité propre et singulière est imparable. Il rejoint la vieille plainte antisémite selon laquelle « on devrait pouvoir dire d’un juif qu’il chante faux ». Sous-entendu : sans être accusé d’antisémitisme. Ne reste plus alors à Marine Le Pen qu’à situer sa responsabilité et celle de son parti au regard de telles « querelles de voisinage », enjeu qu’elle balaye d’un soupir appuyé : « Ces gens ne sont pas des cadres, des candidats. Des électeurs ? Et encore… Suis-je responsable ? » Plus crûment avoué : si ces insultes supposées non-racistes avaient été tenues par un candidat ou un élu RN, le parti se serait empressé de sévir, image oblige. Mais ce sont « des gens »… En quelques phrases anodines, Marine Le Pen nous livre là un mode d’emploi à destination des racistes de tous poils, absolution à la clé. C’est bien un véritable programme politique. Personne ne pourra dire qu’il n’était pas prévenu.
Pierre Tartakowsky
Président d’honneur de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Vice-président de la Commission nationale consultatives des droits de l’Homme (CNCDH)
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