... Il
y va de la démocratie !
En
réalité, nous ne savons pas comment s'organise l'élection du
Président des USA, cette fédération d'États qui est encore la
plus puissante du monde occidental, économiquement et
militairement ! Non que nous ne puissions le savoir, mais c'est
compliqué, et d'abord parce que le scrutin a lieu État par État
et non au suffrage universel, avec des règles qui ne sont pas
partout les mêmes...
Pour
succéder à Barack Obama qui, au bout de deux mandats, comme G W.
Bush et Bill Clinton, ne peut se représenter1,
dix candidats sont en lice, mais trois seulement qui remplissent
les conditions, ont pu s'inscrire dans les cinquante États et y
faire proposer des bulletins de vote. Ce sont les candidats
démocrate, républicain et libertarien : Hillary Rhodam Clinton
(69 ans), Donald Trump (70 ans) et Gary Johnson (62 ans). La
candidate du Green Party, Jill Stein (62 ans), remplit les conditions
dans quarante-quatre États. Quant aux quatre autres candidats, ils
ne remplissent les conditions que dans 23, 20, 11 et 8 États. Ils ne
sont même pas pris en considération dans les sondages, lesquels
sondages ne prévoyaient qu'entre 7% et 3% pour le candidat
libertarien et 3% et 2 % pour la candidate écologiste.
Le
8 novembre seront donc désignés les grands électeurs qui éliront
le 45e président des USA le 12 décembre. Ce sera, en 244 ans
d'histoire présidentielle étatsunienne, la 58ème élection depuis
1788. L'élu(e) prendra ses fonctions le 20 janvier 2017, pour quatre
ans. Il faut avoir au moins 35 ans pour être élu2,
ce qui est le cas des deux principaux candidats qui ont le double de
cet âge. C'est encore un record car ils sont les deux candidats les
plus âgés après Ronald Reagan en 1974 ! Si Hillary Rhodam
Clinton est élue, ce sera la première femme présidente dans
l'histoire des États-Unis.
Le
23e amendement de la Constitution n'attribue de
grands électeurs (trois, comme dans le plus petit des États), en
plus des 50 États membres de l'Union, qu'au seul district de
Columbia (en fait la capitale fédérale : Washington). Les
autres territoires des USA, dont Porto-Rico ou Guam, ne participent
donc pas à l'élection présidentielle. C'est donc, en tout, 100
sénateurs (2 par État), plus 435 représentants (à la
proportionnelle démographique des États), plus les 3 représentants
du district de Columbia, soit 538 grands électeurs, qui vont choisir
entre Hillary Clinton et Donald Trump avant Noël 2016.
À
défaut de majorité (270 voix), dans le cas, très rare mais pas
impossible, où les grands électeurs (qui sont libres de leur vote),
refuseraient de suivre le choix de leurs électeurs, alors c'est la
Chambre des Représentants qui élit le Président. En 1824,
1876,1888 et 2000, le collège électoral n'a pas élu le candidat
ayant recueilli la majorité des suffrages populaires. En 2000, Al
Gore avait obtenu plus de suffrages que George W. Bush. À ce jour,
la Chambre des représentants n'a élu le président qu'en deux
occasions : en 1801 et en 1825. En raison du désaveu qui pèse
sur Donald Trump, y compris dans les rangs républicains, il est
éventuellement possible que la désignation s'effectue avec
difficulté.
La
complexité s'alourdit si l'on considère que le vainqueur dans
presque tous les États « rafle » tous les mandats
(sauf dans le Maine et le Nebraska qui répartissent les mandats à
la proportionnelle !).
Notons
que l'élection du vice-président, distincte de celle du
Président, soit le démocrate Tim Kaine (58 ans) soit le
républicain Mike Pence (57 ans) revêt une grande importance
compte tenu de l'âge des candidats à la présidence.
L'élection
éventuelle de Donald Trump qui aura énoncé des idées saugrenues,
choquantes, violentes et sans fondements, placerait les USA dans un
contexte très dangereux, aussi bien en politique intérieure qu'en
politique étrangère. Cette possibilité qu'on a cru improbable
révèle que le pire n'est jamais exclu comme nous l'a enseigné
l'histoire contemporaine. Que les autres humains ne puissent
qu'être spectateurs d'un événement qui peut avoir de lourdes
conséquences sur leur vie quotidienne rappelle que nos sorts sont
liés et que nous vivons sur la même planète, un territoire dont
nous ne pouvons nous échapper.
Quels
enseignements retirer de ces pratiques électorales tout à fait
particulières et dont se vantent les citoyens américains, en en
faisant même un modèle de démocratie représentative ?
1
- Pour être candidat à la présidence des États-Unis, il faut
être très, très riche, (milliardaire, comme Donald Trump ou
soutenue par des puissances financières, comme Hillary Clinton qui a
recueilli encore bien plus de fonds que son rival). Quand c'est
l'argent qui fait la réussite électorale, ne parlons pas de
démocratie véritable.
2
– Quand les mêmes règles ne s'imposent pas à tous les États,
quand les disparités peuvent interdire l'égalité des chances
électorales, la démocratie est mise à mal.
3
– Si l'élection dépend de votes indirects, le résultat peut être
inversé, comme on l'a vu, en 2000, quand Al Gore, vainqueur dans les
urnes, a été battu par le vote des grands électeurs. Cette
conséquence du vote par État, là où s'annulent les voix
minoritaires, peut avoir des suites et des conséquences
catastrophiques comme on l'a vu au cours de la présidence de George
W. Bush. Quand une voix ne vaut pas une voix, la démocratie est
bafouée.
4
– Dans les territoires sous autorité américaine, situés dans les
Antilles et l'Océan Pacifique, vivent 4 millions d'habitants en
2016. Non rattachés à l'un des 50 États US, ils ne votent pas. Ou
bien ils s'autogouvernent ou bien, s'ils dépendent des USA, ils
doivent pouvoir voter et peser sur le gouvernement fédéral. Priver
du droit de vote est antidémocratique.
5
- Le
vote Trump est le vote de la revanche des « petits Blancs »
qui n'ont jamais accepté l'élection d'un Noir à la tête des USA.
Ce racisme anti Noir débouche sur la violence. Les
propos sexistes proférés contre la femme politique qu'est Hillary
Clinton manifestent la même haine d'ultra conservateurs qui menacent
la démocratie.
6
– Le blocage de fait qui interdit l'apparition de nouvelles
sensibilités politiques pouvant se situer à l'extérieur des partis
démocrate ou républicain enferment le système électoral dans un
passé dont les citoyens ne peuvent sortir. Un
gouvernement par alternance livre le pays à la stagnation de la
démocratie.
7
– Aux USA, l'âge des candidats est limité « par le bas »
(35 ans) mais point « par le haut ». L'exercice du
pouvoir suprême, même pour 4 ans, ne saurait être confié à des
septuagénaires. D'autant que cela rend improbable ou fragile une
réélection. La
démocratie suppose de pouvoir faire appel à des candidats dans la
force de l'âge et ouverts à des idées neuves.
8
– Cette élection donne à penser que les pratiques électorales se
sont viciées et pas seulement aux États-Unis. Que ce soit par
défaut (quand on ne peut voter librement), par trahison (quand les
élus ne respecte pas leurs mandants), par détournement (quand l'on
ne peut plus voter pour mais
seulement contre ce
qu'on craint!), par habitude (quand on satisfait à une tradition
sans conviction), par lassitude (pour se débarrasser d'une
obligation morale), par soumission (aux pressions que nos
appartenances, familiales, religieuses exercent sur nos choix)...,
voter n'a pas de sens
démocratique si aucun changement ne peut s'ensuivre.
9
– Le spectacle médiatique affligeant auquel nous assistons,
aujourd'hui aux États-Unis, hier au Royaume-Uni, demain en France,
peut nous désoler mais surtout nous renseigne sur la main mise des
forces de l'argent sur presque tous les comportements des citoyens.
Résister aux lavages de
cerveaux n'est plus seulement de bonne hygiène intellectuelle, c'est
un réflexe vital. C'en est fini, sinon, de toute vie démocratique.
10
– Être lucide, informé, maître de sa vie exige un travail auquel
nous ne sommes plus habitués. La campagne électorale nord
américaine constitue un avertissement : voilà jusqu'où nous
pouvons sombrer si nous nous laissons formater par des médias aux
ordres et de faux intellectuels qui nous entrainent vers des voies en
impasse. Cherchons où
sont les vraies questions démocratiques posées à notre temps.
Non,
tout n'est pas qu'argent ? Non, tout n'est pas que conquête du
pouvoir sur autrui. Non, ce n'est pas la consommation qui régit
notre bien être. Non, l'american way of life n'est
pas l'idéal pour l'humanité. Non, ce n'est pas le plus fort, le
mieux armé qui est le mieux protégé. Oui, nous n'avons qu'une
Terre. Oui, vivre heureux, c'est mettre en commun. Oui, la démocratie
c'est le partage.
Jean-Pierre Dacheux
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1 Cette
limitation du nombre de mandats à deux (pas nécessairement
successifs) a été votée en 1947 et ratifiée en 1951.
2 Mais
aussi être né aux USA et y avoir vécu au moins 14 ans. (ce qui a fait polémique pour Barack Obama
jusqu'à ce qu'il démontre, face aux arguments de Donald Trump,
qu'il était né à Hawaï !)
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