De l'actualité très immédiate de vieux concepts.
A – Démocratie et pouvoir :
Aujourd'hui, en ce temps de
« présidentialite » aigüe, une maladie politique qui,
depuis des décennies, affecte, de plus en plus gravement, nos
sociétés, nous voici invités à revisiter la démocratie et, si
possible, à la revivifier, mais ce ne peut se faire sans conflits ni
ruptures. Comme son étymologie l'indique en permanence – et
pourquoi donc avons-nous perdue de vue cette origine du mot ? –,
la démocratie est le pouvoir du peuple, un pouvoir qui reste
à donner, à rendre, à restituer à tous les humains vivants qui
veulent être les maîtres de leur vie, qui veulent vivre et non pas
être vécus.
À cet égard, la démocratie,
depuis le temps des Lumières et les premières années de la
Révolution française, a été d'abord présentée comme l'inverse
de la monocratie appelée aussi monarchie. Cependant, il n'a pas
suffi de décapiter les rois ou de créer des textes constituant
majeurs, en Angleterre, aux États-Unis1
et en France2
pour éradiquer la monocratie. Nous y sommes encore plongés et la
monarchie républicaine, comme on dit parfois, n'a rien de
républicaine, elle est l'héritage d'un passé royaliste que nous
n'avons pas su totalement expurger.
L'expression
« Le pouvoir du peuple » n'a pas été totalement
éclairée par la citation d'Abraham Lincoln (« La
démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le
peuple », une formule lancée lors de son discours de
Gettysburg, en 1863, une citation mille fois reprise depuis, et
intégrée au sein de nos propres Constitutions successives de 1946
et 1958.3
Car le « gouvernement du peuple » peut, en effet, prendre
un double sens : gouvernance sur le peuple, c'est-à-dire
conduite du troupeau humain comme, plus tard le dénoncera Alain
Brossat, citant Foucault4,
ou bien : gouvernement des affaires publiques par le
peuple lui-même, comme nous y invitait déjà Pierre Mendès-France5,
en 1962, l'année même à partir de laquelle le Président de la
République devenait éligible au suffrage universel, dès 1965 !
Parvenus à ce premier point de
notre réflexion, il devient impossible de ne pas relire Rousseau,
avec l'aide de quelques contemporains compétents6
ou, au moins, de faire référence à la pensée de celui qui, avec
le Contrat social7
fonda la démocratie moderne, tout en en précisant les limites. Car
les mots pour dire le pouvoir (kratos en grec) ou le
commandement ( arkhê), ne manquent pas8,
mais il n'en est qu'un seul pour dire que le pouvoir de tous est
l'affaire de chacun et c'est : démocratie.
Un
gouvernement démocratique, pour Rousseau, est celui dans lequel le
peuple, en tant qu'unique souverain, exprime, dans la loi, la volonté
générale. Mais
Rousseau
n’est pas un idéaliste, car il est conscient de la difficulté
d’un gouvernement direct. En effet, ce régime parfait ne peut
fonctionner que si les citoyens sont vertueux, dédiés à la cause
commune, et agissent pour le bien commun, dans le respect de cette
volonté générale. Rousseau
inclut, à cet effet, un programme d’éducation politique des
citoyens et, un mois seulement après Du
contrat social (avril
1762), paraît l'Émile
(mai
1762). Ce qui ne l'empêche pas de conclure, avec mélancolie, que
: « s’il
y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un
gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ».
Nous
convient-il à présent ? N'oublions pas qu'au XVIIIe siècle,
la majorité des habitants de notre pays ne savait ni lire ni écrire
et ne parlait pas français. Les Cahiers
de doléance,
rédigés au début de l'année 1789, paroisse par paroisse, pour les
États généraux, eurent grand besoin du concours d'écrivains
publics locaux. Cette expression politique supérieure du peuple
village par village, (la plus haute, historiquement, selon la
philosophe Simone Weil9,),
point de départ du grand mouvement révolutionnaire, fut la preuve
même de la puissance de la démocratie mise en œuvre. Au moment où
tout est remis en questions, la démocratie véritable commence par
la consultation et le débat au sein du peuple, c'est-à-dire de
toutes les catégories de nos populations, informées, cultivées,
expérimentées, communicantes, comme jamais ce ne le fut au cours
des deux siècles précédents.
B
- Les enseignements de la récente élection présidentielle aux USA :
1
- Pour être candidat à la présidence des États-Unis, il faut
être très, très riche, (milliardaire, comme Donald Trump, ou
soutenue par des puissances financières, comme Hillary Clinton qui a
recueilli encore bien plus de fonds que son rival). Quand c'est
l'argent qui fait la réussite électorale, ne parlons plus de
démocratie véritable.
2
– Quand les mêmes règles ne s'imposent pas à tous, quand le vote
populaire peut contredire le vote par État sans le modifier, quand
les disparités peuvent interdire l'égalité des chances
électorales, la démocratie est mise à mal.
3
– Si l'élection dépend de votes indirects, le résultat peut, en
effet, être inversé, comme on l'a vu, en 2000, quand Al Gore,
vainqueur dans les urnes, avait été battu par le vote des grands
électeurs. Cette conséquence du vote par État où le parti
vainqueur rafle tous les mandats de grands électeurs, où s'annulent
toutes les voix minoritaires, peut avoir des suites et des
conséquences catastrophiques comme on l'a vu au cours de la
présidence de George W. Bush. Quand une voix ne vaut pas une
voix, la démocratie est bafouée.
4
- Le
vote Trump est le vote de la revanche des « petits Blancs »
qui n'ont jamais accepté l'élection d'un Noir à la tête des USA.
Ce racisme anti Noir débouche trop fréquemment sur la violence. Les
propos sexistes proférés contre la femme politique qu'est Hillary
Clinton manifestaient la même haine d'ultra conservateurs qui
menacent la démocratie.
5
– Le blocage de fait qui interdit l'apparition de nouvelles
sensibilités politiques pouvant se situer à l'extérieur des partis
démocrate ou républicain enferment le système électoral dans un
passé dont les citoyens ne peuvent sortir. Un
gouvernement par simple alternance livre le pays à la stagnation de
la démocratie.
6
– Aux USA, l'âge des candidats est limité « par le bas »
(35 ans) mais point « par le haut ». L'exercice du
pouvoir suprême, même pour 4 ans, ne saurait être confié à des
septuagénaires. D'autant que cela rend improbable ou fragile une
réélection. La
démocratie suppose de pouvoir faire appel à des candidats dans la
force de l'âge et ouverts à des idées neuves.
7
– Cette élection donne à penser que les pratiques électorales se
sont viciées et pas seulement aux États-Unis. Que ce soit par
défaut (quand on ne peut voter librement), par trahison (quand les
élus ne respecte pas leurs mandants), par détournement (quand l'on
ne peut plus voter pour mais
seulement contre ce
qu'on craint le plus !), par habitude (quand on satisfait à une
tradition mais sans conviction), par lassitude (pour se débarrasser
d'une obligation morale), par soumission (aux pressions que nos
appartenances, familiales, religieuses exercent sur nos choix)...,
alors voter n'a pas de
sens démocratique si aucun changement ne peut s'ensuivre.
8
– Le spectacle médiatique affligeant auquel nous assistons,
aujourd'hui aux États-Unis, hier au Royaume-Uni, demain en France,
peut nous désoler mais surtout nous renseigne sur la main mise des
forces de l'argent sur presque tous les comportements des citoyens.
Résister aux lavages de
cerveaux n'est plus seulement de bonne hygiène intellectuelle, c'est
un réflexe vital. C'en est fini, sinon, de toute vie réellement
démocratique.
9
– Être lucide, informé, maître de sa vie exige un travail auquel
nous ne sommes plus habitués. La campagne électorale nord
américaine constitue un avertissement : voilà jusqu'où nous
pouvons sombrer si nous nous laissons formater par des médias aux
ordres et de faux intellectuels qui nous entrainent vers des voies en
impasse. Cherchons où
sont les vraies questions démocratiques posées à notre temps et
tâchons d'y répondre en regardant l'ensemble du réel planétaire.
10
– En conclusion : Non, tout n'est pas qu'argent ? Non,
tout n'est pas que conquête du pouvoir sur autrui. Non, ce n'est
pas la consommation qui régit notre bien être. Non, l'american
way of life n'est pas l'idéal
pour l'humanité. Non, ce n'est pas le plus fort, le mieux armé qui
est le mieux protégé. Oui, nous n'avons qu'une Terre. Oui, vivre
heureux, c'est mettre en commun. Oui, la démocratie c'est le
partage.
C
– Les questions majeures posées aux citoyens voulant faire
vivre la démocratie me semblent les suivantes :
•
« Le cycle
démocratique vieux de deux siècles est-il arrivé à son terme ? »
demande
Raffaele Simone, philosophe italien.
Est-ce la démocratie qui meurt ou sa caricature ?10
•
« L'engagement
polique ne saurait se résumer aux élections »
rappelle Thomas Piketty11.
Que
faire pour peser sur les événements ?
•
Faudra-t-il
pour revivifier la politique, abandonner
les partis,
comme le recommandait la philosophe Simone Weil12,
dès 1943 !
•
N'est-il
pas urgent de contribuer à la réhabilitation
de la pensée de Jean-Jacques Rousseau13,
« citoyen du futur » ?
•
La
désobéissance
civique14
fait-elle partie, désormais, des actes citoyens à ne pas écarter,
en cas de nécessité ?
•
Les
modes
de scrutin15
ne constituent-ils pas, trop souvent des moyens de détournement du
vote des citoyens ?
•
La
présidentialisation des sociétés et notamment le
présidentialisme constitutionnel en France16
ne sont-ils pas des inversions et des perversions de la démocratie ?
•
Dans
le reste du monde, des formes de « démocrature » et de
« dictarchie » présidentialistes se répandent et
masquent, à peine, un autoritarisme violent voire une montée
vers le fascisme.
En Égypte (où sont les « printemps arabes » aux Proche
et Moyen Orient, hormis, peut-être en Tunisie?), en Syrie, mais
aussi, en Bulgarie, en Moldavie, en Russie, en Hongrie, en Pologne,
en Autriche peut-être bientôt, et bien sûr aux USA, etc..., les
nationalismes sont-ils en plein développement17
en contradiction avec la complexité et l'évolution cosmopolitique
de la Planète ?
JPDacheux
- 25.11.16
1 Aux
États-Unis, un siècle plus tard, la
Déclaration des droits (United
States Bill of Rights)
est adoptée par la Chambre des ReprésentantsChambre
des le 21 août 1789 et le Congrès le 26 septembre suivant1,2,
elle est ratifiée progressivement par les États fédérés, et
prend effet le 15 est l'ensemble constitué des dix premiers
amendements
à la constitution
américaine. Elle limite les pouvoirs du gouvernement fédéral
et garantit les libertés de
presse, de
parole, de
religion, de
réunion, le droit de porter des armes, et le droit de
propriété. Adoptée par la Chambre
des représentants le 21 août 1789 et le Congrès le 26
septembre suivant, elle est ratifiée progressivement par les États
fédérés, et prend effet le 15 décembre 1791, date de la
ratification par la Virginie.
2
En 1791, un siècle après, en France, est adoptée par une
assemblée constituante, la première Constitution créant la
monarchie parlementaire. Son préambule contient la Déclaration
des droits de l'Homme et du citoyen. Elle ne sera pas appliquée
et le roi Louis XVI sera guillotiné, à Paris, le 21 Janvier 1793.
En Juillet 1793, la Constitution de l'an I,
préparée par la Convention et approuvée par référendum,
instaurait la 1ère République mais elle n'a pas été appliquée à
cause de la Terreur.
3 Titre
I, article 2 : le principe de la République est « gouvernement
du peuple, par le peuple et pour le peuple »
« La
démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin
dans une urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus
puis à se désintéresser, s'abstenir, se taire pendant cinq ans.
Elle est action continuelle du citoyen non seulement sur les
affaires de l'Etat, mais sur celles de la région, de la commune, de
la coopérative, de l'association, de la profession. Si cette
présence vigilante ne se fait pas sentir, les gouvernements (quels
que soient les principes dont ils se recommandent), les corps
organisés, les fonctionnaires, les élus, en butte aux pressions de
toute sorte de groupes, sont abandonnés à leur propre faiblesse et
cèdent bientôt, soit aux tentations de l'arbitraire, soit à la
routine et aux droits acquis ... La démocratie n'est efficace que
si elle existe partout et en tout temps. »
8 Ploutocratie (influence politique exercée par l'argent).
Aristocratie (forme de gouvernement appartenant aux supposés
meilleurs, en réalité à une classe héréditaire). Oligarchie
(régime politique dans lequel la souveraineté appartient à peu de
personnes constituée en classe restreinte et privilégiée).
Autocratie (forme de gouvernement où le souverain exerce
lui-même une autorité sans limites). Monarchie
(gouvernement d'un seul).
9 Simone
Weil, Note sur la suppression générale des partis politique,
réimprimé chez Berg
international, 1913.
11
- Thomas Piketty, Aux urnes citoyens – Chroniques 2012-2016,
Les Liens qui libèrent, octobre 2016.
12
- Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis
politiques, réédité chez
Berg international en 2013, p.7.
14
- Manuel Cervera Marzal, Les nouveaux désobéissants, citoyens
ou hors la loi, Le bord de
l'eau, 2016.
16
- Pierre Bréchon, Ve République vue
d'ensemble.http://www.universalis.fr/encyclopedie/cinquieme-republique-vue-d-ensemble/
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