Est-ce que cette question doit se
poser ?
Depuis l'apparition de l'homme la
société a toujours été en continuelle transformation. C'est une
constante de l'homme que de faire évoluer son cadre de vie.
Les sociologues appellent ces
évolutions du nom de « darwinisme social » et ils
considèrent que les rivalités entre les êtres sont l'état naturel
des relations sociales et que les conflits sont la conséquence
normale du développement humain. Pour le capitalisme, le darwinisme
social justifie scientifiquement, comme pour les espèces animales,
la domination par une élite d'une masse jugée moins apte afin que
les meilleurs et les plus forts prospèrent. Pour les tenants de ces
théories, la concurrence entre les êtres humains ne doit pas être
entravée par des mesures de protection sociale et d'assistance de
l'Etat, par la solidarité ou par la charité ; ils prônent la non
intervention dans la lutte pour l'existence, afin que la sélection
naturelle favorise la survie des "plus aptes" et
l'élimination des autres.
Cette
théorie de la domination par une oligarchie d'une masse d'individus
jugés inférieurs, justification de concepts politiques tragiques -
colonialisme, fascisme et nazisme - a encore de nombreux adeptes dans
le modèle économique incarné par le capitalisme néolibéral 1
qui entend dominer le monde actuellement.
Le maire de Londres, Boris
Johnson, Favori pour succéder à David Cameron, a assuré il y a
quelques jours 2
: « Certains sont trop bêtes pour réussir, les inégalités
sont normales » il a ajouté : « Quoi que
vous pensiez de la fiabilité des tests de quotient intellectuel, il
est utile de savoir, lorsqu’on parle d’égalité, que 16% des
êtres humains ont un QI inférieur à 85, tandis que 2% ont un QI
supérieur à 130. »
Tout laisse à penser que le
capitalisme ait gagné, que tout soit possible, sans limite, qu'il
n'y ait plus de prise de conscience dans le monde de la finance …
Pourtant, il semble que les crises qui se superposent – financière,
sociale et écologique traduisent l’épuisement du système
économique dominant. Comme l'écrivait André Gorz dans un de ses
derniers livres « le capital semble avoir approché au plus
près son rêve : celui de faire de l’argent avec de l’argent. »
en ajoutant que « la menace d’effondrement du système
est telle désormais que tout semble possible, le pire comme le
meilleur. »
L'humanité est passé de l'âge
de pierre à l'âge du fer, à la révolution Gutenberg, puis la
révolution industrielle, maintenant la révolution numérique. Ces
différentes périodes se dénombraient d'abord en centaines de
milliers d'années, ensuite en centaines d'années et maintenant en
quelques années (époque numérique post-industrielle) voire en
quelques mois. Il n'est plus possible de parler d'évolution mais de
mutations ; comme dans la physique quantique, on observe de
brusques changements de l'état d'un système de manière
pratiquement instantanée. Le cerveau humain est incapable de digérer
ces changements trop rapides et l'homme ne s'adapte plus à cette
nouvelle société, et, pour beaucoup de nos contemporains, il est
plus confortable d'être immobile et conservateur.
A partir de ce constat, on peut
affirmer qu'il n'y a pas de crise, mais une inadéquation des hommes
et de la société dans laquelle ils évoluent, en même temps qu'une
exploitation effrénée de cet étourdissement général par les
forces financières qui ne se préoccupent nullement de l'avenir de
l'humanité tant est forte leur avidité de la richesse immédiate.
Ces forces surfent sur le délitement du modèle social et
particulièrement sur l'un des socles qui cimente le lien social :
le travail dont ils organisent la dérégulation avec la complicité
des gouvernements.
Aujourd'hui, tous les
économistes, de toutes tendances, affirment que nous ne retrouverons
plus la croissance des « trente glorieuses » et que les
développements de la techno-science, de l'informatique, du numérique
et au delà de la cybernétique apportent quotidiennement des
avantages de productivité très importants. Ces gains de
productivité sont mauvais pour l'emploi car on a besoin de moins de
monde pour produire le même volume et l'augmentation de la
productivité, tant vanté par nos Hommes politiques au nom de la
"compétitivité" détruit des emplois. Les développements
technologiques ont toujours permis d'augmenter la productivité, de
produire plus avec moins de personnels, pourquoi voulons-nous que,
dans l'ère post industrielle, cela change ? au contraire cela
ne peut que croître. On comprend alors pourquoi le Medef ne veut pas
entendre parler du temps de travail : les gains de productivité
profitent aux actionnaires.
Un exemple 3
parmi beaucoup d'autres : A l'usine Peugeot de Poissy, en
1980, 22000 4
employés fabriquaient environ 2000 véhicules par jour (0,09
véhicules/travailleur/jour) . En 2013, un peu moins de 7000
employés produisent 1500 véhicules par jour (0,21
voiture/travailleur/jour), la conclusion est qu'il faut 2,5 fois
moins de personnel pour produire une voiture. (Les ingénieurs
soutiennent qu'on est capable, aujourd'hui, d'assembler une voiture
sans intervention humaine.)
Affirmer, les yeux dans les yeux,
que la croissance va résorber le chômage. C'est faire preuve d'une
incompétence grossière ou d'une malhonnêteté intellectuelle
grave.
En
effet, une croissance de 3% aurait peu de conséquences sur le taux
de chômage ; elle permettrait probablement de l'amener aux alentours
de 8% (solde 2 800 000 chômeurs) et une croissance modérée ne le
ferait pas baisser ; l'économie peut très bien se porter avec
une croissance de 1.5% et continuer à générer du chômage. Selon
la loi d'Okun 5
(reconnue par la plupart des économistes) pour que la courbe du
chômage s'inverse de manière durable, il faut une croissance
continue supérieure à 1.9%.
On en est loin... le chômage
restera donc endémique, l'utopie du plein emploi a bien vécu. L’UMP
et le PS y croient-ils eux-mêmes quand ils nous disent que l’on va
bientôt retrouver une croissance de 2,5% pour juguler le chômage,
alors que cela fait maintenant 30 ans qu’on n’y parvient pas. Les
scénarios les plus optimistes tablent sur une évolution à la
japonaise, 0,7% de croissance en moyenne depuis 20 ans et pour les
Etats-Unis, seulement 1,1 %.
Manifestement, on est dans une
impasse.
D'autant
plus que notre bonne démographie (2,1 enfants par femme) fera
mécaniquement de nos enfants de nombreux demandeurs d'emplois. Cette
démographie explique en partie notre différence avec le modèle
allemand où le taux de chômage est deux fois moins important qu'en
France. À cela il faut rajouter que 10 % des salariés
allemands gagnent 259 euros ou moins pour vivre. Les 10 %
au-dessus gagnent 614 euros. Le miracle économique allemand, c'est
20 % des Allemands qui gagnent 614 euros ou moins par mois. Ils
ne sont pas au chômage, mais travaillent à temps (très) partiels…
C'est d'ailleurs la face cachée du discours de François Hollande et
de son gouvernement qui se félicitent que la tendance de la courbe
du chômage s'inverse 6.
Il
faut bien analyser les chiffres 7
avant de crier victoire :
- 20 000 chômeurs 8 de moins, c'est 0,6 % du nombre total. (- de 7000 emplois par mois)
- il reste encore 3 375 200 chômeurs de catégorie A.
- Sachant que 70% des embauches se font sur des contrats de moins d'un mois, le nombre d'emplois à temps partiel augmente fortement (+ 4 % en moyenne) ce qui veut dire que le temps total travaillé diminue, on constate effectivement une forte hausse des chômeurs de catégorie B et C (les demandeurs d'emploi qui ont travaillé quelques heures durant le mois - CDD et intérims). Si on additionne les trois catégories ABC, on enregistre une hausse de près de 40.000 demandeurs d'emploi. Exactement le modèle allemand que l'on veut copier à tout prix. Pôle-Emploi, plus réaliste, évoque l'impact des embauches temporaires pour les vendanges d'automne.
Pour
des raisons de clarté et de vérité, le Conseil national de
l’information statistique (Cnis) avait préconisé en 2007 que la
communication politique sur le chômage se fasse sur la totalité des
demandeurs d’emploi ( A + B + C). Cette préconisation est restée
lettre-morte, à gauche comme à droite.
Si pour le gouvernement,
l'inversion de la courbe du chômage est de faire sortir des
demandeurs d'emploi pour les envoyer vers la précarité, c'est
effectivement réussi et il pourra clamer haut et fort qu'il a
inversé la tendance mais il n'aura pas rempli son rôle politique
qui est d'anticiper les transformations de la société.
Gouverner, c'est prévoir !
L'évolution du « travail », plutôt
sa mutation, a déjà des conséquences dramatiques qui mettent en
cause le fonctionnement démocratique de nos Etats. Le chômage de
masse est une des causes principales des soulèvements récurrents
qui agitent des grands ensembles urbains ( zones urbaines sensibles
9).
Il concerne essentiellement les personnes non qualifiées, ou dont
les qualifications ne correspondent pas aux besoins de l'économie et
que l'on ghettoïsent en les « reléguant » dans les
« grandes » banlieues 10.
Le tableau ci-dessous montre que le taux de chômage est bien plus
élevé parmi les non diplômés.
Pour ces catégories sociales
modestes, le travail est un facteur important d’honneur et de
valorisation personnelle, d’autant que la comparaison entre
« chômeurs » et « fainéants » est
rapidement faite par les bien-pensants. Le chômage est vécu comme
une perte d’identité et de dignité aggravée par les échecs à
trouver du travail. De plus, l’ennui est profond dans leurs
environnements où les possibilités de trouver et de financer des
activités culturelles, associatives ou sportives sont plus
difficiles que dans les milieux aisés.
Bien entendu, les sirènes du
capitalisme chantent que les nouveaux emplois créés équilibrent
les emplois « détruits », que le nombre des emplois non pourvus
est important, que les chômeurs ne cherchent pas de travail, etc.
Tout cela est faux, et c'est d'un archaïsme si profond,
qu'il devient désespérant de voir le gouvernement « socialiste »
écouter ces fadaises et faire des plans à 2035, pour des régimes
de retraites basés sur un concept dépassé du travail que l'on sait
en profonde mutation et attendre une croissance illusoire pour faire
baisser le chômage. Ou ce gouvernement, qui se dit « socialiste »,
manque de courage pour affronter les réalités du monde qui se
dessine, ou il est complice du modèle économique en place et il
essaie de berner son opinion.
Il
reste peu de temps pour lutter contre les dangers multiples :
économiques, sociaux, écologiques... Et, l'absence de travail fait
partie de ces risques. Nous sommes dans une situation dangereuse,
plus de cinq millions 11
de personnes sont inscrites à Pôle-emploi. Le partage du travail
actuel est stupide : on ne travaille pas ou on travaille trop.
Il faut ne pas continuer à utiliser les vieilles recettes du dernier
siècle. Le capitalisme néo-libéral n'a de cesse que de déréguler
le marché du travail comme l'ont fait Ronald Reagan aux Etats-Unis
et Margaret Thatcher au Royaume-Uni. A la fin des années 70, la part
salariale correspondait à environ 70 % du PIB, aujourd'hui
difficilement à 57 % ; cela constitue un déséquilibre
considérable en faveur des actionnaires.
Ce déséquilibre, facteur de
profondes inégalités, ne peut pas perdurer sans conséquences
dramatiques, que l'on entrevoient déjà dans notre pays ; la crise
des années 1930 a débouché sur la barbarie, la « pseudo crise » d'aujourd'hui
nous entraîne sur le même chemin …
Comme nous pensons que le système économique dominant a atteint ses limites et, malgré des soubresauts, est moribond, c'est le moment favorable pour montrer, comme nous l'avons déjà fait par le passé, une nouvelle voie au monde même si elle est à contre courant des positions politiquement correctes.
Rien n'est jamais gravé dans le
marbre. Il nous faut contraindre le gouvernement « socialiste »
à ne pas cacher la vérité sur les mutations en cours, à faire preuve de courage, d'imagination, de créativité, pour
redonner de l'espérance aux Français ; il faut chambouler les
idées reçues et inventer un nouveau modèle qui correspond aux réalités et aux transformations de la société en mouvement et
aux idéaux de la République.
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux
1
Voir les théories de Milton Friedman, de Friedrich von Hayek et
de l'école de Chicago
2
http://www.telegraph.co.uk/news/politics/10479466/Boris-Johnson-some-people-are-too-stupid-to-get-on-in-life.html
3
Un autre exemple, les 260 000 caissier(e)s de supermarchés qui
vont perdre leur emploi au profit des puces électroniques sans
contact. (Technologie RFID)
4
Il est à noter que sur les 22 000 employés, il y avait 15 000
travailleurs migrants principalement des Marocains.
6
http://travail-emploi.gouv.fr/etudes-recherches-statistiques-de,76/statistiques,78/chomage,79/les-series-statistiques,265/les-series-mensuelles-nationales,14871.html
7
« les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force
d'être torturés, finissent par avouer tout ce qu'on veut leur
faire dire ». Alfred Sauvy
8
Le mot chômeur est moins politiquement correct que demandeur
d'emploi mais plus parlant.
9
Bien mal nommées, car ce n'est pas la zone qui est sensible,
mais, à la précarité et à la pauvreté, les personnes qui y
habitent sont sensibles.
10
Banlieue : vient de ban – mettre quelqu'un au ban de la
société : le rejeter, le déclarer indigne, il n'y a pas de
hasard.
11
3 375 200 en catégorie A, le reste en catégorie B et C.
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