Anatole France : " On croit se
battre pour sa patrie et on meurt pour les industriels "
Lettre ouverte à Marcel Cachin, dans le journal l'Humanité du 19 juillet 1922.
L'espèce humaine ne
sait
pas ce qu'est la paix. La guerre nous semble la manifestation
inévitable des rapports de force politiques. A posteriori,
une fois passées les années, on découvre qu'il n'est aucune guerre
juste car il n'est aucune guerre justifiable face au jugement de
l'histoire.
Les commémorations du
centenaire de l'entrée dans la première guerre mondiale, nous
rappellent ce que nous voulions oublier par peur et par honte :
on ne pouvait, entre 1914 et 1918, demander aux humains de payer
un
tel prix pour aboutir à... rien, sinon à semer les graines d'un
autre conflit tout aussi épouvantable, entre 1939 et 1945 !
Hitler était en Belgique, à Messines, en 1915 et il y a connu
l'épouvante quotidienne et la banalisation de la violence extrême.
C'est là qu'en lui est né le monstre et le désir de vengeance pour
l'humiliation subie par les Allemands, qui allaient être vaincus
malgré leurs énormes
sacrifices.
Tant de savoir, de
technique, de courage, de souffrance, de terreur, de travail,
d'imagination, de cynisme pour envoyer à la mort des millions
d'Européens, c'est devenu impensable et pourtant ce fut une
réalité
qui a fait douter de tout : de Dieu, des hommes, de l'amour, de
la vie même.
Les « six cent
cinquante fusillés pour l'exemple » ont été les
témoins
honnis et pourtant admirables qui, pour certains, - les autres ont subi leur mauvais sort - ont désobéi et donc tenté de
résister à la machine infernale. Il a fallu un siècle pour
reconnaître que ce n'était pas des traîtres mais le petit nombre
de ceux qui, ayant déjà beaucoup donné, n'en pouvant plus,
considéraient qu'on les entrainait, au nom du devoir, vers une fin
sans espoir et qui disaient : « non, nous n'irons pas plus
loin ». Il fallait qu'ils meurent au combat et qu'ils
l'acceptent ; ils ne l'ont pas voulu ; on les a, pour cela,
fusillés. Ils pouvaient être « contagieux »
Il reste de nombreux
citoyens pour estimer que la nation peut sacrifier ses enfants et
que
l'État est en droit de l'exiger. Il n'est pas d'exemple historique
où la guerre ait produit un bien pour le peuple. La bataille de
Valmy, admirée dans nos manuels d'histoire, fondatrice de la
République, n'a pu empêcher la naissance de l'Empire et la défaite
de Waterloo. Qu'on loue encore, aujourd'hui, Bonaparte devenu
Napoléon, a de quoi surprendre, tant il causa de meurtrissures à
la
France et cela montre bien à quel point, depuis des siècles, les
logiques de puissances nous imprègnent, lesquelles ne sont que des
logiques de guerre et donc des logiques de mort.
On fustige les
pacifistes
qui se refusent, en toutes circonstances, à prendre les armes.
Louis Lecoin, l'anarchiste objecteur de conscience, ne pouvait
accepter d'être entrainé vers l'inéluctable. Il le cria et subit
de multiples années de prison. Car, estimait-il, pour faire
combattre les hommes les uns contre les autres avec des outils,
pensés par de savants ingénieurs dans les usines d'armement, des
outils qui broient, torturent, asphyxient, bref assassinent, de
loin
comme de près, il faut que notre conscience ait été anéantie.
La puissance, la
sophistication, la quantité des armements, beaucoup plus
« performants » que ceux dont les Poilus firent usage,
devraient nous glacer d'effroi et donc geler les activités
militaires qui causent toujours plus de mal qu'elles ne protègent
les innocents. C'est encore nié, mais c'est ainsi. Les sociétés
fondées sur la violence, la puissance, la force et la contrainte
physique sont intrinsèquement perverses quelles que soient
- parfois ! - les bonnes intentions de leurs dirigeants.
L'intelligence n'a
jamais
bloqué ces perversités. La volonté de puissance (Wille
zur Macht), un
concept
proposé par Friedrich Nietzsche, (et un projet de livre
abandonné,
à la fin de l'année 1888) est présente au cœur de tout pouvoir
et
tout y est sacrifié. Faut-il s'y soumettre encore ?
Le piège est tel :
longtemps avant qu'un conflit ne soit déclenché, ses causes se
préparent, se nourrissent d'ambitions et de mensonges, s'enflent
des
situations antérieures jamais résolues et, le jour venu, on ne
peut
faire autrement que... ce qu'il ne faut pas faire.
Un grand esprit se
dresse-t-il, alors, devant les fomentateurs de guerre ? On le tue.
Ainsi mourut Jaurès, assassiné à Paris, dans le café Le
Croissant, le 31 juillet 1914, trois jours seulement avant
l'entrée en guerre, le 4 août. Son assassin, Raoul Villain, fut ...
acquitté le 29 mars 1919, ce qui est la démonstration même, aussi
choquante que surprenante, qu'on n'avait rien voulu comprendre à
ce
qui avaient été les causes et les conséquences de cette boucherie
qui fit neuf millions de morts et vingt millions de blessés.
On peut écrire des
livres savants (et le faut, pour l'histoire) au sujet des guerres
et
de leur place dans les contextes géopolitiques, mais les questions
philosophique et politique, liées, priment : « est-ce
ainsi que les hommes vivent » écrivait Aragon ; les
hommes peuvent-ils vivre autrement doit-on se demander aussi... Et
surtout, faudra-t-il longtemps encore que chaque citoyen soit tenu
d'obéir à ce qu'il réprouve, au nom du patriotisme et de la
République ? Tout semble, à l'approche de 2014, réuni pour pouvoir
clairement répondre : non !
Lazare Ponticelli (1897-2008) qui fut le dernier survivant de la guerre 14-18, disait :
« Cette guerre, on ne savait pas pourquoi on la faisait. On se battait contre des gens comme nous... »
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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