On a pu reprocher à Stéphane Hessel d'avoir seulement appelé à s'indigner. En réalité, il invitait à une prise de conscience dynamique : le refus du capitalisme commence par la connaissance de ce qui nuit à l'humanité et qui ne doit plus être supporté.
Voici
des générations que l'on dénonce le capitalisme et cela ne l'a pas
anéanti pour autant et seulement modifié. Il s'agit donc de comprendre
pourquoi, à présent, le capitalisme est dépassé et c'est pourquoi il
faut dénoncer non ses excès mais sa raison d'être.
Deux
approches sont parallèles et peuvent se recouper un jour : la fin du
capitalisme sous le poids de la critique et de l'hostilité des
exploités, d'une part, ou bien la fin du capitalisme, en fin de vie, qui
ne parvient plus à dominer l'ensemble des peuples du monde, d'autre
part.
Il
fut un temps, qui n'est pas loin, où parler de la fin du capitalisme
faisait ringard. Cela ne se disait plus. Depuis la fin du socialisme
soviétique, il était entendu que la démocratie et le capitalisme ne
faisaient plus qu'un. Le "monde libre" avait gagné la partie et la
dernière page de l'histoire était écrite, comme l'affirmait Francis Fukuyama ; il n'y avait plus
d'alternative.
"La
crise" (comprendre l'échec bancaire, financier et monétaire) de 2008 a
permis d'entendre de nouveaux discours où le capitalisme cessait d'être
considéré comme incontournable. La réalité économique et sociale, que
masque l'usage permanent du vocable crise (comme s'il s'agissait d'un
trouble passager !), entraine les peuples vers une mutation historique à
laquelle s'oppose un conservatisme brutal, intelligent, et qui ne lâche
rien sur le maintien des inégalités et du profit.
Il
est plusieurs voies pour aller au cœur du capitalisme, là où il est
fragile et peut être ruiné dans l'esprit de nos contemporains avant
d'être ruiné tout court, c'est à dire privé de ses gains.
Mais
il y a, ensuite, cette autre : à cette lutte des classes qui vient relayer des
décennies, voire des siècles, de résistance à l'exploitation des
modestes par les puissants, se surajoute ce que l'on peut appeler : la lutte des fins.
L'apparition des thématiques écologiques, qu'aucun parti n'a su prendre
en compte, a mis en évidence que le capitalisme repose sur une
illusion, un irréalisme : la possibilité de faire fonctionner durablement les
sociétés avec des ressources énergétiques et minières non renouvelables.
Plus largement encore, le productivisme sans frein, la croissance
indéfinie n'offrent comme modèle de civilisation que la fuite en avant,
en refusant d'accepter l'idée qu'il y a une fin indépassable qui, en
tout cas sur cette Terre, interdit de vivre sans limites. Une fois la
liberté réservée à ceux qui disposent du pouvoir, une fois l'égalité
réduite à la propriété de ceux qui disposent de l'avoir, à qui
appartient la fraternité, troisième principe fondateur de la République,
sinon à ceux qui s'appuient sur le savoir véritable.
Mais résumons-nous, brièvement.
1
- Brisons le lien politique entre le capitalisme et la démocratie, non
en réinventant la démocratie populaire qui ne fut que la dictature du
parti, mais en administrant la preuve que, non seulement, démocratie et
capitalisme ne sont pas l'envers et l'endroit d'une même médaille mais,
surtout, qu'il n'y a pas de démocratie viable là ou domine le
capitalisme.
2
- Affirmons et prouvons que la démocratie ne peut se fonder que sur
l'égalité, non par la résurgence d'un collectivisme menant tout droit au
totalitarisme, mais par l'affirmation constante qu'un homme vaut un
homme et peut bénéficier d'un sort non pas équivalent mais commun à
celui de son voisin quand il s'agit des fondamentaux de toute existence
digne et honorable.
3
- Constatons que l'humanité est entrée dans l'ère de la connaissance et
de la communication complète et rapide des données indispensables aux
choix décisifs. La démocratie n'appartient plus aux représentants des
citoyens délégant leur pouvoir ; elle appartient aux citoyens eux-mêmes,
de plus en plus nombreux, qui, avec ou sans conseils associés, peuvent
décider de leur sort. La décérébration produite par la publicité et la
propagande tend à ralentir où ruiner ce processus, mais en vain car in fine ce sont les intérêts vitaux qui commandent.
4
- Enfin, pressons-nous de redéfinir la fraternité politique qui ne se
limite pas à des sentiments humanitaires et à la bienveillance. Elle est
une solidarité non occasionnelle mais permanente. Elle est l'esprit
même de la République, de la res publica, de la chose publique,
incompatible avec la priorité laissée aux intérêts privés. Elle est le
lien civique qui unit la personne (non "l'individu" !) et la commune,
communauté ou collectivité dans la responsabilité et non l'obéissance.
Elle est cette attitude citoyenne sans laquelle la liberté autant que
l'égalité se disloquent avant de se désagréger.
Et pour entrer dans ce monde là, à nos portes, il faut nous débarrasser du capitalisme lequel n'existe que parce qu'il nous habite, nous modèle, nous détermine, nous exploite, nous domine, nous assujettit et nous... gouverne ! Tendons à nous gouverner nous-mêmes : ce n'est plus un rêve ou une chimère nous répétait Stéphane Hessel. Soyons "acteurs", comme le dit constamment Alain Touraine, acteurs de nos vies.
Et pour entrer dans ce monde là, à nos portes, il faut nous débarrasser du capitalisme lequel n'existe que parce qu'il nous habite, nous modèle, nous détermine, nous exploite, nous domine, nous assujettit et nous... gouverne ! Tendons à nous gouverner nous-mêmes : ce n'est plus un rêve ou une chimère nous répétait Stéphane Hessel. Soyons "acteurs", comme le dit constamment Alain Touraine, acteurs de nos vies.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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