Dans
son édition du 15 mars 1968, Le Monde publiait un article
devenu célèbre, (« Quand la France s'ennuie... » ),
dans lequel le journaliste Pierre Viansson-Ponté constatait que,
dans la société française, « on s’ennuyait ». Quelques jours
plus tard, commençaient des événements qui allaient totalement
bouleverser les mœurs et les institutions du pays.
Sommes-nous
à la veille d'une semblable période de l'histoire de la France et
de l'Europe tout entière qui transformerait et nos modes de vie et
l'organisation même des pouvoirs publics ? Rien ne le donne à
penser si l'on s'en tient à l'état léthargique de notre vieux
continent. Et pourtant !
La
France ne s'ennuie pas ; elle s'endort. Ou, plus exactement, on
l'endort et elle s'anesthésie. D'autres États voisins, reçoivent
également, du reste, par les médias, les mêmes somnifères et
narcotiques stupéfiants !
Dans
un article, « Décortiquer la crise démocratique »,
publié par Médiapart, le 29 mai 20151,
Fabien Escalona fait l'analyse détaillée de la situation de
blocage dans lequel se trouvent placées la France et l'Europe. Il
donne, en effet, à penser que non seulement les citoyens sont
endormis mais qu'ils sont paralysés, anesthésiés par de multiples
drogues au premier rang desquelles se trouve la démocratie atteinte
par la corruption et la dégradation de ses institutions, voire de
ses agents !
L'auteur
de ce document propose des références multiples d'écrits
convergents qui fondent cette formule : « les
craquements sous la surface se multiplient, mais le séisme ne se
produit pas ».
Autrement dit, nous sommes entrés dans une période où va surgir
l'inconnu, car la globalisation de l'économie a engendré une
situation instable, intenable, dont la rupture est inévitable. Le
volcan sur lequel repose le capitalisme occidental, étendu à deux
géants orientaux, est endormi mais explosera. C'est la même la
conviction, mais autrement argumentée, plus
écologique et pragmatique, que Pablo Servigne & Raphaël Stevens
expriment dans leur livre2
consacré à la « collapsologie » (un néologisme utilisé
pour identifier l'étude de l’effondrement de la société
thermo-industrielle).
Les
leçons de mai 1968 ont été enregistrées par ceux qui ne veulent
plus perdre le contrôle de leurs pouvoirs économiques et
politiques. Pour éviter toute « rechute » dans
l'imprévisible, les têtes pensantes de la société libérale, ont
conçu et installé des pratiques de la démocratie qui se retournent
contre la démocratie
elle-même. Ali Kebir interroge, dans un livre concis3,
la tolérance des citoyens à l'égard de cette démocratie dévoyée.
À le lire, on se demande, avec le philosophe Tony Ferri4 :
« d’où vient le fait que les citoyens admettent aujourd’hui
la démocratie sinon comme le bien politique suprême, du moins comme
un régime quasi incontestable et presque naturel, alors même qu’elle véhicule des technologies de pouvoir et qu’elle est le
résultat de relations complexes (sociales, politiques, historiques,
culturelles) autour desquelles gravite l’enjeu majeur de la
reconduction, de la conservation, de la perpétuation de la
domination d’un groupe (les puissants, les décideurs, les
possédants) sur d’autres groupes (les sujets ou « assujettis »
démocratiques, les dominés) ».
Nous
vivons, dès lors, une douloureuse certitude : d'une part, « ça
ne peut plus continuer comme ça ! » mais, d'autre part, on ne
sait ni quand ni comment va s'enclencher cette néo-révolution, d'un
nouveau type, n'ayant rien à voir avec les précédentes, et qui
modifiera - mais à quel prix ? - les relations humaines. Les motifs
d'inquiétude s'alourdissent sans que l'on sache par quel voie vont
s'avancer soit les catastrophes, soit les bouleversements positifs.
Ainsi
la COP21, en France, en décembre 2015, va-t-elle mobiliser
l'attention des plus conscients des humains et nul ne sait jusqu'où
ira ce mouvement d'opinion. Mais, au niveau des dirigeants des États,
cette conférence ne peut qu'échouer puisque ceux qui la préparent
sont ceux qui sont la cause du désastre climatique. Et il y a pire :
dans notre pays, champion du nucléaire, d'aucuns voudraient nous
convaincre que, pour limiter le réchauffement de la planète à +2°,
« il
faut favoriser le financement des énergies bas-carbone, et parmi
elles, le nucléaire ». Sombrent aussitôt dans l'oubli les
risques immenses de l'élimination des déchets, les impossibilités
de démantèlement des centrales, le lien avec la prolifération de
l'armement nucléaire, etc... C'est un mauvais rêve !
Mais
ce n'est pas tout : comment avons-nous pu oublier que seulement
1% de l'eau sur terre est potable ?
Que 2% sont gelés ? Que le reste est de l’eau salée contenue
dans les mers et les océans ? Ou que les débits, lors des
périodes estivales, pourraient diminuer de 80% en Europe centrale,
de l’Est, et du Sud, au cours des 50 prochaines années ? Le
manque d'eau potable s'annonce comme le risque global principal dans
une large partie du monde pouvant engendrer de nouvelles et
monstrueuses guerres. Voici un autre mauvais rêve !
Il
n'y a vraiment pas de quoi s'ennuyer et s'endormir, en France, où
l'étroitesse de son territoire et la perméabilité de ses
frontières, terrestres et maritimes, ruine toute politique à
caractère autarcique et nationaliste. L'enfermement dans des
idéologies d'État-nations retarde l'inéluctable mais elles
n'empêcheront pas que l'Europe soit d'autant plus visitée qu'elle
est un îlot de richesse relative dans un monde où toujours plus
d'humains manquent de revenus, subissent d'affreuses sécheresses et
craignent les violences de ceux qui les transforment en marchandises.
Que
la France s'endorme est certes un péril mais, à l'évidence, c'est
un regard global, les yeux tout grand ouverts, que l'ensemble des
citoyens, devenus peu à peu, à leur insu mais de fait, des citoyens
du monde, ont à porter sur cette planète limitée, dont ils ne
peuvent encore sortir et où les frontières des États ne sont plus
infranchissables.
La
maîtrise de eau, de l'atome, du climat et des migrations
internationales est au tout premier rang des préoccupations de
chacun mais elle ne semble pas celles de nos représentants, dès
lors de moins en moins représentatifs. Le temps de la délégation
aux experts, aux élites et aux dotés tire à sa fin. Nous sommes
tous directement concernés. La montée de la démographie, la
facilitation de la circulation des peuples, l'explosion de la
communication par internet et par téléphone ont modifié les
rapports des vivants entre eux.
Là
s'installe la politique, désormais.
C'est de notre vie qu'il s'agit.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
1 http://www.mediapart.fr/journal/france/290515/decortiquer-la-crise-democratique
2
Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut
s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des
générations présentes, Le Seuil, 19 €.
3 Ali
Kebir, Sortir de la démocratie,
L'Harmattan, 2015.
4
Tony Ferry, le 10 mars 2015, dans :
http://ici-et-ailleurs.org/spip.php?article484
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