Le génie de la liberté va-t-il devoir quitter la Bastille?
Les défenseurs des libertés affirment que le monde occidental est entré, depuis quelques décennies, dans l’ère de la société de surveillance généralisée.C’est une affirmation justifiée au regard des systèmes, règlements, décrets, arrêtés, circulaires et lois qui sont quotidiennement mis en place et promulgués par les pouvoirs publics.
Les développements technologiques, principalement celui de l’industrie de l’informatique, permettent aujourd’hui d’imaginer des systèmes de contraintes de plus en plus liberticides, qui semblent naturellement acceptés par nos contemporains comme une fatalité nécessaire au bien-être de l’humanité.
Cette surveillance, que certains appellent de leurs vœux, n’est pas sans conséquence sur nos vies quotidiennes car, comme dans un livre célèbre Surveiller et punir, Michel Foucault l’a démontré, surveiller a pour conséquence directe et immanente de sanctionner. Surveiller pour surveiller serait inepte, il est donc normal, nécessaire dans un système dominateur, de punir.
Nous sommes, de ce fait, passés directement d’une société permissive à une société de sanction; la surveillance n’étant que le bras armé du père fouettard gouvernemental.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Sûrement, parce que notre système sociétal a rendu le monde malade de la paranoïa des gouvernements occidentaux qui utilisent, habilement, les dramatiques attentats new-yorkais du 11 septembre 2001, pour remplacer la présomption d’innocence par une présomption de culpabilité où l’on doit apporter la preuve de son innocence et où chaque citoyen est considéré comme un terroriste en puissance. Malade de l’excès de besoin de sécurité et de l'idéologie (plutôt de la dictature) du risque zéro , savamment distillée par les gouvernements.
Exemple récent : la grippe porcine, mexicaine, AH1N1... Ce fiel sécuritaire génère la peur, l’insécurité permanente, levier puissant de la domination et, sur le plan social, conduit à des replis, suivis de passages à l'acte qu'on pourraient qualifier de perpétuels : peur, repli, passage à l'acte, de nouveau instrumentalisation de la peur, repli, passage à l'acte, etc...
Malheureusement réclamé par de nombreux citoyens, qui voudraient même l’immortalité, le dogme du risque zéro sert la politique sécuritaire du pouvoir. Chacun sait que le risque zéro n'existe pas, pourtant le système, la communication marketing des pouvoirs, et leur détournement langagier permanent, les conduisent à inventer des concepts comme "le potentiel de dangerosité", (pourquoi pas dès trois ans,!) ou la "vidéo-protection", terme mensonger puisque ce système ne protège personne.
Malade aussi du mélange vie privée/vie publique qui prend une ampleur encore inconnue par la people-isation et l’hyper-médiatisation. Immédiatement après la seconde guerre mondiale, Hannah Arrendt a écrit: "Un des piliers de nos démocraties est la frontière entre le public et le privé". Écrit prémonitoire car l'intime est absolument fondamental dans la construction du sujet.
Notre inconscient a besoin de différenciation entre l'externe et l'interne, entre le fantasme et le réel, entre moi et l'autre. Cet intime, une fois mis à mal, subit des conséquences psychologiques importantes qui deviennent pathologiques. Quelques sociologues et des journalistes prédisent la fin de la vie privée. Cette fin, si elle devait intervenir, amènerait l’humanité à la folie collective et à la barbarie.
Malade, enfin, de la boulimie de croissance d’un système capitaliste déshumanisé qui considère l’être humain, seulement comme consommateur, pour le seul profit des grands groupes financiers et industriels planétaires. Comment avoir des états d’âme et se passer d’un pactole de croissance de 20 % l’an ? Alors, la volonté de développer une technologie de contrainte et celle de se servir de la "persuasion" et du pouvoir, donc de la loi, pour la faire accepter à des fins purement mercantiles, ne sont que les deux faces d'un même dessein.
Le ministre de l'intérieur voulant intensifier la mise en place de caméras vidéo, sachant qu’il est prouvé que le système est inefficace, est dans cette posture. Mais pourquoi s’inquiéter ? Nous qui sommes honnêtes, nous n’avons rien à nous reprocher. Ainsi semble penser la majorité de la population.
Et pourtant, l’employeur, l’assureur, le banquier, le maire (loi sur la prévention de la délinquance) le fournisseur d’accès à Internet, l’hypermarché, l’État, tous sont preneurs ou seront preneurs du profil des citoyens, pour les démarcher souvent, pour les surveiller et les sanctionner toujours.
Pour clore ce propos, voici deux exemples de surveillance/sanction qui ne semblent pas liés directement à des atteintes à nos droits fondamentaux, mais qui, pourtant, reflètent bien le passage d’une société de confiance et de présomption d’innocence, à une société de défiance, (tous coupables!). Ils donnent un indice de la haute opinion du pouvoir sur la probité et l’honnêteté de l’ensemble des citoyens de ce pays.
Le contrôle – sanction des chômeurs. Ne croyez-vous pas que le chômage est déjà une sanction sociale suffisante. Non, le pouvoir, qui a une grande responsabilité dans les crises qui amènent au démantèlement des entreprises, peut-être, même, pour maquiller sa responsabilité, entend surveiller, culpabiliser et sanctionner les citoyens qui ne seraient pas suffisamment dociles voire serviles.
Le contrôle – sanction des arrêts de travail et des indemnités journalières abusives, (une nouveauté du ministre du budget). Là encore, on entend surveiller, culpabiliser et sanctionner tous les citoyens, en partant du principe simple qu’un arrêt de travail est sûrement demandé par un " tire au flanc ", coupable de collusion avec son médecin traitant. Ce sera donc au malade, même s’il n’a rien à se reprocher, de faire la preuve de sa maladie.
Nous pourrions multiplier les exemples de ces contrôles – surveillances, demandes de justifications tatillonnes et non fondées, qui débouchent le plus souvent sur des sanctions injustifiées, le pouvoir actuel considérant toujours l’individu comme un sujet dangereux et potentiellement coupable.
Une société où la confiance n’existe plus entre les citoyens et ses gouvernants n’est déjà plus une démocratie.
Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux
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