Entre la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948, il y a un énorme écart dans l'espace : celui de l'universalité, un écart de près de 160 ans, dans le temps, mais il n'y a que peu d'écart politique : les deux textes concernent bien tous les hommes, où qu'ils vivent sur Terre.
Ce concept d'universalité contient une espérance et une charge émotive dont Beethoven était empli en composant sa 9ème Symphonie. Il contient aussi une ambiguïté sans pareille parce qu'il a permis de confondre cosmopolitisme et mondialisation.
L'adjectif cosmopolite n'a pas bonne presse : il signifie, pour beaucoup, apatride ou pire : antipatriote! La mondialisation, au contraire, avait, ces dernières années, été considérée comme un processus d'unification économique et culturel irréversible autant qu'inéluctable.
L'altermondialisme, qui tente de jeter un pont entre la mondialisation et le cosmopolitisme en distinguant unification du monde et unité du monde, reste soumis à la critique des tenants du patriotisme. On a beau tenter d'établir une forte distinction entre le patriotisme et le nationalisme, il n'empêche que la politique triomphante est encore celle de l'exaltation du sentiment patriotique et national. On le constate aux USA, actuellement, après la victoire électorale historique de Barack Hussein Obama; on le constate partout ailleurs, là où la recherche d'une identité politique s'appuie sur la reconnaissance d'une appartenance à un peuple et à une terre.
À l'approche du 60ème anniversaire de la signature de la déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948, il est plus que temps de replacer les repères qui permettent d'échapper tant au "droitdel'hommisme" qu'à la culture du clan, élargi à l'État-nation.
Le premier de ces repères est que tout citoyen conscient est un citoyen du monde; le second de ces repères est que nous vivons sur une planète close et finie, l'hospitalité est plus que notre loi, c'est la condition même de notre survie; le troisième de ces repères est que la planète n'est pas un objet à conquérir et à dominer, c'est le lieu qui nous est donné en partage et dont nous sommes non les maîtres mais les hôtes; le quatrième de ces repères, enfin, est que l'unité des hommes et leur diversité non seulement ne s'opposent pas, mais constituent, ensemble, le fondement même de la paix.
L'idée selon laquelle l'occident serait détenteur de la légitimité universelle est morte. La conception de la démocratie qui est fondée sur la délégation de pouvoir à des élites élues est dépassée. L'approche de la propriété considérée comme une réserve de biens ayant ses détenteurs légitimes est devenue inadéquate, car il ne s'agit plus, comme en 1789, d'arracher à l'aristocratie des richesses confisquées parce qu' héréditaires, afin de les confier aux réels producteurs de richesses, il s'agit de permettre à bientôt neuf milliards d'êtres humains d'habiter, d'occuper, d'enrichir leur Terre. Le dépassement qui vient de se produire de toutes les limites productives, financières, impériales, conduit vers la ruine généralisée. Il ne s'agit plus de commémorer des droits de l'Homme-type; il s'agit de réinstaurer, pour tous les humains, des droits qui ont été, soit abandonnés soit jamais conçus ou affirmés.
Le droit à l'accès à l'eau, par exemple, qui fait aujourd'hui question en de nombreux pays, est à annoncer comme une nouvelle obligation internationale. L'eau, au XXIe siècle va remplacer le pétrole : les peuples vont s'entretuer pour en disposer! D'une manière générale, et qu'il s'agisse de l'habitat, de la nourriture, de l'éducation ou de la protection de l'espèce humaine tout entière, il n'est plus possible de s'en tenir à une déclaration admirable, savante et ne faisant l'objet d'aucune contestation (puisqu'on peut l'interpréter et détourner à sa guise!). La crise économico-écologique, dans laquelle nous ne faisons qu'entrer, obligera vite à redire ce à quoi l'humanité du XXIe siècle a désormais droit. Et ce sera plus difficile à faire admettre que la modification des règles de fonctionnement du financement de l'économie mondiale...!
Avec l'arrivée au pouvoir d'un président noir, ou plutôt métis, à la présidence des États-Unis, on a osé parler de l'entrée dans une ère post-raciale. Même si les faits sont encore loin de confirmer cette appréciation, on peut considérer l'évènement comme une manifestation spectaculaire de l'émergence d'un droit que tous les hommes n'avaient pas encore approché: celui d'accèder, non plus pour la forme, mais en réalité, aux leviers du pouvoir d'une très grande puissance!
Reste à pénétrer dans l'ère post-occidentale. Reste à ouvrir l'espace post-productiviste. Reste à fermer non seulement Guentanamo mais toute structure pseudo-légitime dont des États s'arrogent la possession pour faire triompher, par la violence, des politiques négatrices des droits humains. Reste à oser l'ère post-capitaliste...
Comme toujours, la force politique d'un acte public dépend de son contexte. En 1948, le principal rédacteur de la Déclaration, René Cassin, s'appuyait sur le bouleversement total de la pensée humaine qu'avait engendré cette Guerre dont sortaient les peuples et qui s'était révélée d'une cruauté inimaginable.
Si le soixantième anniversaire de la Déclaration, dans quelques semaines, se limitait à faire entendre de beaux, grands et émouvants discours, on oublierait vite la commémoration, mais on resterait englué dans un nouveau contexte très douloureux dont l'inhumanité ira croissant. Puissions-nous donc nous appuyer sur l'ampleur des difficultés que nous rencontrons pour donner à l'ONU les moyens de réexprimer, en termes actuels et en actes politiques nouveaux, la volonté de l'humanité : liberté, égalité, fraternité, justice et paix, encore et toujours...
Jean-Pierre Dacheux
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