Depuis le début de ce qu'on s'entête à appeler "crise"(1), et que j'appellerais plus volontiers "rupture"(2), on nous couvre de chiffres et, plus encore, on déverse sur nous des torrents de mots. En réalité, et parce que l'économie ne dit pas tout, parce que cette cassure est systémique, inchiffrable, on s'évertue à expliquer ce qu'on ne comprend pas. Se taire serait trop angoissant... Et quel aveu d'impuissance, en outre, ce serait que de dire : "le monde est devenu si complexe que l'on ne maîtrise plus ce qui s'y passe".
Peut-on encore avoir une réflexion politique quand nulle action aux effets sûrs ne peut plus être projetée? Ce qui ne peut être chiffré, c'est aussi ce qui est illisible, insaisissable pour la pensée. Ici l'inchiffrable devient indéchiffrable. Ce qu'on ne peut expliquer avec des chiffres ne l'est pas non plus avec des mots! Faire face à ce neuf inabordable face auquel s'agitent des savants impuissants : tel est l'enjeu philosophique et politique fondamental.
À l'issue du G20 dont les journalistes prétendent qu'il s'agit d'un événement historique ou, au contraire, d'un non-événement n'ayant débouché que sur un catalogue de bonnes intentions probablement sans effet sur le réel, il faut stopper. Et que stopper? Stopper la précipitation et la vitesse de nos réactions inadaptées alors qu'une lame de fond va nous submerger.
Il faut flotter et ne pas s'opposer à ce que nous avons déclenché. Nous avons ouvert des vannes et quand la pression de l'eau s'exerce, impossible de refermer les portes. Autre image : peut-on, par grand vent, s'opposer à l'incendie qui ravage (par exemple, actuellement, les abords de Los Angelès)?
Entrer dans le complexe avec modestie en solidarisant nos compétences : rien n'est plus urgent. Mais voilà, c'est incompatible avec la démocratie de représentation (au double sens de délégation et de théâtre...) qui voudrait qu'on s'en remette aux élites élues! L'action de tous est indispensable. La politique aussi est emportée dans la tourmente.
Pauvres hommes aux mains nues, il va vous falloir vous préoccuper vous-mêmes de votre sort.
(1) Crise : "accident qui atteint une personne en bonne santé apparente" dit Le Robertl. (L'économie mondiale se portait elle si bien que ça?)
Par ext. Manifestation émotive soudaine et violente. ( Cette survenue n'a surpris que ceux qui ne voulaient pas voir, ou ne pouvaient pas voir parce que trop sous informés!)
Par analogie. Phase grave dans l'évolution des choses, des évènements, des idées. (On est au-delà de l'évolution des choses : on aborde la fin d'un cycle).
(2) Rupture, cassure, brisure, coupure ou déchirure : tous ces mots que termine le suffixe ure contiennent l'idée d'un événement après lequel rien ne sera plus jamais semblable à ce qui fut avant.
Jean-Pierre Dacheux
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