Nauru1
est une petite île de 21 km2,
l’équivalent de trois arrondissements parisiens, isolée au sein
du Pacifique central et qui forme aujourd'hui la République de
Nauru.
Son
histoire contemporaine est intimement liés à son unique ressource,
le minerai de phosphate, et aux perversités du système économique
libéral.
Découverte
tardivement, elle est successivement colonisée par l'Allemagne à
partir de 1888, l'Australie en 1920, le Japon de 1942 à 1945 puis à
nouveau l'Australie en 1947.
Comme
pour la plupart des sociétés traditionnelles, le contact avec les
Européens se traduit par l'introduction de nouveaux produits : armes
à feu, alcool, tabac, mais aussi l'argent dont l'usage se répand.
Jusqu'aux
années 1850, la coutume nauruane permettait une gestion des conflits
par la négociation mais l'introduction des armes à feu déséquilibre
les rapports de force entre les tribus nauruanes et les accrochages
au sujet de discordes se muent rapidement en une guerre civile
tribale. Par ailleurs, la population est régulièrement décimée
par des maladies inconnues jusqu'alors contre lesquelles leurs
défenses immunitaires sont déficientes.
À
partir de 1906, le gisement de minerai de phosphate de l'île est
exploité par différentes compagnies coloniales et dans
l'entre-deux-guerres, cette industrie est en pleine expansion car les
agriculteurs australiens et néo-zélandais achètent le phosphate
nauruan.
Pendant
le conflit entre le Japon et les Etats Unis, plus de 2000 soldats et
travailleurs japonais et coréens ainsi que 600 habitants déplacés
d'Ocean Island arrivent sur l'île. En septembre 1943, les Japonais
déportent 1200 habitants,
soit la majorité de la population nauruane, vers les îles
Truk
à 1600 kilomètres au Nord-Ouest, où sont basées les forces
navales japonaises du Pacifique.
À
la fin de la guerre, l'île est exsangue : sur les 1 200
habitants déportés dans les îles Truk, 759 ont survécu et sont
rapatriés le 31 janvier 1946 sur Nauru. La population est ainsi
passée de 1848 habitants en 1940 à 1369 habitants en 1946.
En
1948, l'exportation du minerai de phosphate rapporte 745 000 dollars
australiens à la British
Phosphate Commission
mais seuls 2 % reviennent aux Nauruans et 1 % à
l'administration de l'île.
Le
31 janvier 1968, au 22e
anniversaire du rapatriement des prisonniers des îles Truk, Nauru
devient indépendant sous la forme d'une République.
Le
nouvel État entre alors dans une période économique
particulièrement favorable. En juin 1970, alors que le cours mondial
du phosphate connaît une forte hausse, Nauru nationalise la British
Phosphate Commission
permettant un contrôle total de l'exploitation du minerai de
phosphate,.
Tous
ces facteurs permettent à l’île de s'enrichir considérablement
avec un produit intérieur brut par habitant de 50 000 dollars
américains et un niveau de vie2
atteignant celui des pays occidentaux.
Nauru
se dote alors de nombreux équipements et infrastructures : un centre
de conférence international, un hôtel de luxe, une station de
télécommunication satellite, une connexion de tous les habitants au
téléphone, l'agrandissement de l'aéroport international, etc.
Les
Nauruans qui s'occidentalisent, se vautrent dans la société de
consommation : voitures, téléviseurs, électroménager sont
importés, des supermarchés apparaissent. Ils ne payent pas d'impôts
et dépensent sans compter.
Le
résultat est que l’île s’est littéralement auto-dévorée à
force de creuser pour extraire le phosphate, jusqu’à 80% de sa
superficie y est passé. Il n’en reste aujourd’hui que des trous
dans un sol inexploitable et désert. La forêt tropicale luxuriante
a disparu et avec elle les nappes phréatiques, car Nauru est
probablement l’un des seuls de la planète à n’avoir, à l’heure
actuelle, aucune ressource en eau, si ce n’est la pluie et le
dessalement de l’eau de mer.
Pourtant,
le gouvernement Nauruan, prenant peu à peu conscience de
l'épuisement des réserves de minerai de phosphate, cherche des
alternatives. Il fait appel à des sociétés et des institutions
occidentales qui conseillent des investissements et des placements
financiers et immobiliers à Hawaï, Guam, Washington, Houston, aux
îles Marshall, dans l'Oregon, en Inde et à Londres.
Malheureusement la majorité de ces opérations sont entachées de
corruption et de détournements
de fonds.
À
partir du début des années
1990,
l'État nauruan est confronté à une grave crise financière, ne
possédant plus ni ressources naturelles, ni industrie, ni
agriculture, les revenus commencent à diminuer, il se tourne alors
vers des activités illicites qui lui valent d'être inscrit sur la
liste des paradis fiscaux
:
blanchiment d'argent, vente de passeport,
marchandage de ses votes aux organisations internationales, et
dépendance des aides au développement. L'île choisit, aussi, de
devenir le sous-traitant de l’Australie dans l’accueil des
réfugiés politiques.3
À
partir de la fin de l'année 2003, Nauru est en faillite totale et
ses habitants se rapprochent du seuil de pauvreté.
Les banques saisissent des biens et certaines entreprises cessent de
fournir leurs services au pays allant jusqu'à couper les liaisons
téléphoniques et satellites avec l'île.
Durant
ces décennies, le passage d'une société tribale à une société
hyper-consommatrice a conduit les Nauruans à adopter des modes de
vie dangereux pour la santé publique. Les mauvaises habitudes
alimentaires liées à la consommation d'aliments et de boissons
industriels d'importation, la consommation de tabac,
la
baisse des quantités disponibles de nourriture et l'inactivité
causée par un taux élevé de chômage
ont entraîné une hausse des cas de diabète (40 % de la population
et 66 % des personnes de plus de 55 ans touchées soit un des plus
forts taux au monde), d'obésité
(30
% des moins de 25 ans et 50 % des personnes âgées touchées soit le
plus fort taux au monde), de surpoids avec 90 % des adultes,
d'hypertension artérielle,
de maladies du système
digestif,
de cirrhoses,
de cancers,
de maladies dentaires,
d'insuffisances rénales
et des maladies
cardiaques.
À cela s'ajoute un fort taux d'alcoolisme et une mortalité
importante liée aux accidents
de la route.
L'espérance
de vie a ainsi diminué à 59 ans pour les hommes et à 64 ans pour
les femmes.
À
ce déclin, s’ajoute la menace d’une montée des eaux due au
dérèglement climatique car malgré un point culminant à 71 m de
haut et un plateau central entre 20 et 45 m d’altitude, la très
grande majorité de la population vit sur la plaine côtière large
de 150 à 300 m qui culmine seulement à 10 m de haut.
Voilà
comment comment
en l'espace d'un siècle, la civilisation capitaliste a anéanti l'un
des pays le plus riche du monde. Sur 21km2,
c'est un concentré de capitalisme : pillage des ressources
naturelles, surconsommation, corruption généralisée, clientélisme,
pollution générale, mondialisation, investissements boursiers et
fonciers, crise financière, argent sale, mafias, etc.
Nauru
n’est pas un accident de l’histoire, mais le livre noir du
capitalisme sauvage et de la mondialisation qui raconte comment un
rêve de prospérité peut, en quelques années, virer au cauchemar.
Cela
doit nous permettre de réfléchir aux conséquences du néo
libéralisme mondial, à celles de nos modes de consommation et
d'avoir une vision de ce que la folie de notre société pourrait
nous réserver à l’avenir si rien n’est remis en cause …
JCVitran
- 15.10.16
1
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_Nauru
2
Nauru devient le second pays
après l'Arabie saoudite dans le classement du produit intérieur
brut par habitant.
3http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/08/03/l-ile-de-nauru-accepte-de-recevoir-les-demandeurs-d-asile-australiens_3457187_3216.html
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