« Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ».(Albert Camus)
« Les mots font mal les mots,
font les malheurs les mots... ». (Guy Béart)
« Et par le pouvoir des mots,
je recommence ma vie ! ». (Paul Éluard)
« Le monde est
mon langage1 ».
(Alain Mabanckou)
Le philosophe Brice Parain (1897-1971) écrivait, lui :
« les mots sont des pistolets chargés ».
Réfugiés, migrants, exilés : ces mots ne sont pas synonymes et ne sont point neutres.
Le réfugié fuit. Le migrant quitte
son pays pour un temps ou pour toujours.
L'exilé est un proscrit, un banni, un
relégué, un abandonné, un mis à part devenu apatride.
Le vocable migrant est fort ambigu. Il
appartient à la vaste famille du verbe migrer.
Migrant, migration, immigration,
immigré, émigré... Les confusions sont difficiles à éviter.
Cependant ces confusions sont trop
lourdes de conséquences et il faut donc les dissiper.
Car les racistes poursuivent de leur haine
et de leur mépris tous les cosmopolites, citoyens du monde.
Le réfugié migre mais il n'est pas un
migrant. Il n'a pas voulu partir. Il y est contraint.
Il voudrait vivre en son pays mais ne
le peut plus.
Seule l'oblige à fuir la menace de
mort due à la guerre ou à la misère. Ce qui revient au même.
La distinction entre réfugiés
politiques et réfugiés économiques est donc vaine.
Aujourd'hui, un habitant de la planète
sur sept est un migrant climatique2.
Cela signifie que les migrations
environnementales sont déjà les migrations les plus nombreuses.
L'Europe ne connaît pas encore ces
arrivées de populations en exode, mais c'est inévitable.
Ne pas s'y préparer engendrerait des
conflits nouveaux, non maîtrisables, et planétaires.
L'épouvantable guerre de Syrie est
cause de l'une des migrations massives.
C'est un déplacement collectif non
voulu mais irrépressible. Il y en a et il y en aura d'autres.
Les arrivants ne sont ni des migrants
ni des immigrés, car ils n'ont pas choisi de changer de pays.
Entre une mort certaine et un mort
possible leur choix a vite été fait ; il fallait tout tenter.
Le cimetière méditerranéen où
s'abîment des familles entières révèle l'incurie des États
d'Europe.
Hormis l'Allemagne qui tente l'accueil
mais aussi la Grèce et l'Italie qui reçoivent, trop peu est fait.
Nous paierons, tôt ou tard, le prix de
ce repli sur nos égoïsmes nationalistes.
La Terre est trop petite pour que
puissions vivre dans des cadres autarciques..
Les réfugiés ou arrivants (ce mot
neutre est plus juste) sont des exilés, des déportés, des sans
asile.
Vivre loin des lieux où l'on a ses
racines généalogiques et culturelles est une douleur ineffaçable.
Au XXIe siècle tout se sait et les
foules qui s'enfuient de l'enfer sont victimes d'erreurs anciennes.
L'histoire, depuis les accords secrets Sykes-Picot, signés en 1916,
garde la trace de vrais crimes.
Le Moyen-Orient est plongé dans des
contradictions, des intérêts, générant la violence en continu.
La complexité de la situation,
l'orgueil des États, les logiques guerrières interdisent la paix !
Il n'est plus temps de s'interroger sur
« les bons et les mauvais réfugiés ». Prime le droit à
vivre.
Les politiques migratoires sont à
reconsidérer en fonction d'un monde devenu cosmopolite.
Les réfugiés paient cher cette
possibilité de nous ouvrir les yeux sur l'évolution du monde !
Nos actes nous suivent et longtemps :
notre passé colonial nous a blessés autant que nos victimes.
Multiplier les exils, le nombre des
« Sans-terre », rend vaines nos prétentions
civilisatrices.
Mais « par le pouvoir des mots »,
bien plus puissants que les canons, nous voici en capacité d'agir.
JPDacheux - 03.09.16
1
- Alain Mabanckou, Le
monde est mon langage,
Grasset, 2016
2 - François
Gemenne, Dina Ionesco et Daria Mokhnacheva, Atlas des migrations
environnementales, aux Presses
de SciencePo, mars 2016, 151 pages, 24 €.
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