Le
21 juillet dernier, François Hollande, s'exprimant en ouverture du «
Sommet des Consciences pour le Climat » a prononcé plusieurs
phrases (ici en italique) qui sonnent comme une autocritique de sa
propre action. L'une plaide vigoureusement pour les énergies
renouvelables :
«
Un accord sur le climat signifie renoncer à utiliser 80 % des
ressources d’énergies fossiles facilement accessibles dont nous
disposons encore. Nous pouvons le vivre comme une contrainte – cela
en est une – mais aussi comme une opportunité pour bâtir un monde
plus sûr et plus équitable et développer grâce aux progrès
technologiques les énergies solaires, éoliennes, géothermiques,
hydroliennes, c'est-à- dire les énergies renouvelables qui
deviendront à terme la norme et non plus, comme aujourd'hui,
l’exception. »
Pareille
formulation signifie, – ou alors les mots n'ont plus aucun sens –,
que la France va enfin s'engager dans une politique de développement
des énergies renouvelables laquelle avait été envisagée et même
annoncée, mais jamais lancée, dans notre pays. Rien ne le laisse
pourtant présager...
Une
autre assertion présidentielle dénonce le mode de vie, de
production et de consommation dont nous sommes devenus dépendants :
«
La cause profonde de la dégradation de l’environnement et du
climat, c’est un mode de vie, un mode de production, un mode de
consommation qui n’est plus compatible avec le développement
humain. »
La
formule est, cette fois, très surprenante : c'est une mise en cause
non ambiguë du système économique capitaliste ! Et d'en rajouter
au cas où nous aurions mal compris :
«
Il est donc temps de proposer des voies nouvelles. La question posée
à la grande famille humaine est celle de son destin commun. Nous
aurons à revenir sur des modes de vie, des habitudes, mais ce qui
est en jeu c’est la possibilité d’amener une population qui n’a
jamais été aussi nombreuse à un niveau de vie jamais atteint. »
De
quelles « voies nouvelles » est-il question ? « Revenir sur des
modes de vie, des habitudes », suppose de sortir de la logique de la
« croissance indéfinie », du toujours plus, et conduit à
modifier notre rapport à la consommation de masse dans une économie
qui, en dépit des avertissements clairs des philosophes et
sociologues convivialistes1
reste ultra-productiviste. Mais ce n'est pas la voie empruntée par
le gouvernement français si sensible aux arguments et aux
revendications du MEDEF.
Et
il ne suffit pas d'en appeler au Pape pour inverser cette tendance
mondialiste et consumériste précisément prônée comme un dogme
religieux :
«
C’est dans cet état d’esprit aussi que j’ai lu l’Encyclique
du Pape François, qui propose à tous les êtres humains d’entrer
en dialogue avec tous, en ce qui concerne notre maison commune. »
La
pensée du Pape est clairement plus radicale quand il s'écrie, le 9
juillet, à Santa Cruz, en Bolivie : « Disons-le sans peur : nous
voulons un changement, un changement réel, un changement de
structures. On ne peut plus supporter ce système, les paysans ne le
supportent pas, les travailleurs ne le supportent pas, les
communautés ne le supportent pas, les peuples ne le supportent
pas... Et la Terre non plus ne le supporte pas, la sœur Mère Terre
comme disait saint François. »
Sous
le discours de François Hollande on reconnaît l'inspiration de
Nicolas Hulot, souvent cité, mais il ne suffit plus de diagnostiquer
« la crise de civilisation », pour y échapper.
Car
François Hollande, une fois encore, et quoi qu’il dise, ne
s’engage pas dans la voie qu’il prétend ouvrir :
« Lorsque Nicolas HULOT m’a suggéré d’organiser un Sommet des
consciences pour le climat, il m’avait dit qu’il s’agissait
d’en faire un moment de pause, – nous y sommes – de réflexion,
– je l’espère – en amont de la Conférence sur le climat de
décembre prochain pour répondre à une crise de civilisation qui ne
dit pas son nom.»
On
n’échappera pas à la « crise de civilisation »
sans changer de société, sans instaurer une solidarité planétaire,
bref sans rompre avec un modèle économique qui ne sait qu'enrichir
les riches et appauvrir les pauvres !
La loi de transition
énergétique, adoptée par l’Assemblée Nationale dès le
lendemain, le 22 juillet, a pour objectif de réorienter le mix
énergétique français et notamment la production d’électricité.
Pour accélérer
le développement des énergies renouvelables les mesures envisagées
semblent limitées au regard des objectifs fixés.
En
matière d'écologie, ces incohérences présidentielles ne sont pas
les premières. En effet, il suffit de relire le discours2
du Président du 14 septembre 2012, tenu lors de la première
conférence environnementale au Conseil Economique, Social et
Environnemental (CESE) pour se convaincre qu'il ne fait pas ce qu'il
dit :
« Comment
admettre la dégradation continue des ressources et du patrimoine
naturel du monde,
comment ne pas voir les effets du réchauffement climatique qui n'est
pas une opinion ou une hypothèse, mais un fait scientifique ?
Comment ne pas comprendre que le creusement des inégalités entre
les plus riches et les plus pauvres constitue à l’échelle du
monde un risque majeur ? Comment rester impassible face aux atteintes
irréversibles à la biodiversité ? Comment laisser croître notre
dette écologique envers les autres ? La question se résume
finalement ainsi : serons-nous solidaires des générations à venir
ou trop cupides, trop avides pour laisser à nos enfants un fardeau
encore alourdi du poids de nos égoïsmes ? »
Les
questions sont pertinentes mais les réponses sont trop évasives.
On ne changera pas de civilisation sans changer de société, sans instaurer une solidarité planétaire, bref sans rompre avec le modèle économique industriel et commercial responsable des erreurs majeures soulignées devant le CESE.
Il
est grand temps de désigner les responsables de ces désordres
planétaires :
- qui pille,
sans états d'âme, les réserves fossiles, minérales et animales de
la planète ?
- qui
modifie le climat au point de remettre en question la présence de
l'homme sur la Terre ?
- qui
pratique des politiques néocoloniales et suscite des conflits armés
pour empêcher le développement des pays émergents et afin de
conserver le leadership occidental, notamment en Afrique ?
- qui met en
place des politiques économiques qui profitent seulement à une
fraction infime de la population mondiale ?
- qui a
choisi de creuser les inégalités en acceptant d'appauvrir les
pauvres, si c'est le moyen d'enrichir les riches et en appauvrissant
les pauvres ?
La réponse
est toujours la même : le système économico-libéral génère
toutes les atteintes écologiques et sociales que déplore François
Hollande.
Les
résistances à toute tentative de sortir de cette domination des
marchés et des puissances financières sont si considérables que le
gouvernement français objectivement solidaire des très grandes
entreprises n'ose ni l'envisager sérieusement ni s'y engager. On
vient de le voir aussi, en Grèce, impuissante devant ses créanciers.
Celui
qui se disait « ennemi de la finance », en 2012, devenu l'ami des
financiers en 2015, est en contradiction avec lui-même et manque
totalement de crédibilité pour convaincre d’accomplir, à
l'occasion de la COP21, ce qu'il a recommandé devant les
participants au « Sommet des Consciences pour le Climat ».
Jean-Pierre
Dacheux et Jean-Claude Vitran
1
Voir le Manifeste convivialiste. Déclaration
d’interdépendance, le Bord de l’eau, juin 2013.
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