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dimanche 19 mai 2013

La peur, un fantasme et un marché juteux !


Aujourd'hui, la peur est une valeur sûre.

Les peurs se multiplient, de l'inconnu, du futur, du monde, des gens, de l'autre, de la différence, de son voisin, des émigrés, de décevoir, de la mort, du terrorisme, des enlèvements, etc.
 
Peut-on encore penser sans inquiétude à la pérennité de son emploi ? Prendre sa voiture sans un sentiment de culpabilité ? Manger sans crainte ? Penser l'avenir sans l’imaginer incertain, dangereux ? Concevoir la politique sans arrière pensée ? 
 
Il nous semble que les risques qui sont sociaux, économiques, industriels et écologiques, nous guettent en permanence. Ils sont multiformes, incontrôlables, et des peurs, des angoisses nouvelles rendent notre société malade.

Bien que, dans le monde occidental, nous vivions au sein de sociétés qui sont parmi les moins dangereuses, c’est précisément nous qui nous sentons menacés, plus soucieux de notre sécurité que dans la plupart des autres sociétés. Notre vie est organisée autour d’une recherche perpétuelle de protection et de sécurité.

En premier lieu, nos sociétés, dites démocratiques, sont des sociétés individualistes faisant passer l’individu avant la totalité. Aujourd'hui, ce que recherche l’individu, c’est sa sécurité, son confort, son bien-être dans une société peureuse, angoissée et faible.
La puissance de la peur, vecteur émotionnel contagieux, est telle qu'elle est exploitée par des politiques, des financiers, des médias peu scrupuleux, spécialistes de la manipulation de masse.
Pour l'individu, la multiplication des peurs est un moyen de combler le vide de son existence ; dans un monde qui semble ne plus avoir de sens, la peur donne des repères. Comme le suggère Sygmund Freud : la peur rassure. 
 
On préfère avoir peur de quelque chose, plutôt que d’être angoissé par rien, c’est-à-dire par tout. J’ai peur, donc je suis.1

En second lieu, on constate que la peur se vend bien, très bien même. La peur sous toutes ses formes est un marché qui ne connaît pas la crise. C’est un commerce florissant dans nos sociétés marchandes. L’exploitation de la peur devient aujourd’hui un business mercantile.

Dans un pays comme la France, combattre les risques consomme environ 20 à 30% des ressources et le marché de la peur pèse, au niveau mondial, plus de 100 milliards d'euros, c'est une nouvelle ruée vers l'or pour les entreprises spécialisées ; il génère une croissance en expansion continue à faire rêver tous les dirigeants européens avec une prévision de croissance annuelle de l'ordre de 5%.

La paranoïa du terrorisme, amplifiée par les attentats du 11 septembre 2001, a accéléré le développement du marché mondial de la défense électronique - mini-caméras, capteurs, RFID, drones, etc. - qui pèse à lui seul près de 50 milliards d'euros.

Inquiéter les électeurs, jouer sur leurs émotions, est devenu lors des campagnes électorales, l'exercice favori des hommes politiques qui stigmatisent des cibles de substitution - le Musulman, le Rom, l'étranger, le délinquant, l'Europe … L'utilisation politique de la peur est un moyen de faire fléchir les hommes, voire de les humilier ; tous les citoyens deviennent suspects, ennemis potentiels.

Nos démocraties, qui se disent « avancées », ne se privent pas de ce matraquage qui crée un climat suspicieux et nous amène à regarder avec méfiance notre voisin qui à son tour nous regarde avec méfiance. 
 
Bien entendu, chacun d'entre nous se considère inoffensif et ne se croit pas concerné ; pourtant, ceux qui nous côtoient ne le savent pas ; si nous avons peur des autres, les autres ont peur de nous. 
 
Ce principe de réciprocité de la peur de l'autre ne saurait rassembler la communauté, il est sans issue et conduit inéluctablement à la barbarie. La peur de l’autre, c’est le refus de sa différence mais c'est aussi la peur de soi-même.

Dans l'esprit de nos contemporains, la prévention des risques a évolué jusqu'à pour certains instituer une culture du risque zéro qui réduit l'individu à être esclave du tout sécuritaire. Certains allant jusqu'à sanctionner la prise de risque n'hésitant pas à qualifier les victimes d'accidents « d'irresponsables », « d'inconséquents »

Pourtant, il y a plus de victimes des accidents de la route que des conséquences de la délinquance. Et que dire, des risques sociaux, écologiques, industriels, naturels qui sont encore plus dangereux et dévastateurs. Devons-nous interdire les automobiles ou les marteaux qui peuvent se transformer en armes mortelles ?

Bien sûr que non,

Mais nous avons peur de votre peur, comme Victor Hugo2, qui pendant la révolution de 1848 à écrit dans son journal : « J'ai peur de ceux qui ont peur ».

Oui, comme Victor Hugo et, aussi, William Shakespeare3, vos peurs nous font peur, vos peurs irrationnelles et sans fondement, amplifiées en permanence par les discours d'angoisse distillés à votre insu ; comme lors de déplacements en train ou en métro, la ritournelle, souvent en trois langues, que répète inlassablement une hôtesse de synthèse, comme nos dirigeants qui rabâchent à longueur de communiqué par l'intermédiaire de médias serviles que la société est dangereuse, que les Roumains sont tous voleurs, les Musulmans des fondamentalistes, etc.

Ni les démocraties, ni les individus ne résisteront à cet avilissement, on doit vaincre la peur dans son rapport avec l’autre, en luttant contre les préjugés et les habitudes, en envisageant l’autre non comme une agression mais comme une chance d’ouverture4. Cette peur qui, au passage, s'intéresse de trop près à notre vie privée et à nos données personnelles au point d'aliéner nos libertés.

Ce n'est pas le pouvoir qui vous anesthésie, mais la peur : pour les uns, la peur de perdre le pouvoir, pour les autres la peur du bâton ou de la perte de ses petits acquis.

Quand cesserons-nous d’avoir peur de tout, peur y compris de nous-mêmes, c’est une des questions fondamentales du moment car il y va de la survie de la démocratie.



1 Extrait du Collège de Philosophie. La nouvelle idéologie de la peur - http://collegedephilosophie.blogspot.fr/
2  In Choses vues de Victor Hugo – La révolution de 1848 – les Classiques de poche
3  William Shakespeare a fait dire à Roméo : « C'est de ta peur que j'ai peur » – In Roméo et Juliette.
4  Cynthia Fleury, La fin du courage, Livre de poche, 2012


Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

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