Avant d'aborder le thème de ce billet, il me semble nécessaire d'apporter quelques précisions sur les différents actes dont il est question.
Soins palliatifs
Il s’agit de soins actifs délivrés aux personnes atteintes d’une maladie grave, évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager les douleurs physiques et les souffrances psychique, sociale ou spirituelle.
Euthanasie
C’est un acte destiné à mettre délibérément fin, à sa demande, à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable dans le but de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable.
Assistance au suicide
Cela consiste à donner les moyens à une personne de se suicider elle-même en absorbant un produit létal qui lui a été préalablement fourni.
Suicide assisté
Dans le cas du suicide assisté, la personne qui veut se suicider mais qui n’en est pas physiquement capable, a besoin de l’action d’un tiers. La différence avec l’euthanasie est ténue,
Aide active à mourir
L’euthanasie et l’assistance au suicide peuvent être considérées comme des aides actives à mourir.
Sédation profonde et continue jusqu’au décès
C’est une mesure qui consiste à endormir de façon irréversible et arrêter d’alimenter et d’hydrater artificiellement un malade incurable en fin de vie. Elle est déjà autorisée pour les malades en phase terminale et en très grande souffrance dont la vie est menacée à court terme.
______________________________________
Les différents sondages d'opinion vont tous dans le même sens, plus de neuf Français sur dix sont favorables à une évolution de la loi qui permettrait de pratiquer l'euthanasie lorsque le malade, atteint d’une maladie insupportable et incurable, en formule la demande. Les pourcentages sont identiques en ce qui concerne le recours au suicide assisté et 74 % des médecins jugent souhaitable que la France légalise l'aide médicale active à mourir pour les patients qui la demandent expressément et de manière réitérée.
Cependant, si 90 % des personnes en bonne santé se disent favorables à l'accès à l'euthanasie, seules 0,3 % des personnes gravement malades persistent dans une telle demande quand elles sont accompagnées, soulagées, soutenues.
Si le Président de la République n'avait pas pris la décision de dissoudre l'Assemblée Nationale la France serait doté d'une loi sur la fin de vie puisque le vote était prévu dans la semaine suivant la dissolution de l'Assemblée Nationale le 9 juin 2024.
Cette décision arbitraire d'Emmanuel Macron a eu des conséquences tragiques pour certains malades qui attendaient impatiemment le vote afin d'abréger leurs souffrances. 1
Près de neuf mois après cet arrêt brutal, l'Assemblée Nationale se penche à nouveau sur le sujet, et le texte initial de 2024 a été scindé en deux propositions par la volonté du Premier ministre François Bayrou. Je reviendrai sur ce point à la fin de ce billet.
Un premier texte qui concernera les soins palliatifs et d’accompagnement. Au passage, il faut noter qu'une vingtaine de départements sont encore dépourvus d’une unité de soins palliatifs.
Le second texteI instaure un droit à l’aide à mourir permettant aux malades souffrant d’une affection grave et incurable engageant le pronostic vital, en phase avancée ou terminale et ne supportant plus leurs souffrances, de recevoir ou de s’administrer une substance létale.
En commission les députés ont décidé que le malade aurait le choix entre faire le geste lui-même (suicide assisté) ou de recourir à un soignant (euthanasie).
Alors qu'en juin 2024, l'ensemble des députés étaient d'accord pour adopter le texte, la nouvelle Assemblée est plus divisée et le second texte fait débat surtout chez les conservateurs de droite et d'extrême droite.
Dans notre pays, la fin de vie est la période où une personne souffre d'une maladie grave, incurable dont le pronostic vital est engagé. À ce stade, l'objectif médical n'est plus de guérir, mais de soulager les douleurs de la personne en respectant ses volontés jusqu'à la la fin. Les soins palliatifs qui visent à soulager la douleur et la souffrance physique et psychologique, en respectant la dignité du patient, permettent au corps médical de remplir cette mission.
Dans le respect des lois de la nature, la mort est un événement naturel : on naît, donc on meurt, mais ce passage d'un état à un autre nous oblige à aborder plusieurs questions fondamentales, particulièrement celles de la dignité, de la liberté, de la responsabilité, et du sens de la mort.
Comme pour toute notre vie - de notre naissance à notre mort - la notion de dignité donc de mourir dans la dignité est centrale dans le discours philosophique et éthique et la fin de vie doit être accompagnée d’un respect inconditionnel de la personne humaine, en évitant de voir ce moment seulement à l'aune d'un texte législatif.
De plus, nous sommes tous singuliers avec une histoire, une expérience humaine unique et notre fin de vie ne peut pas être réduite à une simple question médicale, mais doit être abordée comme une problématique éthique, existentielle et morale, en préservant la dignité, la liberté et la compassion dans le respect de l’humanisme mais aussi de l'environnement familial.
Si le suicide assisté dont la prise de décision est personnelle et de la responsabilité et de la liberté de chaque individu semble poser peu de problèmes éthiques, en dehors, bien entendu des questions de croyance, l'euthanasie pose des questions plus complexes car elle n'est pas seulement du domaine individuel puisqu'elle requiert l'acte d'un tiers.
Pour terminer ce billet, je voudrais rappeler à nos élus un grand principe qui devrait guider leurs actions comme ministres et aussi les votes à l'Assemblée Nationale et au Sénat.
L'année dernière, la discussion parlementaire portait sur un seul texte de loi.
Cette année, François Bayrou, Premier ministre, a décidé de proposer au Parlement deux textes de loi.
Pourquoi ?
Simplement, parce qu'il n'est pas d'accord avec la seconde loi sur l'aide à mourir et qu'il espère qu'elle sera repoussée par les parlementaires. Il n'est, d'ailleurs, pas tout seul, les conservateurs, Bruno Retailleau en tête, lui emboitent le pas. 2
Je voudrais leur rappeler, ou leur apprendre, le principe philosophique développé par John Rawls : le voile d'ignorance.
Je voudrais, aussi, leur rappeler que la Constitution de 1958 affirme à la fin de son second article le postulat fondamental suivant : gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple.
Le voile d'ignorance consiste à se placer dans une "position originelle" où les individus, derrière un voile d'ignorance, ignorent leur propre situation sociale, économique, leurs talents, leur sexe, leur race, ou leurs préférences personnelles. En étant dans cette position, ils doivent choisir des principes de justice sans connaître leur propre avenir dans la société.
L'objectif est de garantir l'impartialité dans la définition des règles sociales, en évitant que les décisions soient influencées par des intérêts personnels ou des préjugés. Cela permet de concevoir des principes universels qui bénéficieraient à tous, notamment aux plus vulnérables.
Le voile d'ignorance est un outil de réflexion qui invite à concevoir une société juste en se détachant des intérêts particuliers, en se mettant à la place de tous, pour déterminer des règles équitables et universelles.
Je crois que lorsqu'on est un représentant du peuple on se doit de gouverner avec le voile d'ignorance devant les yeux.
Jean-Claude Vitran
1. Voir le billet du 12 juin 2024
2 On nous a déjà fait un coup similaire en 2005
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à poster un commentaire.