Un
esclave est un individu privé de liberté et soumis à l'autorité
tyrannique d'un individu ou d'un Etat. Il est contraint au travail
forcé. Il peut être acheté et revendu comme un objet, une
marchandise. L'esclave est un exclu de la société tout en étant un
élément moteur du fonctionnement économique.
L'histoire
de cette fatalité est d'une modernité remarquable, car, comme on
pourra le constater, l'esclavage est resté pendant longtemps le moyen
le plus « habile » d'utiliser la main d'oeuvre de manière
rationnelle et performante.
Quoi
de mieux, pour les hommes de l'antiquité et du moyen âge que de
faire travailler d'autres hommes sans les rétribuer, en leur donnant
seulement le minimum vital pour survivre, sans se préoccuper de leur
bien-être. Quelques penseurs ont bien eu au cours des temps des
états d'âme et ont essayé de modifier cette exploitation des
hommes, mais les apprentis capitalistes qui se sont succédés ont utilisé
cette main d'oeuvre, bon marché, sans scrupule, ni humanisme.
Il
a fallu les réflexions de penseurs « économistes »
aidés de quelques philosophes pour modifier les choses, d'ailleurs
pas vraiment pour le bien-être des êtres humains, mais pour
l'accroissement des profits.
Il
serait vain de faire des comparaisons car les temps sont différents,
on peut, néanmoins s'interroger sur les modifications du droit du
travail qui sont à l'oeuvre actuellement en se demandant si de
nouvelles formes de servitude ne sont pas en train de prospérer.
Lorsque
l'on évoque l'esclavage, la première image qui vient à l'esprit
est celle des esclaves noirs victimes du « commerce
triangulaire », pourtant, si tous les spécialistes s'accordent
à penser que les hommes préhistoriques ne pratiquaient pas
l'esclavage, celui-ci existe depuis
que les hommes sont organisés en société. A
l'époque antique, Aristote écrit que des êtres humains sont
destinés au commandement, et d'autres à être commandés, les uns
sont des exploiteurs, les autres des esclaves. Il invente le concept
de « dominant / dominés ».1
Dans la
première période du Moyen Âge, à l'époque de Charlemagne et de
ses successeurs, des
esclaves sont employés dans les grandes propriétés agricoles, y
compris dans les monastères. Les guerriers francs
mènent des combats sans relâche contre les tribus païennes
installées sur l'Elbe ou au-delà et si
la communauté chrétienne considère les maîtres
et les esclaves
comme des égaux devant Dieu, et s'oppose au fait que des chrétiens
appartiennent à d'autres chrétiens, elle ne voit pas d'objection à
vendre des païens slaves aux musulmans.
Le 3 juillet
1315, le roi Louis X le Hutin publie un édit affirmant que « selon
le droit de nature, chacun doit naître franc », à cette date
quiconque foule le sol de France est affranchi de sa condition
d'esclave.
Même
si l'esclavage recule en Europe occidentale, un peuple entier celui
des Roms de Roumanie est réduit en esclavage à partir du XIIIème
siècle. Ils seront vendus et achetés lors des foires aux
esclaves, joués aux cartes, traités comme leurs frères noirs des
Etats du Sud de l'Amérique.
Arrivés comme des hommes
libres apportant avec eux d'Inde et de l'Europe byzantine des savoirs-faire artisanaux (en
particulier dans le travail du fer)
ils sont réduits en esclavage par les seigneurs valaches et moldaves
qui ont besoin d'une force de travail. Ce
n'est qu'en 1864 que cet esclavage est définitivement aboli en
Roumanie.
Dans
le même temps, il reste répandu en Espagne, en Italie,
principalement dans les Républiques de Gènes, de Venise2
et à Chypre, et alors qu'il recule, sans disparaître, en Europe
occidentale et malgré les interventions du Pape Paul III qui
condamnent l'esclavage des Amérindiens, il renait avec vigueur dans
les colonies du Nouveau Monde. En effet, les maladies importées par
les colonisateurs et les maltraitances ont décimé les populations
autochtones, et pour pallier à la disparition de la main d'oeuvre,
(déjà variable d'ajustement) il est fait appel à des captifs
africains victimes de la traite arabe.
En
1550, Charles Quint pose la question de savoir si les Espagnols
pouvaient coloniser le Nouveau Monde et dominer les indigènes. La
Controverse de Valladolid règle la question et les nations
européennes, en particulier le Portugal, la Hollande et
ensuite la France et l'Angleterre se lancent dans le commerce triangulaire entre des ports
de l'Europe, le Golfe de Guinée et les Amériques (Brésil,
Antilles). C'est le début de la traite transatlantique, l'esclave
noir est considéré comme une marchandise, sous la condition
éminemment hypocrite qu'il ne soit pas sur le sol du royaume.
Controverse de Valladolid - Bartolome de las Casas
Comme
dans les problèmes de la mondialisation économique que nous
connaissons actuellement, l'arrivée des Français et des Anglais sur
le marché de la traite négrière fait baisser le prix d'achat des
esclaves, tandis que la production de sucre progresse très vite,
cela a pour effet d'abaisser le prix de cette denrée sur le marché
mondial, et de favoriser sa consommation en Europe.
L'esclavagisme
atteint son rendement maximum au XVIIIe
siècle mais dans le même temps, des idées abolitionnistes sont
développées par les philosophes du siècle des Lumières.
Il
serait tentant de croire que se sont les bons sentiments des
philosophes qui ont permis l'abolition de l'esclavage. La réponse
est, cependant, plus rationnelle et moins idéaliste. C'est, la
nouvelle pensée économique des physiocrates3
et d'Adam Smith qui pose la question
de la rentabilité de l’esclavage et conteste sa valeur économique en soutenant de la supériorité du travail libre.
Certains penseurs des Lumières développent aussi cette
argumentation et
Samuel Dupont de Nemours4
résume cette thèse : « l'arithmétique
politique commence à prouver […] que des ouvriers libres ne
coûteraient pas plus, seraient plus heureux, n'exposeraient point
aux mêmes dangers et feraient le double de l’ouvrage ».
Selon
cette vision, le salaire versé au travailleur libre remplace
positivement les frais d'achat et d 'entretien et l'intérêt
pour son travail augmente fortement sa productivité.
Victor
Schoelcher5,
abolitionniste, souligne la charge financière pour la métropole de
l'insécurité qui règne dans les colonies esclavagistes et les
économistes de l'époque développent des arguments
« macroéconomiques » au sens actuel du terme, en
affirmant que les avantages financiers dont bénéficient les
planteurs coloniaux pénalisent les cultivateurs métropolitains qui
cultivent la betterave à sucre.
Enfin,
l'esclavage serait une entrave au développement technologique et il
est couramment admis son irrationalité face au
développement « capitaliste » de l'Amérique du
Nord.
Aujourd'hui,
encore, les « experts » ne sont pas tous d'accord sur ces
analyses.
Heureusement
les idées abolitionnistes ont fait leur chemin et l'esclavage est
aboli en 1833 en Angleterre et 1847 dans l'Empire ottoman et le 27
avril 1848 en France.
Cent
ans plus tard, le 10 décembre 1948, l'article 4 de la Déclaration
Universelle des droits de l'homme énoncera : «
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude. L'esclavage et la
traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes »
Pourtant,
il ne suffit pas d'interdire une pratique pour la voir disparaître
et l'esclavage n'est pas totalement éradiqué, il résiste encore,
aussi bien dans le monde que dans notre pays.
Il
persiste
dans la péninsule arabique, le sous-continent indien, le Niger, le
Mali, la Mauritanie, le Qatar6.
L'Organisation
internationale du travail7
(OIT) estime à 25 millions le nombre de personnes vivant
actuellement dans des conditions assimilables à de l'esclavage.
Cette
traite des êtres humains constitue le 3ème
trafic criminel
le plus lucratif
au monde après la drogue et les armes. L’ONUDC8
estime en 2011 que, en Europe seule, la traite des êtres humains
génère un flux financier de plus de 2 milliards d’euros par an et elle concernerait
270 000 personnes. Dans le monde, les criminels
qui l’organisent empochent chaque année plus de 23
milliards
d’euros.
Ce
sont la misère, l'exclusion et les migrations à risque qui
permettent les situations d'esclavage et de traite des êtres humains
qui prennent différentes formes :
- Le proxénétisme et l'esclavage sexuel, un rapport des Nations Unies donne l'estimation annuelle d'un million de femmes ou petites filles impliquées par la force dans le commerce et/ou l'esclavage sexuel. L'Europe est concernée par la prostitution forcée de femmes et d'enfants originaires d’Europe Centrale et des pays de l’Est, mais aussi d’Asie et d’Afrique.
- Le travail dissimulé, aussi appelé populairement « travail au noir » terme employé pour définir le fait de ne pas déclarer tout ou partie du travail ou de son activité. Les possédants n'ont pas le monopole de ces pratiques. Trop souvent la pauvreté exploite la misère. En 2010, 68% des employeurs étaient d'origine africaine ( 51% venaient d'Afrique de l'Ouest et 32% d'Afrique du Nord), 13% d'Europe, 9% du Moyen Orient et du Proche Orient, 4% d'Asie .
- Le travail des enfants, l'UNICEF estime que 200 000 enfants étaient retenus en esclavage en Afrique centrale et occidentale, mais aussi en Amérique du sud. L'enrôlement des enfants soldats est aussi une forme d'esclavage. Au Maroc, par exemple, la situation des « petites bonnes », ces petites filles domestiques exploitées par de nombreuses familles, dénoncée par les défenseurs des droits des enfants.
- A cela, il faut ajouter la mendicité forcée, l’asservissement des domestiques, les mariages arrangés ou forcés et les trafics d’organes.
Sans
oublier, la lourde responsabilité des multinationales qui, en dehors
de toutes éthiques, n'hésitent pas à exploiter la main d'oeuvre
directement dans les pays émergents, avec l'assentiment des
gouvernements en place qui profitent des largesses des entreprises.
Deux
exemples seulement :
- Il y a quelques jours, le Bangladesh a dramatiquement fait la une de la presse internationale lors de l'effondrement d'une usine textile provoquant la mort de plus de 1200 personnes, principalement des travailleuses. A cette occasion, les occidentaux découvre avec une horreur bien hypocrite les conditions de travail épouvantables des ouvriers du textile du pays. Depuis des dizaines d'années, le Cambodge, le Vietnam, l'Inde, le Sri Lanka, la Chine et le Bangladesh sont devenus les ateliers textile du monde. Toutes les grandes enseignes internationales de vêtements font fabriquer dans ces pays en exploitant sans arrière-pensée le prolétariat local pour leur seul profit. Malgré des mouvements de protestation systématiquement réprimés par les forces armées, les conditions de travail sont lamentables, les incendies des bâtisses délabrées et surpeuplées fréquents, les salaires misérables. En 2011, les manifestants réclamaient 51 euros par mois contre les 17 qu'ils recevaient, pour des horaires de 80 heures par semaine, voire 18h par jour en cas de commande urgente.
Une usine textile au Bangladesh - En 2005 des ONG ont lancé des alertes pour dénoncer le travail forcé dans les champs de coton en Ouzbékistan. Huit ans après cette première alerte lancée par l'International Crisis Group, l'enrôlement forcé d'enfants pour la récolte du coton en Ouzbékistan a diminué, mais pour être largement remplacé par le recours à des adolescents et des adultes – plus d'un million au total, pendant la dernière récolte de l'automne 2012, d'après le rapport annuel de l'initiative Cotton campaign, une coalition d'ONG qui lutte contre le travail des enfants. « La situation en termes de travaux forcés et d'enfants reste clairement critique en Ouzbékistan », écrivait de son côté l'OCDE en septembre 2012.
Pour terminer, il faut
souligner l'importante responsabilité des consommateurs occidentaux
qui sans se préoccuper des conditions de travail et des salaires des
populations autochtones profitent des produits fabriqués à bas coût
dans ces pays.
Pourtant, ces
consommateurs feraient bien de réfléchir aux objectifs des grands
groupes internationaux qui influent sur le fonctionnement économique
des pays occidentaux.
L'exploitation forcenée
des travailleurs de ces pays à des coût salariaux extrêmement
faibles a des répercussions directes sur la main d'oeuvre de nos
pays, elle conduit au chômage de masse et la précarisation du
travail.
Le patronat, qui sans se
préoccuper de l'Homme considère que la main-d'oeuvre est seulement
une variable d'ajustement, entend détricoter le code du travail,
entrainant une précarisation toujours plus grande et la domination
des travailleurs en organisant la rareté des emplois.
Ce management « moderne »
pourrait bien s'apparenter à une nouvelle servitude proche de
l'esclavage.
1 Cette
notion constante est reprise par les tenants du néolibéralisme –
voir HAYEK
2 Sont
réduits en esclavage surtout des individus capturés au nord de la
mer Noire.
3
La physiocratie
est une école de pensée économique et politique, née en France
vers 1750.
4 Physiocrate,
économiste et père du fondateur de la multinationale éponyme.
5 Homme
politique qui a attaché son nom au décret d'abolition de
l'esclavage du 27 avril 1848. Sa conviction abolitionniste évolue
au cours de sa vie. Dans les années 1825/1830, il s'oppose à
l'abolition immédiate pensant qu'il serait dangereux de rendre
immédiatement la libertés aux noirs. Il lui faudra un ultime
voyage dans les colonies pour qu'il prêche l'abolition immédiate.
6 Le
Qatar, bien connu pour ces investissements sur notre territoire
pratique une forme d'esclavage. Environ
1,2 million de travailleurs étrangers en majorité des
personnes pauvres originaires d'Inde, du Pakistan, du Bangladesh, du
Népal, d'Indonésie et des Philippines représentent 94 % de
la main d'œuvre au Qatar, et un million de personnes
supplémentaires seront enrôlées dans les prochaines années pour
participer à la construction des infrastructures nouvelles
afin que le pays accueille la Coupe du Monde de football de 2022.
Ces personnes travailleront dans des conditions dignes du Moyen Age,
que l'ONG Human Rights Watch a déjà comparées au "travail
forcé". Il
est scandaleux que la France entretienne des relations économiques
et diplomatiques privilégiées avec ce pays incapable de respecter
les droits fondamentaux.
7 Organisation
internationale du travail :
http://www.ilo.org/global/lang--fr/index.htm
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