La Comédie humaine ne se joue plus au théatre mais autour de nous.
Chaque jour apporte son lot de surprises. Aujourd'hui, 24 octobre 2008, il s'agit de l'effondrement des capacités de production de l'industrie automobile française! Les syndicalistes crient au scandale : en diminuant la production, on détruit l'emploi. Vieille et habituelle analyse qui est devenue largement fausse.Le Grand Voyageur, l'omnipotent, l'omniprésent président français, le super menteur, le plus grand bavard qu'ait connu la République comme président, passe sa vie dans les avions, utilise les escales pour visiter les usines et suivre les messes d'enterrement des célébrités et, surtout, cherche à installer son pouvoir d'influence partout : en Europe, à Washington, à Pékin... Pour conserver et, mieux, étendre son autorité politique, l'homme est assez habile pour dire, avec un culot sans égal et une habileté dialectique à nulle autre pareille, le contraire de ce qu'il affirmait voici quelques mois. Il habille de gauche son discours de droite ou plutôt, il fait retour sur une conception étatiste de la gauche pour brader le libéralisme sans mettre à mal le capitalisme. Cet homme est un génie, le génie de l'arnaque.
Pendant ce temps, et derrière le flou et l'abus des mots, des choses sérieuses se passent et ce n'est pas parce qu'elles sont difficiles à saisir qu'elles ne sont pas sérieuses. Le citoyen, ouvrant son poste de radio, chaque matin, entend annoncer, benoîtement, l'implosion du système bancaire, l'effondrement des Bourses, l'inéluctabilité de la récession, le glissement vers la crise économique majeure et toutes les précautions oratoires, nombreuses encore il y a deux semaines, sont abandonnées. Quelques ministres tentent encore -et l'ineffable Christine Lagarde en premier- de rassurer les épargnants, les petites entreprises et les retraités, mais en vain.
Les doctes ont perdu leur latin. Les élites se sont noyées dans leurs arguties. Les politiciens font des moulinets pour laisser croire qu'ils brassent encore des idées alors qu'ils ne brassent que du vent. La vérité est que nul ne sait où l'on va dès lors qu'on n'a d'autres hypothèses à fournir que celles permettant de revenir à une situation antérieure, fut-elle plus cadrée, mieux couverte par des règlementations (pardon, des "régulations") et débarrassée des excès qui ont failli renverser le système.
L'inconvénient est que toutes ces hypothèses reposent sur une vérité indépassable : on ne peut produire plus que ne fournit la planète sauf à l'épuiser et "les liquidités" ne permettent pas de créer plus de richesses qu'il n'en existe. Sauf à appeler richesse ce qui n'en est pas, bien entendu, qu'il s'agisse de produits matériels inutiles ou de produits financiers "pourris" (ainsi qualifie-t-on joliment, à présent, ce dont on faisait la publicité auprès des clients, il y a peu).
Le temps qui vient est incertain pour de multiples raisons. Ce qui arrive n'avait été prévu que par quelques philosophes (tel André Gorz) que les maîtres des banques tournaient en ridicule et accusaient d'idéologie. Ce qui arrive est sans rapport avec ce que prédisaient les socio-démocrates du monde entier dont l'action politique ne dérangeaient guère les dirigeants ultralibéraux en place. Ce qui arrive échappe aux savants calculs mathématiques des fabricants de produits financiers. Ce qui arrive est comme une vague géante, impossible à détourner, sur laquelle quelques surfeurs glissent encore, et emportant avec elle les grand paquebots et les plus petits esquifs comme des coquilles de noix. Nous ne savons où ce tsunami nous conduit.
Tout se passe comme si, l'écologie ayant rejoint l'économie, le réel reprenait tous ses droits. L'activité humaine est contrainte à la modestie. Une décroissance forcée (qui n'est pas celle à laquelle tiennent les tenants de la décroissance volontaire!) oblige à limiter ce qu'on croyait illimité. La surproduction qui interdit la production indispensable, celle qui est orientée vers la satisfaction des besoins vitaux, se ralentit. Le pétrole, dont le prix au baril avait atteint des sommets historiques (approchant les 150 dollars le baril) ne sera pas produit davantage maintenant qu'il coûte moins de 70 dollars, à la fois parce que l'activité économique régresse et parce que les pays producteurs n'ont pas l'intention de brader leurs réserves déjà trop bien entamées. Les sept milliards d'hommes, bientôt neuf, ont prioritairement besoin de manger, de se loger et de s'éduquer; ce n'est pas compatible avec les déséquilibres violents existant entre "les humiliants et les humiliés", comme dit Régis Debray. Le balancier social a atteint son sommet du côté du capital; il va retomber non du côté du travail mais du côté des travailleurs, non vers l'emploi salarié mais vers l'activité productive de biens essentiels.
Il est bien fâcheux de ne pas savoir comment cela va se produire... Fâcheux et dangereux! La recherche forcenée des moyens de sauver la mise à ceux qui ont triché et se sont honteusement enrichis, laisse craindre que la violence apparaisse bientôt. Les moyens de défense des intérêts des puissants vont se manifester dès que le danger d'une désappropriation effective va leur apparaître! Le mystère du temps qui vient n'est pas opaque au point de nous cacher que des conflits, de tous ordres, peuvent, désormais, surgir.
Ceux qui surveillent l'horizon ont tort. Ce n'est pas de là que "le plus terrible des enfants que le nord eut porté jusqu'ici dans ses flancs" (comme l'annonçait La Fontaine), peut frapper mais là où nous posons nos pieds. Le Nord, c'est le nord de la planète. Ce n'est pas septentrion. Nous ne sommes pas spectateurs mais acteurs. Nous ne serons pas épargnés. Même si nous ne savons pas ce qui va survenir, nous savons qu'il n'y aura pas un seul coin de Terre à l'abri du tumulte. Pour échapper au malheur, c'est dès à présent qu'il faut nous occuper de nous-mêmes. Si, face à l'économie, la politique reprend ses droits,il ne peut pas s'agir de la seule politique des États et de leurs gouvernements, ni même de la politique des seuls partis, ce ne peut plus être autre chose que la politique concernant l'ensemble des Citoyens du monde, la nôtre. C'est à nous qu'il revient que le spectacle du monde ne touche pas à sa fin.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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