Nous
sommes un jour exceptionnel.1
En
effet, il y a juste 100 ans se terminait ce que d'aucuns appellent la
« Grande Guerre » ce que je nomme une abominable
boucherie.
Il
faut, en effet, se rappeler :
Que
la moitié des jeunes Français âgés de 20 ans en 1914 ont disparu
à l'issue du conflit.
Il
faut se rappeler :
Qu'il
y a à déplorer 9,5 millions de morts ou disparus dont 1,4 million
Français. A ces chiffres, selon les historiens, il manquerait 1
million de morts non comptabilisés par les différentes armées.
Il
faut se rappeler :
Qu'il y a eu, chiffres effarants, 73 millions d'hommes mobilisés et 1 milliard d'obus tirés pendant les quatre années du conflit.
Il
faut se rappeler :
Qu'en raison de la présence dans le sol d'obus, de balles, de cadavres humains ou d'animaux, 3 millions d'hectares sont déclarés toujours impropres à l'agriculture.
Il
ne faut pas, bien entendu, passé sous silence les 639 fusillés pour
exemple dont de nombreuses associations demandent, depuis longtemps,
sans succès, la réhabilitation. A part un comportement ultra
moraliste et conservateur ou peut être un patriotisme archaïque on
ne comprend pas ce qui empêche à ces chefs d'Etats de prendre la
décision que nous attendons tous
Mais
je voudrais cette année, insister sur un point dont nous n'avons pas
beaucoup entendu parler, pas d'inquiétude je ne parlerai pas des
Maréchaux, non, je veux saluer le rôle exemplaire des femmes, de
nos mères et grands mères, dans ce conflit.
Sans
leur engagement, la victoire n’aurait pas été possible. Il faut
en rappeler les circonstances mais en même temps il faut
malheureusement modérer les jugements hâtifs sur leur émancipation
après ces faits glorieux.
Elles
ont connu une mobilisation sans précédent. La plupart d'entre elles
ont remplacé les hommes enrôlés dans l'armée en occupant des
emplois civils ou dans les usines de fabrication de munitions. Dans
les campagnes les femmes ont assumé les travaux des champs à partir
de l’été 1914. Des milliers ont servi dans l'armée dans des
fonctions de soutien, par exemple en tant qu'infirmières.
Marie
Curie en fût un brillant exemple.
Cette
mobilisation féminine a atteint son apogée fin 1917.
Malgré
la loi du 3 juin 1915 qui leur a transféré la puissance paternelle
pour la durée du conflit, la sortie de guerre se traduit par un
renvoi massif des femmes des secteurs de l'économie auxquels le
conflit leur avait donné accès.
Au
moment de l'armistice, ingrat, le gouvernement les incite à
retourner à leurs activités antérieures. On a plus besoin de vous,
retournez donc à vos casseroles ! C'est tout dire.
Le
ministre Loucheur propose un mois de salaire aux ouvrières des
usines d'armement si elles quittent leur travail avant le 5 décembre.
On
considère souvent que la Grande Guerre a marqué un tournant dans
l’émancipation féminine. C'est faux, car s’il est vrai qu’elles
obtiennent un nouveau statut durant la guerre, au moment de
l’armistice, beaucoup de choses retournent comme avant.
Dès qu’on n’a plus réellement besoin d’elles dans l’industrie, leur salaire baisse.
Les
avantages acquis n’ont donc pas été très durables. Le changement
est superficiel et provisoire.
Du point de vue de la politique, on ne peut pas parler d'émancipation, seules les femmes allemandes obtiennent le droit de vote en 1919.
En
France, celui-ci avait été approuvé par l’Assemblée nationale
mais il a été finalement rejeté par le sénat en 1922. Pour les
sénateurs, de gauche, Oui, vous avez bien entendu, de gauche, les
femmes, celles qui avaient concouru à la victoire, sont considérées
comme d’éternelles mineures forcément influençables et soumises
au bon vouloir et à la domination des hommes, incapables d’apporter
« la modération
de langage et la netteté des conceptions, qui sont indispensables
dans les usages parlementaires ».
Une autre vieille barbe s'exclame : « Séduire
et être mère, c’est pour cela qu’est faite la femme
» pas pour voter, etc ...
Il
faudra attendre 1945 pour qu'elles obtiennent ce droit de vote et
1965 pour qu'enfin, elles puissent ouvrir un compte bancaire ou
conclure un contrat de travail sans l'autorisation de leurs pères ou
de leurs maris.
La
seule avancée est dans la mode : abandon du corset, des
vêtements longs et ajustés, des chapeaux encombrants, des chignons
et, tout de même, d’une indéniable libération des moeurs qui se
déploie cependant nuancé par la codification du deuil, par l’ordre
moral et par la répression des pratiques contraceptives qui sont
condamnées par la loi.
C'était il y a 100 ans. Avons nous vraiment évolué ?
Jean-Claude VITRAN
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Allocution prononcée le 11 novembre 2018 devant le monument de
la Paix du cimetière de Pontoise