mercredi 30 juillet 2014

Revenir à la pensée et à l'idéal de Jaurès.


Il y a juste 100 ans, le 31 juillet 1914, à la veille de la Première guerre mondiale, Jean Jaurès était assassiné.

Raoul Vilain, un illuminé pensant sauver le monde, lui tire, à bout portant, deux balles de revolver dont l'une lui fracasse la tête. Il succombe immédiatement.

A la fin de la guerre, son assassin, qui a tranquillement passé le conflit en prison, est acquitté et la Cour condamne la veuve de Jaurès aux dépens du procès ! Non seulement l’assassin de son mari est déclaré innocent, mais elle est financièrement sanctionnée. En réaction, Anatole France qui avait dit : « On croit mourir pour sa patrie, on meurt pour des industriels.» adresse une lettre à la rédaction de L’Humanité : « Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict monstrueux proclame que son assassinat n’est pas un crime. Ce verdict vous met hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez ! ».

Le 23 novembre 1924, le gouvernement dirigé par Édouard Herriot fait entrer Jean Jaurès au Panthéon. A cette occasion, le rédacteur en chef de l’Humanité, Paul Vaillant-Couturier, pensant que la République est dans les mains de députés et ministres capitalistes favorisant la finance et l’industrie aux dépens du respect des citoyens, écrit dans le journal qu'il s'agit du « deuxième assassinat de Jaurès. », il ajoute « Ils n’honorent pas Jaurès. Ils le salissent. Ils l’affadissent. Ils le maquillent. Ils s’acharnent à rapetisser l’honnête homme à leur taille de politiciens misérables. (...)».

Un siècle après sa mort, tous les partis et tous les hommes politiques, de tous bords, revendiquent son héritage. Beaucoup, beaucoup trop encensent Jean Jaurès, et son nom, son oeuvre, sa pensée sont accommodés à toutes les sauces dans de nombreux discours. Autant de tentatives multiples et multiformes d'instrumentalisation démagogique.

Au-delà de la commémoration de circonstance de ce funeste anniversaire, il faut explorer son héritage humain, intellectuel et politique, d'une exceptionnelle actualité, qui devrait permettre de tenter de répondre à la profonde angoisse de la société française et de la gauche en particulier.

Jaurès est un phare qui éclaire l'avenir pour nous guider. C'était, avant tout, un socialiste authentique, un partageux, un ami des gueux. Il n'est pas soluble dans le social-libéralisme.

Au contraire de l'image diffusée par beaucoup de membres de la classe politique contemporaine, les messages qu'il nous envoie restent ceux d'un « honnête homme », incorruptible, profondément humain, fidèle, scrupuleux, cultivé, internationaliste, mais patriote et attaché à la justice sociale. Il était résolument du côté des ouvriers, des précaires, parce qu’il les savait victimes d’un système capitaliste injuste. Convaincu que les « indigènes » étaient l'égal des autres, il a combattu vivement la politique coloniale. Sa conception de la laïcité, qu'il a développée lors du vote de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, fondée sur la liberté, est d'actualité.

Grand orateur, il donnerait, aujourd'hui, de la voix pour condamner le conflit israélo-palestinien et la position du gouvernement français. Il avait une grande admiration pour le monde arabe et l’islam, dont il a dit : « deux tendances inverses s’y trouvent : il y a des fanatiques, oui, il y a des fanatiques, mais il y a les hommes modernes, les hommes nouveaux, Il y a toute une élite qui dit : l’Islam ne se sauvera qu’en se renouvelant, qu’en interprétant son vieux livre religieux selon un esprit nouveau de liberté, de fraternité, de paix » et, en 1896, à la Chambre des députés, il avait dénoncé les premiers massacres d'Arméniens commis en Turquie dans ces termes : « Devant tout ce sang versé, devant ces abominations et ces sauvageries, devant cette violation de la parole de la France et du droit humain, pas un cri n'est sorti de vos bouches, pas une parole n'est sortie de vos consciences... ».

L'humanisme de Jean Jaurès, n'est plus à prouver, il se retrouve dans ses convictions, dans son intérêt et son abnégation pour le peuple, auquel il s'adressait sans démagogie, dans son combat contre la peine de mort ou dans ses positions fortes pour la défense du Capitaine Dreyfus, dont il disait : « Si Dreyfus est innocent, il n’est plus un officier ou un bourgeois : il est dépouillé, par l’excès même du malheur, de tout caractère de classe ; il n’est plus que l’humanité elle-même, au plus haut degré de misère et de désespoir qui se puisse imaginer.» L'humanité, mot dont il a fait le nom de son journal.

Il accordait une grande importance à la sincérité des convictions dont chacun était porteur, et son premier objectif était la transmission de ses idées et la persuasion de ses auditeurs, pas l’état de l’opinion. Contrairement à la classe politique actuelle, il n’était pas hanté par sa réélection et il ne s’est jamais investi en politique pour bénéficier d’une position avantageuse. Il a toujours vécu de ses salaires et refusé les honneurs. Il a, par exemple, sous le gouvernement Millerand, refusé un poste de ministre pour ne pas faire obstacle à l'unité des socialistes.

Il était convaincu qu'il fallait conserver, garder des forces pour la vérité et la justice. On lui prête à juste titre une phrase reprise souvent : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ». Elle est sortie de son contexte, car elle a été prononcée le 30 juillet 1903, au lycée d’Albi, où Jaurès enseigna, et où il défendit, dans son « Discours à la jeunesse », une vision pacifiste de la vie.1

« Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre (...).
Le courage, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie.
Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces (...).
Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant avec la vie générale (...).
Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir mais de ne pas en être accablé et de continuer son chemin.
Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense.
Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »

Quel extraordinaire programme dont nos femmes et hommes politiques contemporains devraient faire leur credo.

Nos sociétés, mondialisées, globalisées, s'enfoncent dans l'inhumanité, demain la barbarie. Elles deviennent de plus plus injustes, inégalitaires. Une petite minorité d'oligarques, la plupart cyniques et malhonnêtes, exploite, sans vergogne, le reste de l'humanité et s'enrichit de manière éhontée. Les gouvernements, complices, laissent faire et favorisent ces dérives.

Depuis l'assassinat de Jean Jaurès, un siècle s'est écoulé, un siècle de sauvagerie et de brutalité pendant lequel le monde n'a jamais été aussi violent : Grande Guerre, fascisme, nazisme, communisme soviétique, etc ...

Des avancées sociales ont été gagnées de haute lutte, toujours par la grève et le combat des forces de gauche, mais, aujourd'hui, au prétexte de crises artificiellement fabriquées, on assiste à une régression des acquis sociaux et à une manipulation des esprits.

Le 23 avril 2014, lors d'un discours de François Hollande à Carmaux, en hommage à Jean Jaurès, une dame a interpellé le Président, lui disant : « Jaurès, il ne parlait pas comme vous ». Cette dame, clairvoyante, avait raison et elle a soulevé, ainsi, la question cruciale de la perversion de notre vie politique actuelle.

Aujourd'hui, il est vital, pour l'avenir de l'humanité, de parler comme Jean Jaurès, de revenir à sa pensée et à son idéal.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux


1   http://www.lours.org/default.asp?pid=100

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