mercredi 30 octobre 2013

Lettre ouverte aux parlementaires socialistes.


Chers élus,

La conjoncture est complexe et la situation grave ; les Français pessimistes sont de plus en plus mécontents, les crises perdurent, se superposent, s'amplifient et on perçoit, dans le pays, un grondement sourd de colère qui pourrait bientôt exploser.
Pendant ce temps, le gouvernement ne donne pas l'impression de prendre la mesure des difficultés. Il atteint un niveau d'impopularité inégalé, il louvoie, il s'enlise dans la démagogie et il ne semble plus capable de redonner à notre pays l'élan nécessaire pour sortir de la crise sociale qui gronde et faire la politique pour laquelle il est élu : socialiste, solidaire et fraternelle.
Au contraire, toutes les décisions qui semblent dictées par les modèles « libéraux », sont entachées d'amateurisme, voire d'incompétence, au minumum d'impréparation : affaire Leonarda, improvisation sur la taxation de l'épargne, Ecotaxe, etc.

Je suis très inquiet pour notre pays et je tiens à vous faire partager quelques pages de mon cahier de doléances.

Le 6 mai 2012, François Hollande est élu Président de la République avec 51,64 % des suffrages exprimés, cependant, seulement 44,49 % des Français en âge de voter l'ont désigné comme premier magistrat, sous la barre des 50% comme Jacques Chirac avant lui en 1995. Il est élu sur un programme de 60 propositions et sur un slogan « le changement, c'est maintenant », mais aussi grâce à un discours « fort » prononcé au Bourget où devant 25000 personnes, il déclare « Mon véritable adversaire, il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le monde de la finance. »

Enfin un discours en rupture avec le libéralisme sauvage ambiant. Même s'il n'est pas mon favori, celui qui prononce ces propos ne peut qu'être digne de confiance, élisons le !

L'avenir m'a fait rapidement déchanter : Que reste – t'il, aujourd'hui, de ce rêve, de ces ambitions, de ces incantations ? rien, sinon presque rien ! François Hollande a capitulé devant les groupes de pression et oublié les promesses faites à ses électeurs et aux Français. A moins qu'il nous ait trompés.
Vous souriez en pensant que je suis crédule et bien naïf car Il est vrai que, comme souvent devant les discours des hommes politiques, les promesses n'engagent pas ceux qui les font, mais ceux à qui on les fait.

Pour essayer de vous convaincre, voici une liste non exhaustive des promesses non tenues :
  • Abandon de l'encadrement des contrôles d'identité pour ne pas déplaire aux policiers. (promesse N° 30)
  • Abandon du projet de réforme fiscale.
  • Timidité des mesures économiques et financières pour ne pas heurter les cercles patronaux.
  • Réforme des retraites qui laisse subsister les régimes spéciaux et laisse sur le carreau plus de 100 000 demandeurs d'emplois âgés en fin de droit. (promesse N°18)
  • Absence de volonté politique en matière de protection de la santé et de l'environnement. (usure de 2 ministres de l'environnement)
  • Réforme étriquée des collectivités locales qui fait éclater le conflit d'intérêt inhérent au cumul des mandats.
  • Abandon de la renégociation du traité européen du 9 décembre 2011. (promesse N°11)
  • Abandon d'une nouvelle tarification progressive de l’eau, de l’électricité et du gaz. (promesse N° 42)
  • Où est la promesse N° 48 - « J’augmenterai les pouvoirs d’initiative et de contrôle du Parlement »alors que, comme sous le quinquennat de Sarkozy, c'est l'exécutif qui dicte sa loi, laissant peu de possibilités aux parlementaires.
  • Abandon du droit de vote aux élections locales des étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans. (promesse N° 50)
  • Abandon de l'annulation de la loi de rétention de sureté.
  • Taxation toujours plus forte des classes intermédiaires, et au delà, que fait - on pour les chômeurs, les personnes en situation précaire, les quartiers laissés à l’abandon, les élèves et les étudiants, etc ?
Et malheureusement, la liste, déjà longue, n'est pas close.

Enfin, pour en terminer, revenons ensemble sur l'affaire de la jeune Leonarda.
La législation en vigueur dans cette affaire est celle mise en place par les ministres Sarkozy, Hortefeux et Guéant. Elle a durci les conditions d’admission sur le territoire et d’octroi du statut de réfugié. François Hollande avait pris l’engagement de la modifier après son accès à l’Elysée (proposition n° 50). Pourtant cette législation qui avait été contesté par le PS au moment du débat parlementaire, est toujours en vigueur.
Cette attitude soulève d'autres questions :
Pourquoi notre pays, qui se flatte d'être celui des droits de l'homme, est des cinq pays de l’UE qui ont reçu le plus de demandes d’asile en 2012, celui qui en a accepté la plus faible proportion (14 %, contre 35 % au Royaume-Uni, 29 % en Italie, 27 % en Suède et 20 % en Allemagne) ?
Pourquoi reconduit-on plus de personnes aux frontières maintenant que lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy : 36 822 personnes en 2012 (soit 100 par jour) contre 32 912 en 2011 (90 par jour) ?

Enfin, comble du comble, la proposition du Président de la République d'admettre sur le territoire une jeune fille mineure de 15 ans sans ses parents en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, en particulier les articles 9.1 et 10.1, et surtout, au delà du droit, comment, François Hollande, père de famille, peut-il faire une telle proposition à une enfant  en passant par dessus l'autorité de ses parents ? Cette proposition, qui a un relent de basse politique, vous savez, celle qu'on fait sachant qu'elle sera refusée, frise l'irresponsabilité et est très choquante.

Chers élus, j'ai beaucoup de respect pour le travail que vous avez fait et que vous continuez, j'en suis sûr, à faire mais je m'inquiéte pour vous car je pense que vous devez souvent manger votre chapeau.

S'il vous plait, rassurez - moi ! cette non-politique de gauche, pour ne pas l'appeler de droite, ne va pas durer ; vous allez bientôt nous réveiller, mes amis et moi, nous sortir du cauchemar, car nous vivons un vrai cauchemar de voir nos convictions bafouées de cette manière.

Nous en sommes à imaginer l'inimaginable ... ne pas voter aux prochaines élections.

Bien à vous

Jean-Claude Vitran

samedi 26 octobre 2013

Sur l'extrèmedroitisation de la France

Non, ce n'est pas Marine Le Pen qui nous fait peur ! C'est notre grande perméabilité à des idées qui ne sont pas avancées par le seul Front National !

Que le Ministre de l'Intérieur actuel soit la personnalité politique la mieux appréciée des Français (selon des sondages dont les initiateurs et les modalités sont loin d'être toutes transparentes), voilà qui inquiète davantage. Non que Manuel Valls soit le grand méchant loup dont tout est à craindre, mais parce qu'il mène une politique, au nom du gouvernement tout entier, qui conduit à confondre les causes et les conséquences, l'appât du gain généralisé et encouragé d'une part, et les malfrats, petits et gros, qui en profitent, d'autre part. Autrement dit, des logiques de répression se mettent en place, avec l'assentiment des citoyens excédés, au lieu de dresser des obstacles à la gloutonnerie des profiteurs qui disposent de la complicité de médias aux ordres de qui les paient.

L'extrèmedroitisation est d'abord culturelle. En 2007, Nicolas Sarkozy avait remporté l'élection présidentielle sans rien cacher de l'idéologie qu'il soutenait et dont la formule, « Travailler plus pour gagner plus », n'était que la plus visible apparence. Depuis, de l'eau a coulé sous le pont et elle charrie des objets de plus en plus nombreux et dangereux. Ainsi continue-t-on à vouloir réduire le chômage en satisfaisant les exigences du patronat (à ne pas confondre avec l'ensemble des entreprises !). Ainsi leurre-t-on l'opinion en lui enfonçant dans la tête, jour après jour, que seule la vache sacrée de la croissance peut nourrir les revenus des Français. Ainsi culpabilise-t-on tous ceux qui sont privés d'emploi en leur reprochant de préférer l'assistance au travail ! Ainsi voudrait-on sanctionner ceux qui, pour trouver à s'employer, refusent de quitter leur région, leur maison, leur famille, prétendent ne s'engager que dans ce qu'ils savent faire, et hésitent à se reconvertir l'âge venant...

La mobilité, la souplesse, l'adaptabilité, la compétitivité, la modération dans l'activité salariée sont devenues des valeurs détournées qui signifient, en vérité : va où je le veux, - accepte mes conditions de travail quelles qu'elles soient, - apprend à faire tout ce que j'exige sinon, si tu n'as pas la compétence requise, je me passerai de tes services, - produit plus vite et moins cher sinon je ferme l'entreprise et je la transfère ailleurs, en France ou pas, - enfin ne me demande surtout pas de te payer plus, la main d'œuvre ne manque pas... L'affaiblissement des salariés et de leurs syndicats, incapables d'établir un rapport de force en leur faveur, fragilise des secteurs entiers de la société où s'introduisent d'autres moyens, illicites, d'avoir des ressources pour vivre. Cette situation est intenable et ne peut que déboucher sur une violence à laquelle déjà se préparent ceux qui ne veulent rien changer à un système qui broie l'Europe tout entière, mise en concurrence avec des populations immenses mais, pour le moment moins exigeantes et plus soumises.

Accepter cette logique économiste est mortifère. Ne pas sortir des fausses évidences distillées par les professionnels de la communication conduit à une impasse où les faibles et les pauvres seront égorgés. La dépréciation volontaire de la solidarité, du partage de l'égalité et de la fraternité (laquelle est une valeur politique et non une forme de la compassion !) mène à des conflits dont nul ne peut encore apprécier l'ampleur et le coût humain. Les « réalistes » ne sont pas réalistes sinon ils verraient pourquoi l'Europe, et l'Occident plus généralement, fut-ce très lentement mais inexorablement, sont entrés dans la voie du sous-développement pour avoir voulu conserver le développement pour eux seuls.

Du Tee-Party américain au FPO autrichien, au Vlaams Belang belge, au Jobbik hongrois (mais la vague n'a cessé d'enfler partout, en Norvège, Danemark, Suède, Italie, Japon, Israël...) les mêmes revendications s'installent : vivons chez nous, entre nous, chassons les étrangers, fermons les frontières, renforçons notre police et notre armée, appuyons nous sur nos élites, méfions nous du métissage, combattons l'islamisation, plaçons l'ordre avant la liberté... S'il ne s'agissait que des excès idéologiques d'une partie de nos sociétés il n'y aurait pas à craindre ce poison qui a déjà diffusé, dans le passé, et dont nous avions trouvé l'antidote. Le poison réinjecté dans notre corps social atteint, cette fois, la droite classique et la partie « républicaine » de la gauche qui se sont laissé pénétrer par le nationalisme et le retour d'une conception fermée de l'identité française. Autrement dit, les organisations économiques et sociales étant mises à mal par ce qu'on appelle la crise (et qui est une forme nouvelle d'une mondialisation qui a cessé d'être occidentale), le repli de tous ceux qui craignent l'avenir, et singulièrement pour leur propre avenir, prend un tour agressif sur lequel surfent d'habiles démagogues.

L'extrèmedroitisation apparaît donc comme un effet de glissement du curseur politique, non vers les extrêmes comme on nous dit mensongèrement (pour nous faire accepter une fausse égalité entre le Front de gauche et le Front national par exemple), mais vers la droite dure, super-individualiste, hostile aux choix écologiques les plus incontournables, centralisatrice, souvent sexiste, néo-nationaliste, répressive avant d'être préventive, interventionniste dans les pays hier sous domination coloniale, etc... Il s'agit là d'une orientation où se rejoignent des formations politiques (en tout ou partie) de plus en plus décomplexées, c'est-à-dire de plus en plus à droite, de plus en plus extrémistes dans leur défense de la « démocratie capitaliste » (les deux mots étant devenus indissociables, progressivement après la chute du mur de Berlin, et nettement depuis le début du XXIe siècle !).

Nous sommes entrés dans un conflit idéologique total. Ce n'est plus un affrontement parti contre parti. C'est la mise en cause brutale de la citoyenneté. Qui choisit le camp des pauvres, des modestes, des négligés, des oubliés, des « sans », des abandonnés, bref des « misérables » eut dit Victor Hugo, est confronté, immédiatement, à tous ceux qui, ou bien veulent que ça dure, par intérêt personnel (lequel est multiforme et ne concerne pas que les grandes fortunes) ou bien préfèrent la stagnation plutôt que le risque d'un changement jugé impossible (et nul mieux que François Hollande n'aura si vite, et si éloquemment, bradé ce beau mot de changement) ! Il nous faut considérer les échecs multipliés d'une Europe non européenne qui n'a pas encore d'existence politique, des partis socialistes européens, sevrés de marxisme, et devenus si peu sociaux qu'on les confond voire qu'on les associe aux conservateurs -comme en Allemagne, actuellement-, des partis écologistes qui se sont trahis eux-mêmes en cessant d'être ce qui a été leur raison d'apparaître. Le malheur accouche parfois d'une espérance : tous ces échecs ne peuvent qu'entrainer vers un neuf qui ne viendra pas au monde tout seul.

Il est temps de méditer, de nouveau, le propos d'Antonio Gramsci : "L'ancien se meurt mais résiste ; le neuf ne tarde pas à voir le jour, mais dans le clair-obscur surgissent des monstres." Chassons les monstres et travaillons à ce que le neuf, qui s'annonce, n'avorte pas.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

lundi 21 octobre 2013

Le droit n'est pas au-dessus de la fraternité.


François Hollande a tranché : Leonarda Dibrani, mineure, peut rentrer, seule, en France ; ses parents n'en ont pas le droit. Ils doivent rester au Kosovo ! Indépendamment du ridicule de la proposition (comment vivre sans famille ?), il y a, dans la décision du chef de l'État, une conception du droit qui fait peur !
Le Droit c'est l'ensemble des lois et textes d'application qui constitue les règles de vie communes à tous les habitants de notre pays, citoyens ou non, Français ou étrangers. Le droit protège ; il ne crée pas l'injustice, sinon il cesse d'être le droit.

Il y a abus de mot quand la référence au droit devient un mode de refus de droits humains.  Au-dessus de la loi, laquelle est fluctuante, diffère d'un pays à l'autre, peut s'écarter de la justice, il y a ce que la devise républicaine appelle la fraternité et ce que les chrétiens nomme l'amour. Celui qui aime accomplit la loi et plus que la loi (Romains 13.10 : "… l’amour est donc l’accomplissement de la loi", ou Galates 5.14 : "Toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même".) Dans notre civilisation, chrétiens ou pas, nous avons, tous, comme tradition, non pas la religion de la loi mais un respect des personnes qui passe bien avant le droit.

Nous en sommes là, avec "l'affaire Leonarda" ! Déjà, Manuel Valls, de plus en plus bravache, et qui se trouve soutenu, et par l'opinion et par le Chef de l'État, annonçait, dans Le Journal du dimanche, du 20 octobre, que toutes les précautions sont prises : la famille ne rentrera pas en France. Autrement dit, la police est, par avance, chargée de traquer ces clandestins qui tenteraient de revenir en France pour rejoindre Pontarlier avec leur fille.
Inhumanité manifeste ! Pas plus qu'à Lampedusa où, sous nos yeux, on laisse la mer punir de mort les réfugiés africains qui tentent de violer la loi et de pénétrer en Europe, on n'acceptera la moindre exception ! Une famille sans droit "n'a pas vocation à vivre en France" (surtout, ce n'est pas dit, mais c'est évidemment pensé, s'il s'agit de Roms...). Qu'ils aillent s'échouer ailleurs...

Alexandre Romanès, dans le numéro de Libération du 18 octobre 2013, rappelait la phrase de Gandhi : "Quand la loi n'est pas respectable, je ne la respecte pas". Oui, la loi n'est pas sacrée et quand elle ne respecte pas les hommes, il faut lui désobéir. Un bon citoyen n'est pas celui qui s'incline à tout coup devant la loi, il est celui qui sait et peut discerner ce qui est juste ou non, et qui agit en conséquence.

Il y a ambiguïté dans le constant rappel à la société de droit. Admettre, quasi automatiquement, que notre pays est une société de droit fait bon marché des violations multiples que subit notre propre droit et que constatent les avocats défenseurs du droit ou le Défenseur des Droits (actuellement Dominique Baudis). Mais il y a bien pire : en nombre d'occasions, le droit français se révèle injuste et inacceptable, ce que souligne, parmi nombre d'exemples, un jugement récent de la Cour européenne des droits de l'homme (1).

La Ligue des Droits de l'Homme, elle-même, n'échappe pas à ce culte du droit par ses rappels au droit de façon trop générale, comme si une société était harmonieuse et libre parce qu'elle dispose d'un Droit national abondant, précis et enseigné ! 

Le droit est rectiligne et souvent manque de souplesse. Il faut donc en corriger constamment les applications, sinon le droit devient rigide et... vire à droite. Au lieu d'être un ensemble de repères stables permettant de trouver son chemin soi-même, il prétend fixer tous les détails de notre mode de vie ! Bien entendu, c'est impossible et aucune répression ne permettra jamais de faire marcher tout le monde d'un même pas, sauf à détruire cette démocratie fragile, constamment menacée, voire mise à mal. 

La jeune Leonarda est, bien sûr, soutenue par les lycéens de son âge qui se reconnaissent en elle. Il serait sage de se demander pourquoi. Sans l'avoir voulu, elle nous aura permis d'ouvrir les yeux sur une contradiction majeure. Au moment où l'on fustige les Rroms, en stigmatisant leur prétendu refus d'intégration, voila une adolescente, parfaitement francophone, qui poursuit ses études et concourt à l'insertion de sa famille. C'est tout le discours sur la "vocation" des Rroms à rentrer dans leur pays qui vole en éclats. Après Anina, l'étudiante voulant devenir magistrate, en France, plusieurs jeunes filles rroms démontrent (mais pourquoi est-ce nécessaire ?) qu'on peut vivre en France, même si l'on est d'origine étrangère, tout en restant soi-même (2).




Le débat est lourd de différends profonds. L'identité française n'est pas close et ne l'a jamais été. Elle est plurielle (n'en déplaise à l'UMP, au Front national, à une partie des socialistes et à bien d'autres citoyens qui n'ont retenu de la République que son caractère ethnocentré et sa non reconnaissance des minorités). Les Rroms de l'Union européenne (Roumains ou Bulgares depuis 2007, Croates depuis 2013, et dans 25 autres États), mais aussi ceux qui sont ressortissants de pays européens ayant "vocation" à entrer, tôt ou tard, dans l'Union, en dépit  d'innombrables résistances, (dont l'Albanie, le Kosovo, la Serbie, la Macédoine, le Monte-Negro et, bien entendu, la Turquie...), ne sont pas des étrangers comme les autres. 
Il faudra se faire à l'idée que les Roms sont chez eux en Europe, dans toute l'Europe physique, et s'ils n'en ont pas encore, partout, le droit formel, ils en ont déjà le droit de fait - ils y sont ! -, mais aussi le droit moral - à moins qu'on songe, comme les nazis, à les faire disparaître ! -. C'est le droit qu'ont ces hommes et de ces femmes de vivre sur un continent qui est autant le leur que le nôtre, et ce depuis plus de sept siècles !

Les Roms ont, en Europe, le droit d'avoir des droits !
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran 
(1) - La Cour européenne des droits de l'homme(CEDH) a condamné, jeudi 17 octobre, la France pour avoir prononcé en 2004, sans nécessité apparente, l'expulsion d'un campement de gens du voyage et sans leur proposer de solutions satisfaisantes de relogement. /.../ Les juges concluent qu'il y a eu violation du droit au respect de "la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance".
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/17/la-cedh-condamne-la-france-pour-une-expulsion-de-gens-du-voyage-en-2004_3497339_3224.html
(2) -  Anina Ciociu, Je suis tzigane et je le reste, éditions City, 2013.

dimanche 13 octobre 2013

La peine de mort en 1977... et pourtant, ce n'est pas encore du passé !


Le texte que nous reproduisons ci-dessous, document poignant, est paru dans le journal Le Monde.
Nous désirons vous le faire partager.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

 

C'est un document d'histoire, une part oubliée de notre mémoire, un témoignage sobre et saisissant que l'ancien garde des sceaux Robert Badinter a confié au Monde. Il s'agit du "procès-verbal" intime de la dernière exécution capitale en France. Le 9 septembre 1977, Hamida Djandoubi, manutentionnaire tunisien coupable du meurtre de sa compagne, Elisabeth Bousquet, est guillotiné à la prison des Baumettes de Marseille. Juste après l'exécution, la doyenne des juges d'instruction de la ville, Monique Mabelly (1924-2012), commise d'office pour y assister, consigne par écrit ce qu'elle a vu et ressenti.


Trois pages sobres et retenues mais aussi d'effroi et de colère contenue pour décrire les dernières minutes d'Hamida Djandoubi. De la cellule où l'on vient chercher le condamné jusqu'à l'endroit où il sera guillotiné, l'auteur décrit avec précision les circonvolutions autour de la dernière cigarette, les vaines tentatives pour retarder le moment fatal, le couperet qui fend le corps en deux.
Quelques lignes écrites au retour d'une exécution qui suscite en elle "une révolte froide" afin de témoigner. Monique Mabelly léguera dix ans plus tard ce manuscrit à son fils, Rémy Ottaviano, qui l'a remis il y a quelques semaines à Robert Badinter.

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Le 9 septembre 1977.

Exécution capitale de Djandoubi, sujet tunisien.

A 15 heures, Monsieur le Président R... me fait savoir que je suis désignée pour y assister.
Réaction de révolte, mais je ne peux pas m'y soustraire. Je suis habitée par cette pensée toute l'après-midi. Mon rôle consisterait, éventuellement, à recevoir les déclarations du condamné.
A 19 heures, je vais au cinéma avec B .et B. B., puis nous allons casse-croûter chez elle et regardons le film du Ciné-Club jusqu'à 1 heure. Je rentre chez moi ; je bricole, puis je m'allonge sur mon lit. Monsieur B. L. me téléphone à 3 heures et quart, comme je le lui ai demandé. Je me prépare. Une voiture de police vient me chercher à 4 heures et quart. Pendant le trajet, nous ne prononçons pas un mot.
Arrivée aux Baumettes. Tout le monde est là. L'avocat général arrive le dernier. Le cortège se forme. Une vingtaine (ou une trentaine ?) de gardiens, les "personnalités". Tout le long du parcours, des couvertures brunes sont étalées sur le sol pour étouffer le bruit des pas. Sur le parcours, à trois endroits, une table portant une cuvette pleine d'eau et une serviette éponge.
On ouvre la porte de la cellule. J'entends dire que le condamné sommeillait, mais ne dormait pas. On le "prépare". C'est assez long, car il a une jambe artificielle et il faut la lui placer. Nous attendons. Personne ne parle. Ce silence, et la docilité apparente du condamné, soulagent, je crois, les assistants. On n'aurait pas aimé entendre des cris ou des protestations. Le cortège se reforme, et nous refaisons le chemin en sens inverse. Les couvertures, à terre, sont un peu déplacées, et l'attention est moins grande à éviter le bruit des pas.
Le cortège s'arrête auprès d'une des tables. On assied le condamné sur une chaise. Il a les mains entravées derrière le dos par des menottes. Un gardien lui donne une cigarette à bout filtrant. Il commence à fumer sans dire un mot. Il est jeune. Les cheveux très noirs, bien coiffés. Le visage est assez beau, des traits réguliers, mais le teint livide, et des cernes sous les yeux. Il n'a rien d'un débile, ni d'une brute. C'est plutôt un beau garçon. Il fume, et se plaint tout de suite que ses menottes sont trop serrées. Un gardien s'approche et tente de les desserrer. Il se plaint encore. A ce moment, je vois entre les mains du bourreau, qui se tient derrière lui flanqué de ses deux aides, une cordelette.
Pendant un instant, il est question de remplacer les menottes par la cordelette, mais on se contente de lui enlever les menottes, et le bourreau a ce mot horrible et tragique : "Vous voyez, vous êtes libre !..." Ça donne un frisson... Il fume sa cigarette, qui est presque terminée, et on lui en donne une autre. Il a les mains libres et fume lentement. C'est à ce moment que je vois qu'il commence vraiment à réaliser que c'est fini – qu'il ne peut plus échapper –, que c'est là que sa vie, que les instants qui lui restent à vivre dureront tant que durera cette cigarette.

CET HOMME VA MOURIR, IL EST LUCIDE

Il demande ses avocats. Me P. et Me G. s'approchent. Il leur parle le plus bas possible, car les deux aides du bourreau l'encadrent de très près, et c'est comme s'ils voulaient lui voler ces derniers moments d'homme en vie. Il donne un papier à Me P. qui le déchire, à sa demande, et une enveloppe à Me G. Il leur parle très peu. Ils sont chacun d'un côté et ne se parlent pas non plus. L'attente se prolonge. Il demande le directeur de la prison et lui pose une question sur le sort de ses affaires.
La deuxième cigarette est terminée. Il s'est déjà passé près d'un quart d'heure. Un gardien, jeune et amical, s'approche avec une bouteille de rhum et un verre. Il demande au condamné s'il veut 
boire et lui verse un demi-verre. Le condamné commence à boire lentement. Maintenant il a compris que sa vie s'arrêterait quand il aurait fini de boire. Il parle encore un peu avec ses avocats. Il rappelle le gardien qui lui a donné le rhum et lui demande de ramasser les morceaux de papier que Me P. avait déchirés et jetés à terre. Le gardien se baisse, ramasse les morceaux de papier et les donne à Me P. qui les met dans sa poche.
C'est à ce moment que les sentiments commencent à s'entremêler. Cet homme va mourir, il est lucide, il sait qu'il ne peut rien faire d'autre que de retarder la fin de quelques minutes. Et ça devient presque comme un caprice d'enfant qui use de tous les moyens pour retarder l'heure d'aller au lit ! Un enfant qui sait qu'on aura quelques complaisances pour lui, et qui en use. Le condamné continue à boire son verre, lentement, par petites gorgées. Il appelle l'imam qui s'approche et lui parle en arabe. Il répond quelques mots en arabe.
Le verre est presque terminé et, dernière tentative, il demande une autre cigarette, une Gauloise ou une Gitane, car il n'aime pas celles qu'on lui a données. Cette demande est faite calmement, presque avec dignité. Mais le bourreau, qui commence à s'impatienter, s'interpose : "On a déjà été très bienveillants avec lui, très humains, maintenant il faut en finir." A son tour, l'avocat général intervient pour refuser cette cigarette, malgré la demande réitérée du condamné qui ajoute très opportunément : "Ça sera la dernière." Une certaine gêne commence à s'emparer des assistants. Il s'est écoulé environ vingt minutes depuis que le condamné est assis sur sa chaise. Vingt minutes si longues et si courtes ! Tout s'entrechoque.

IL FAUT VITE EFFACER LES TRACES DU CRIME...

La demande de cette dernière cigarette redonne sa réalité, son "identité" au temps qui vient de s'écouler. On a été patients, on a attendu vingt minutes debout, alors que le condamné, assis, exprime des désirs qu'on a aussitôt satisfaits. On l'avait laissé maître du contenu de ce temps. C'était sa chose. Maintenant, une autre réalité se substitue à ce temps qui lui était donné. On le lui reprend. La dernière cigarette est refusée, et, pour en finir, on le presse de terminer son verre. Il boit la dernière gorgée. Tend le verre au gardien. Aussitôt, l'un des aides du bourreau sort prestement une paire de ciseaux de la poche de sa veste et commence à découper le col de la chemise bleue du condamné. Le bourreau fait signe que l'échancrure n'est pas assez large. Alors, l'aide donne deux grands coups de ciseaux dans le dos de la chemise et, pour simplifier, dénude tout le haut du dos.
Rapidement (avant de découper le col) on lui a lié les mains derrière le dos avec la cordelette. On met le condamné debout. Les gardiens ouvrent une porte dans le couloir. La guillotine apparaît, face à la porte. Presque sans hésiter, je suis les gardiens qui poussent le condamné et j'entre dans la pièce (ou, peut-être, une cour intérieure ?) où se trouve la "machine". A côté, ouvert, un panier en osier brun. Tout va très vite. Le corps est presque jeté à plat ventre mais, à ce moment-là, je me tourne, non par crainte de "flancher", mais par une sorte de pudeur (je ne trouve pas d'autre mot) instinctive, viscérale.
J'entends un bruit sourd. Je me retourne – du sang, beaucoup de sang, du sang très rouge –, le corps a basculé dans le panier. En une seconde, une vie a été tranchée. L'homme qui parlait, moins d'une minute plus tôt, n'est plus qu'un pyjama bleu dans un panier. Un gardien prend un tuyau d'arrosage. Il faut vite effacer les traces du crime... J'ai une sorte de nausée, que je contrôle. J'ai en moi une révolte froide.
Nous allons dans le bureau où l'avocat général s'affaire puérilement pour mettre en forme le procès-verbal. D. vérifie soigneusement chaque terme. C'est important, un PV d'exécution capitale ! A 5 h 10 je suis chez moi.

J'écris ces lignes. Il est 6 h 10.

jeudi 10 octobre 2013

Les inéluctables.

Ce n'est pas la fin du monde mais c'est la fin d'un monde : ce qui est inéluctable est nié ou caché mais rien n'y fait, nous nous dirigeons vers un autre monde.

Un autre monde est possible chantaient les altermondialistes, mais le monde qui vient n'est peut-être pas celui auquel ils aspiraient !

Le mot fin s'entend soit pour évoquer ce qui s'achève, soit pour indiquer ce que l'on vise comme objectif. Nous avons beaucoup de mal à comprendre et à admettre que ce que nous avions considéré comme promis à un développement infini prenne fin sous nos yeux.

Ainsi, à notre grand dam, la fin du travail salarié est-elle annoncée. Pas la fin du travail puisqu'il n'est pas de société humaine sans activités ! C'est le travail salarié qui décroît inéluctablement puisque nous savons produire de plus en plus avec de moins en moins de main d'œuvre. En outre, à vouloir réduire toujours plus le « coût du travail » tout en augmentant la productivité, les entreprises diminuent le nombre d'emplois et génèrent le chômage perpétuel.

La fin de cette croissance indéfinie qui ne produit plus d'emplois est un phénomène inéluctable, qu'on observe aisément en occident et, de plus en plus, dans les pays dits émergents. Aucun mystère à cela : la mode publicitaire et l'obsolescence programmée ne suffisent plus à retarder la saturation de la consommation. Plus encore la croissance est indispensable seulement là où il y a insuffisance et, surtout, ne pas fixer de limites dans un monde limité est plus qu'insensé, c'est une catastrophe planétaire organisée.

La fin du climat tempéré est, affirme le GIEC, inéluctable. Nous voyons bien les désordres climatiques parfois très meurtriers qui se succèdent (inondations et sécheresses, tempêtes, typhons et tornades, fonte spectaculaire des glaciers polaires ou alpins, montée des eaux salées, canicules et dérèglement des saisons...). À ceux qui objectent que les bouleversements climatiques n'ont jamais cessé au cours des millénaires précédents, il est aisé de répondre qu'au contraire, à ce rythme, en quelques décennies, jamais de telles élévations des températures moyennes ne se sont produites et la flore comme la faune (mammifères, avifaune, ressources halieutiques) s'en trouvent profondément affectées. La cause de cette transformation de nos paysages et de tout notre environnement est connue : c'est l'activité humaine. Les « climatosceptiques » ne peuvent plus le contester sauf par entêtement idéologique.

La fin des ressources énergétiques et métalliques non renouvelables se profile et, avec elle, grandit le risque de conflits internationaux. On ne parle plus du « pic de pétrole » parce que les temps de production d'un pétrole abondant, facilement accessible et bon marché sont derrière nous. Les métaux, surexploités, (y compris l'uranium !) seront au cours du XXIe siècle beaucoup moins disponibles et, pour certains, épuisés. Les

conséquences industrielles de ces manques sont incommensurables et ce n'est ni le gaz de schiste, ni la réouverture des mines de charbon (lequel reste pourtant, lui, abondant) qui suppléeront cet inéluctable recul des ressources que nous avons, en deux siècles, pillé. Quant à l'espoir de voir l'industrie nucléaire compenser la régression énergétique, il est trois fois ruiné : par la démesure des risques accidentels et du volume des déchets dangereux produits à stocker, par la faible part occupée par le nucléaire dans la production mondiale d'électricité, par les conséquences sécuritaires et militaires qu'entraine l'emploi sous surveillance absolue de cette source d'énergie qui finit ou finira par échapper aux contrôles. Bref, vivre dans « le renouvelable » est plus qu'une prudence, c'est une nécessité encore mal appréciée.

La fin des sociétés, enfin, comme le suggère le titre du dernier livre d'Alain Touraine, n'est pas que politique. Elle est produite par la « décomposition du capitalisme industriel », la crise de toutes les institutions, la fragilisation des pouvoirs, le doute qui s'est emparé des citoyens -dont témoigne leur abstention massive- à propos du fonctionnement des démocraties. Il ne s'agit pas, bien sûr, de la fin de toutes les sociétés ! Il s'agit de la fin des sociétés centralisées qui ruine les efforts d'autonomie des habitants de la planète dans les sociétés occidentales autant que dans les dictatures directes ou indirectes nées de la mondialisation que les « grandes puissances » ont voulu et veulent encore instaurer. La fin des sociétés, c'est donc la fin des États-nations comme nous les avons connus, la fin de « l'american way of life », la fin du modèle occidental, la fin de l'ethnocentrisme du Nord. Une mutation de civilisation sans précédent, lente et inéluctable, s'opère. À la rupture qui s'effectue sous nos yeux ne peut que correspondre notre propre rupture idéologique et citoyenne nous libérant de tous les a priori antérieurs devenus obsolètes.

Face à l'inéluctable qui n'est pas tombé du ciel mais qui s'est échappé de nos mains, il nous faut oser repenser la condition humaine, que nous y soyons prêts ou non. Il y va de l'avenir de ceux que nous avons mis au monde.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

La fin du Monde, c'est vache !